Le Franco : Bonjour votre Excellence, auriez-vous l’amabilité de décrire à nos lecteurs ce qu’est la diaspora ivoirienne aujourd’hui au Canada?
Son Excellence Bafétigué Ouattara : Merci tout d’abord de me donner l’opportunité de m’adresser aux Canadiens et aux Ivoiriens qui vivent au Canada et en Alberta. La diaspora ivoirienne est forte d’environ 18 000 âmes, en général des travailleurs qualifiés qui viennent avec leur famille. […] Ils sont dans le secteur de la santé, de l’enseignement, mais aussi dans les secteurs techniques, comme les ingénieurs ou les informaticiens.
C’est une diaspora jeune, avec de l’expérience, qui vient au Canada pour la bonifier, mais aussi dans l’esprit d’un échange de culture, pour peut-être un jour repartir en Côte d’Ivoire pour mettre à profit cette expérience, cette accumulation de connaissances au service de leur pays [d’origine], mais aussi du Canada.
Le Franco : La majorité des Ivoiriens sont francophones, avez-vous l’impression qu’ils arrivent à faire leur place à l’ouest du pays, est-ce que la barrière linguistique n’est-elle pas difficile à surmonter?
Son Excellence Bafétigué Ouattara : À vrai dire, ils ont franchement leur place au Canada et à l’ouest du Canada, qui est anglophone. Tout est question de volonté à vivre au Canada et d’affronter ces barrières linguistiques qui ne sont pas insurmontables. Connaissant le bagage intellectuel de cette diaspora, je ne doute pas un seul instant des capacités […] de ces 1 500 Ivoiriens qui vivent à l’ouest du Canada […] et qui font de l’anglais […], la langue universelle du commerce, leur langue de travail, la langue avec laquelle ils vivent en harmonie avec les Canadiens, et j’en suis très fier. Je trouve que la langue est une barrière provisoire, transitoire que les Ivoiriens ont surmontée aisément.
Il y a d’ailleurs beaucoup d’Ivoiriens qui sont à l’Est et qui cherchent des opportunités pour affronter cette barrière linguistique et apprendre à vivre à l’ouest du Canada qui est, comme vous le savez, une région riche avec beaucoup de similitudes avec la Côte d’Ivoire, notamment dans les ressources naturelles, le domaine de l’énergie et l’agro-industrie. Les requêtes sont nombreuses, il s’agit pour nous, hommes politiques, de leur présenter le meilleur visage de l’ouest du Canada et c’est en cela que nous avons insisté pour qu’il y ait ici un poste avancé de la diplomatie, à travers l’installation de ce consulat honoraire.
Le Franco : Aujourd’hui, l’ouest et notamment l’Alberta sont vendus comme des terres d’opportunités. Mais quand on fait face à la réalité, il est facile de rencontrer de nombreux Ivoiriens qualifiés qui ne trouvent pas d’emploi pour des raisons d’équivalence, de mise à niveau, etc. Comment, en tant qu’ambassadeur de la République de Côte d’Ivoire, pouvez-vous régler cette situation?
Son Excellence Bafétigué Ouattara : La question de l’intégration des Ivoiriens et des Africains en général n’est pas aisée. Ce n’est pas seulement le côté ouest qu’il faut voir, c’est une question globale au pays. D’ailleurs, même au sein de la francophonie, vous avez des Ivoiriens qui arrivent au Canada et qui doivent repartir à zéro. Cela fait partie de nos préoccupations, et nous avons signalé à plusieurs reprises à Ottawa l’épineuse question de l’équivalence et la reconnaissance des diplômes au sein de la francophonie.
Le second palier, c’est lorsque l’on arrive à l’ouest, avec cette deuxième dynamique linguistique qui est l’anglais. Ce qu’il y a lieu de faire, c’est vraiment de créer un cadre de concertation avec nos amis canadiens pour créer des ententes et des accords avec les universités des deux pays pour qu’il y ait cette mobilité croisée de professionnels et d’enseignants, pour que les enseignants de [vos] universités soient à l’aise de collaborer avec des enseignants en Afrique, et en Côte d’Ivoire.
