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le Samedi 3 août 2024 10:47 Économie

L’immigration, bouc émissaire de la pénurie d’emploi pour les jeunes

L’augmentation de la population de jeunes au Canada, alliée à la diminution des offres d’emploi, contraste avec la situation qui prévalait pour les jeunes avant et pendant la pandémie. Photo : Norma Mortenson – Pexels
L’augmentation de la population de jeunes au Canada, alliée à la diminution des offres d’emploi, contraste avec la situation qui prévalait pour les jeunes avant et pendant la pandémie. Photo : Norma Mortenson – Pexels
Alors que le taux de chômage des étudiants atteint presque le sommet d’il y a 10 ans, les immigrants ont le dos large. Le marché du travail ayant changé rapidement et radicalement, la recherche d’un unique coupable peut passer à côté de la réalité d’une économie changeante.
L’immigration, bouc émissaire de la pénurie d’emploi pour les jeunes
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FRANCOPRESSE

Les données de Statistique Canada montrent que le taux de chômage chez les jeunes au pays a atteint 13,5 % en juin. Si l’on exclut la période de pandémie de COVID-19, c’est le taux le plus élevé depuis les 14 % de septembre 2014.

Entre 2014 et 2020, le taux de chômage des jeunes est toujours resté plus élevé que celui de la population générale – autour de 11 et 12 %.

La reprise de l’activité économique de 2022 a permis de faire descendre ce taux entre 9 et 11 %. Il est maintenant de retour à un niveau comparable à 2016.

À titre de comparaison, le taux de chômage dans la population générale s’établit à 6,4 % pour juin. Il était de 6,8 % en septembre 2014.

Certains économistes, analystes et chroniqueurs voient dans ces données un lien entre le taux de chômage des jeunes et l’augmentation de la population attribuable à l’immigration.

Par exemple, l’ancienne chroniqueuse du National Post, Sabrina Maddeaux, a clamé sur X que «les politiques migratoires imprudentes de Trudeau» réduisent les occasions d’emploi des jeunes.

Pour Harrison Faulkner, producteur de la plateforme numérique True North, si les jeunes ont maintenant de la difficulté à se trouver un emploi d’été, c’est «peut-être parce que le nombre d’étrangers temporaires embauchés dans la restauration rapide a augmenté de 4802 % depuis 2018».

Mais en considérant les données des dix dernières années, est-ce que l’afflux d’immigrants a vraiment un effet sur l’accès à l’emploi pour les jeunes au Canada?

Des changements rapides

Selon l’économiste Brendon Bernard du site de recherche d’emploi Indeed Canada, deux tendances simultanées nous ont «très rapidement» et «soudainement» menés à l’augmentation du taux de chômage des jeunes.

La première est un ralentissement de l’embauche.

«Au sein des jeunes, le taux de chômage est plus haut que ce à quoi on pourrait s’attendre face au refroidissement de la demande des employeurs. Donc, il y a autre chose qui se trame avec l’emploi des jeunes», avance-t-il.

Cette «autre chose», selon lui, est probablement l’augmentation importante du nombre de jeunes au Canada. C’est la deuxième tendance observée.

La tranche de la population âgée de 15 à 24 ans a augmenté d’environ 335 700 personnes depuis juin 2023. En comparaison, juste avant la pandémie, de juin 2018 à juin 2019, cette augmentation était de 49 300.

À la sortie de la pandémie, les employeurs cherchaient à pourvoir des emplois, mais ce cycle d’embauche n’a pas duré. Brendon Bernard confirme qu’aujourd’hui le marché est serré. «On a donc une grande augmentation de demandeurs d’emploi, dirigée notamment par l’immigration, combinée au fait que les employeurs embauchent moins.»

L’augmentation de la population a donc effectivement pour effet de resserrer davantage l’accès à l’emploi, mais pas seulement pour les jeunes.

Le taux de chômage chez les immigrants arrivés au pays il y a moins de 5 ans se situait à 12,6 % en juin, tous âges confondus, selon les données de Statistique Canada.

«C’est un mauvais timing lors duquel les employeurs ne recrutent pas autant et les demandeurs d’emploi sont plus nombreux», concède l’économiste.

La question des qualifications

Pendant la pandémie et un peu après, le besoin de travailleurs étrangers temporaires (TET) pour occuper des emplois peu qualifiés était important, notamment parce que les jeunes Canadiens – qui occupaient traditionnellement les emplois peu spécialisés – se déplaçaient vers des emplois à plus haute qualification ou alors obtenaient de l’aide gouvernementale comme la Prestation canadienne d’urgence pour les étudiants (PCU).

«Dans un contexte où il y a beaucoup trop de demandes par rapport à l’offre, les entreprises s’arrachaient les travailleurs. Dans ce contexte-là, on retrouve des pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs à plus bas salaires, car les secteurs à hauts salaires sont en mesure d’attirer les travailleurs», explique à Francopresse le chef économiste adjoint à la Banque Nationale, Matthieu Arseneau.

Un rapport de Statistique Canada sur la répartition professionnelle des immigrants de 2001 à 2021, paru en mars dernier, confirme que cette transition de catégorie d’emploi chez les jeunes a fait plus de place pour les travailleurs immigrants. «À mesure que les travailleurs nés au Canada quittaient [les professions peu spécialisées] en grand nombre, les travailleurs immigrants et les TET occupaient de plus en plus de ces emplois peu spécialisés», peut-on lire.

«Au cours de la période de 20 ans, les travailleurs nés au Canada ont quitté des emplois peu qualifiés de façon importante, tandis que la dépendance des travailleurs immigrants à l’égard d’emplois peu spécialisés a diminué dans une bien moindre mesure», précise la conclusion du rapport.

Le marché de l’emploi a donc changé. Le taux de chômage élevé chez les jeunes et chez les nouveaux arrivants suggère que les employeurs ont désormais plus de facilité à combler les emplois peu spécialisés, indique Matthieu Arseneau.

De plus, le taux de chômage actuel chez les jeunes est comparable à celui d’avant la pandémie, avant l’arrivée plus importante de travailleurs immigrants temporaires, indiquant davantage un changement dans le marché de l’emploi que dans la population active.

Considérant cette transformation, l’accent devrait être remis sur les immigrants qui peuvent occuper des emplois à haute qualification, selon Matthieu Arseneau, et l’immigration temporaire devrait servir à contrer des besoins de main-d’œuvre «très ciblés». Et il n’est pas le seul économiste à le dire.

Selon Matthieu Arseneau, l’immigration temporaire devrait être concentrée dans les secteurs d’emploi qui en ont vraiment besoin. Photo : Courtoisie

Ajustement des besoins

Le gouvernement ralentit maintenant le flux d’immigrants temporaires, puisque le marché de l’emploi n’a plus autant besoin de ces travailleurs.

Dans une réponse par courriel, Emploi et Développement social Canada explique que de récents changements «visent à réduire davantage la dépendance aux travailleurs étrangers temporaires, surtout pour les emplois nécessitant des compétences de niveau débutant et offrant une formation sur le tas».

«Le système d’immigration économique du Canada devrait revenir à ses racines en accordant la priorité aux nouveaux arrivants hautement qualifiés sur la base des niveaux de revenus escomptés», prônent des économistes dans un commentaire rédigé pour l’Institut C.D. Howe paru le 11 juillet.

«L’objectif devrait être de maximiser le PIB par habitant pour l’ensemble de la population, y compris les nouveaux arrivants», écrivent-ils. En faisant venir des immigrants pour occuper principalement des emplois peu qualifiés, le Canada baisse le revenu moyen et le PIB par habitant, ajoutent-ils.