«Ce qui s’est passé pendant la pandémie, c’est qu’on s’est aperçu qu’on était capable d’opérer avec certaines contraintes. Ça fait en sorte, aujourd’hui, qu’on essaie de conserver un modèle de fonctionnement qui offre de la souplesse et permet quand même d’être productif», signale Florian Pradon, un expert en culture d’entreprise innovante installé au Québec.
Cette transition, dit-il, est moins dirigée par l’enthousiasme des organisations, souvent réticentes au changement, que par les demandes croissantes des employés en matière de flexibilité. Ces derniers disposent plus que jamais d’un pouvoir de négociation dans un marché où la main-d’œuvre se fait rare.
Dans ce contexte, de nombreuses industries se voient contraintes de répondre à de nouvelles exigences et de s’adapter à une concurrence tenace. «Le marché est [dicté] par ceux qui poussent très fort pour des pratiques différentes», résume l’expert.
Mis à part la question du télétravail, de plus en plus d’employés sont par exemple à la recherche d’horaires flexibles, qui leur offrent la possibilité de commencer leur journée plus tôt et de gérer leurs heures de travail à leur guise.
Il pourrait s’agir de «démarrer [sa] journée vers 8 h en lisant [ses] courriels, puis d’aller déposer [ses] enfants à l’école» avant de reprendre sa journée et de terminer plus tôt, résume Florian. Certaines entreprises ont même commencé à proposer des semaines condensées afin d’assurer un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.
Disparités sur le marché
Or, bien que la notion de flexibilité touche l’ensemble du monde de l’entreprise, elle ne peut être appliquée de manière uniforme à l’ensemble des industries. À Francophonie albertaine plurielle (FRAP), qui se consacre à l’accueil, à l’établissement et à l’intégration des nouveaux arrivants francophones en Alberta et dont les activités sont principalement sur le terrain, la perspective du télétravail semble quelque peu impraticable.
«[C]ompte tenu de la nature de certaines de nos activités [qui requièrent une présence physique], nos politiques sont restées les mêmes et nous travaillons exclusivement en personne», résume le directeur général adjoint, Yic Camara. Depuis la pandémie, l’organisme s’est toutefois ajusté pour offrir une «accommodation circonstancielle de quelques jours» si un employé se trouve dans l’impossibilité d’être au bureau, précise-t-il.
Florian Pradon souligne qu’il peut en effet être complexe d’effectuer un virage vers le télétravail dans les industries qui reposent intrinsèquement sur le service à la clientèle et les partenariats avec des fournisseurs. Si ces métiers peuvent se faire à distance, bâtir une relation de confiance derrière un écran demeure un défi. «Ça prend une rencontre en personne, dans la même pièce, avant de passer en ligne», confie-t-il.
Néanmoins, dans le cas où une organisation ne peut pas offrir du travail à distance, des efforts peuvent être faits pour adapter les conditions de travail, en offrant des horaires de travail plus souples, ajoute-t-il. Et il y a aussi moyen de trouver un juste milieu qui puisse convenir à toutes les parties concernées.
C’est dans cet esprit d’adaptation que le Portail de l’Immigrant Association (PIA), un organisme de Calgary qui propose également des services dédiés aux immigrants pour faciliter leur intégration et pour promouvoir les communautés culturelles, est actuellement engagé. Une phase d’évaluation a été entamée par un consultant afin de déterminer s’il serait viable de créer une politique de flexibilité pour les employés. «Nous cherchons à identifier les programmes qui pourraient se prêter à un mode hybride», explique la directrice générale, Evelyne Kemajou.
Cette étude approfondie est née à la fois des demandes des employés, qui expriment parfois le souhait de travailler à distance, et de la nécessité de s’ajuster à l’industrie afin de demeurer compétitif. «Il faut qu’on s’adapte parce qu’on fait certains constats. Par exemple, quand on organise des activités hybrides, on a souvent plus de participants qu’en présentiel, peut-être en raison de la distance et des déplacements», précise la dirigeante.
La communication avant tout
La transition vers un mode de travail hybride, où certains employés effectuent des heures à domicile, peut également présenter des obstacles immenses pour les gestionnaires habitués à un modèle de gestion hérité de l’ère industrielle «où on regardait les gens faire leur travail», résume Florian. «Là, on ne les voit plus. Est-ce que j’ai confiance que mes employés, quand je leur donne les objectifs, les moyens et les dates, vont l’opérer? C’est un vrai enjeu», laisse-t-il entendre.
À l’aune de cette distance, il est surtout primordial pour les gestionnaires de ne pas sombrer dans le piège d’une relation strictement transactionnelle où la productivité de l’employé devient la seule priorité. La véritable pierre angulaire, «c’est la confiance réciproque», soutient l’expert. Pour construire cette confiance, les deux parties doivent convenir de termes clairs sur la manière dont les choses seront gérées : la fréquence des réunions, la vitesse à laquelle l’employé doit répondre à ses messages, les critères d’évaluation du travail, etc.
Malgré ces ajustements, le travail à distance ne devrait pas être privilégié par les organisations comptant de nombreux employés débutants, qui entrent tout juste sur le marché du travail et possèdent peu d’expérience dans leur domaine. Ces travailleurs ont besoin de mentorat et d’accompagnement physique au quotidien pour acquérir un certain niveau d’expertise et de compréhension de soi avant d’entamer une transition vers le télétravail. Sinon, comme le souligne Florian, «on court à la perte des gens. On va avoir des enjeux de performance et d’engagement».
Glossaire – Pierre angulaire : le fondement, élément essentiel de quelque chose