le Mercredi 11 décembre 2024
le Jeudi 7 septembre 2023 8:23 Économie

Manger instagrammable… pour le meilleur et pour le pire!

Anthony Cucchiara et Julien Dallaine sont copropriétaires de La French Taste à Edmonton. «Instagram est un outil de choix pour les entrepreneurs qui cherchent à faire connaître leurs produits», rappelle Anthony. Photo : Courtoisie
Anthony Cucchiara et Julien Dallaine sont copropriétaires de La French Taste à Edmonton. «Instagram est un outil de choix pour les entrepreneurs qui cherchent à faire connaître leurs produits», rappelle Anthony. Photo : Courtoisie
La frénésie de l’esthétisme alimentaire bat son plein sur Instagram et TikTok depuis un certain temps déjà : sur ces plateformes, les mots-clics #foodporn ou #foodie génèrent des millions de partages chaque année. Si cette tendance peut sembler superficielle pour certains, elle permet pourtant à plusieurs commerçants de revoir leur stratégie marketing et de tirer profit de leurs produits les plus photogéniques. Décryptage d’un phénomène qui prend de l’ampleur.
Manger instagrammable… pour le meilleur et pour le pire!
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L’obsession pour le «beau» n’a rien de nouveau et est même assez innée, affirme d’emblée Caroline Lacroix, professeure en marketing à l’École des sciences de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). D’après les études, l’esthétisme alimentaire cible la zone du cerveau qui est associée à la récompense et qui procure un sentiment de bien-être général à notre corps. Un mécanisme similaire se produit lorsque l’on contemple un paysage ou une œuvre spectaculaires, souligne-t-elle. 

Sauf qu’à son paroxysme, et surtout lorsqu’il est couplé à un besoin matériel, l’esthétisme peut également influencer nos comportements… et nous encourager à consommer! «L’esthétisme d’un produit nous pousse à vouloir acheter. On est même prêt à dépenser plus d’argent pour un produit qui est beau. Souvent, on a l’impression que c’est de la meilleure qualité et, après l’achat, on va vouloir le montrer aux autres», analyse la spécialiste.

C’est ici que les réseaux sociaux entrent en scène. Ces plateformes permettent aux consommateurs de partager aisément des photos de produits jugés «esthétiques» et de recueillir les impressions de leur entourage en seulement quelques clics. «C’est pour ça qu’on va dire d’un produit qu’il est “instagrammable”. Ça veut dire qu’il a le potentiel, de par sa présentation, sa beauté, son originalité, de récolter de la visibilité, des “likes” et des partages sur Instagram», précise Caroline. 

Le propriétaire de la pâtisserie Black Sheep (Calgary), Benjamin Griffon, est bien au fait de ce phénomène. Depuis qu’il a délégué la gestion de sa plateforme Instagram à une professionnelle le printemps dernier, il constate à quel point les publications léchées et minutieusement préparées par cette dernière permettent d’attirer des vues et de récolter de nouveaux abonnés au passage. En outre, de plus en plus de clients qui visitent la pâtisserie confient avoir découvert l’entreprise grâce à Instagram.

«Avoir une présence plus régulière, du contenu de meilleure qualité et de belles photos sur Instagram, c’est vraiment une expérience très positive pour nous. C’est là que cette plateforme prend tout son sens et devient un véritable outil de promotion», résume le Français d’origine.

Grâce à sa page Instagram colorée, la pâtisserie Black Sheep attire de plus en plus de clients en magasin. Photo : Capture d’écran – Instagram

Rester authentique malgré le jeu des apparences

Mais les réseaux sociaux et leur inclination pour l’esthétisme n’ont pas que de bons côtés. «C’est une arme à double tranchant», assure Benjamin. Selon lui, certains concurrents ont tenté de reproduire le célèbre croissant coloré vendu dans sa pâtisserie, qui a connu un grand succès sur Instagram, espérant ainsi augmenter leurs propres ventes. «Ils croyaient que ça allait vendre simplement parce que c’est beau et instagrammable, ce qui est un peu superficiel quand on y pense. Mais nos croissants ont un meilleur goût, alors on garde notre longueur d’avance», ironise-t-il.

Les pressions exercées par l’esthétisme ont également été ressenties par Anthony Cucchiara au moment où il a lancé, avec son partenaire, la boulangerie La French Taste à Edmonton, en 2021. Il dit avoir alors épluché les plateformes de plusieurs compétiteurs pour voir «ce qui fonctionnait pour eux» et pour aligner son contenu aux tendances les plus virales. «C’est un processus nécessaire quand on se lance en affaires. On a absolument besoin des réseaux sociaux pour se faire connaître comme petite entreprise et encourager les gens à venir à notre rencontre», explique-t-il.

Avec le temps et l’expérience, Anthony explique avoir fait de plus en plus de place à l’esthétisme dans ses publications, cela pour gagner des abonnés et du même coup, mieux faire connaître sa marque. Or, il veille à ne pas trop sombrer dans la superficialité de ces plateformes. «Le joli fait partie de notre réflexion certes, mais on fait aussi attention de ne pas tomber dans le “fake”, nuance-t-il. Par exemple, quand je crée un nouveau produit, je cherche à ce que ce soit beau et attrayant […], mais il faut aussi que ce soit bon.»

De son côté, Caroline Lacroix rappelle que la carte de l’esthétisme ne doit pas être jouée à tous coups par les entrepreneurs. Tout dépend du positionnement de leurs produits et de leurs services. «C’est important de cibler certains attributs clés et de transmettre un message clair aux gens. On ne peut pas dire qu’on est à la fois bon, beau, environnemental, trendy et santé…», analyse la professeure de l’ESG. 

D’ailleurs, elle précise que ce ne sont pas tous les clients qui accordent la même importance à l’aspect visuel des produits. «C’est quand même variable d’un individu à l’autre. Par exemple, les gens qui aiment vraiment le goût du café et de certaines pâtisseries ont tendance à rester fidèles à l’adresse où ils mangent bien», conclut-elle.

Glossaire – paroxysme : degré extrême, intensité