[…] J’espère voir à terme ce mariage de connaissance et finalement d’équivalence de tous les diplômes à tous les niveaux, et aussi à l’ouest du Canada. Il y a également un autre défi à relever, il s’agit des ordres au Canada, des infirmiers, des médecins, des ingénieurs… On ne pourra venir à bout de tous ces obstacles si nous ne mettons pas en place un cadre de concertation à tous les niveaux, il faut qu’un travail préparatoire soit fait depuis l’apprentissage à travers l’interaction qu’il pourrait y avoir avec les enseignants, les institutions, et les universités.
Pour le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, nous avons, avec le Québec, commencé des accords et des ententes avec les universités provinciales et celle de la Côte d’Ivoire; nous avons également entrepris des négociations, des échanges avec la province du Nouveau-Brunswick pour appliquer ce même schéma. Nous sommes en train de regarder du côté du Manitoba pour mettre en place ce même cadre de concertation et avec le consulat honoraire de la République de Côte d’Ivoire en Alberta, […] nous espérons aboutir aux mêmes résultats. Nous partons des provinces pour qu’il y ait une sorte de maillon pour finalement aboutir au niveau fédéral. Nous avons à cœur de régler les problèmes tant au niveau provincial que fédéral.
Le Franco : Kazir Coulibaly est aujourd’hui le consul honoraire de la République de Côte d’Ivoire en Alberta. Le consulat de Calgary couvre toute l’Alberta, pourquoi la nécessité d’un consulat à Calgary?
Son Excellence Bafétigué Ouattara : Calgary, c’est la ville où la dynamique économique de la province se fait sentir. J’en suis à ma troisième visite de Calgary […], on y fait une mission économique, nous avons échangé avec les autorités de l’Alberta sur le potentiel économique de la province et le potentiel est fort à Calgary.
Alors oui, Edmonton est la capitale politique, mais il semble que Calgary soit la capitale économique. Nous avions un consulat dans les deux villes qui sont les poumons de l’Alberta, mais faire de Calgary le fer de lance de la diplomatie ivoirienne dans cette province de l’Alberta, cela fait écho à notre volonté pour la Côte d’Ivoire de trouver un partenaire qui présente les mêmes similitudes que ce que nous avons en Côte d’Ivoire : un monde des affaires florissant, une main-d’œuvre de qualité, une technologie de pointe et, du côté ivoirien, la matière première.
Nous sommes des leaders dans plein de secteurs et nous espérons rencontrer la technologie qui pourrait nous permettre de transformer cette matière première brute que nous vendrons pour que la plus-value que le pays pourrait engranger soit profitable.
Le Franco : Plus on va à l’ouest du Canada, plus on se rapproche de la Chine, de nombreux partenaires chinois seront là à l’installation du nouveau consul honoraire, peut-on dire aujourd’hui que la Côte d’Ivoire est un acteur économique majeur pour les prochaines années avec le monde entier?
Son Excellence Bafétigué Ouattara : On peut et j’insiste, la Côte d’Ivoire est l’acteur majeur pour les prochaines années. Vous savez, depuis 2011 que nous avons commencé notre processus de reconstruction, nous sommes sur une lancée qui est se définit comme le «deuxième miracle ivoirien» et cela ne va pas s’arrêter. La Côte d’Ivoire est le pôle de stabilité de cette région, le pôle économique de cette région, et notre diplomatie est ceci, «ami de tout le monde, ennemi de personne». Vous parlez de la Chine, nous accueillons tous les amis de la Côte d’Ivoire pour autant que la dynamique de progrès se fasse dans la sincérité, la transparence, le partage […] dans une perspective de co-investissement et de codéveloppement mutuellement bénéfique.
Glossaire – Florissant : en expansion, qui se développe grandement