La station Radio Cité, le son du grand Edmonton, est aux prises avec des enjeux financiers considérables depuis un certain temps déjà et, à moins d’un revirement de situation majeur, elle pourrait se voir forcée d’éteindre ses micros à la fin de mars 2023. Ce contexte n’est pas sans rappeler l’incertitude dans laquelle navigue quotidiennement l’ensemble des radios communautaires francophones de l’Alberta.
IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO
Pour «survivre» un mois de plus, Radio Cité a dû demander à ses employés de travailler bénévolement jusqu’au 1er avril. Il n’était pas question de quitter les ondes en plein Mois de la francophonie, affirme Annie McKitrick, qui préside le conseil d’administration du 97,9 FM. Mais cette solution «temporaire» est loin d’être durable. «On travaille fort pour trouver un moyen d’assurer notre survie, mais il n’y a aucune garantie pour la suite, même pour le mois d’avril», laisse entendre l’ancienne politicienne.
Si le conseil d’administration recherche activement une issue de secours pour que la station puisse continuer à émettre, il espère aussi que la «collaboration financière» de la communauté francophone lui permettra de se sortir la tête de l’eau. «Je ne le cacherai pas, on va avoir besoin d’aide si on veut rester en ondes», affirme la présidente. Un travail fastidieux «de chasse à la subvention» a aussi été entamé par la radio communautaire, sauf que cet argent ne risque pas d’arriver de sitôt ni d’agir comme une solution miracle.
La présidente rappelle que les radios communautaires francophones en milieu minoritaire dépendent encore majoritairement des subventions du gouvernement fédéral puisqu’elles ne récoltent pas assez de redevances publicitaires. Le soutien financier du provincial, lui, est quasi inexistant. En ce qui concerne les subventions offertes par Patrimoine canadien, elles ne peuvent être utilisées que sur des projets précis : séries historiques, capsules documentaires, embauche de nouveaux employés, etc. Bref, la portion administrative et les frais courants qu’engendrent la radio ne sont pas couverts par ces fonds, une anomalie qui taraude Annie McKitrick.
«On a besoin de plus d’argent que celui que l’on reçoit pour nos petits projets. Il faudrait avoir des fonds qui puissent nous assurer d’avoir une situation financière durable à long terme». Annie McKitrick.
Du pareil au même
Cette opinion est partagée par la directrice générale de la radio francophone de Plamondon, Alyson Roussel. Selon elle, l’octroi d’un financement de programmation par Patrimoine canadien «changerait la donne» pour les radios communautaires. «Souvent, on doit redoubler d’efforts pour réaliser ces projets que finance le gouvernement et, au final, on n’a plus de temps à fournir à nos émissions normales», explique-t-elle.
Lorsqu’elle observe les difficultés rencontrées par Radio Cité, Alyson ne peut s’empêcher d’imaginer la ligne fine sur laquelle repose la subsistance des radios communautaires francophones. «On est des funambules*. On a toujours l’impression qu’on va tomber dans le vide; pour preuve, c’est ce qui est en train d’arriver à Radio Cité», analyse-t-elle.
La directrice générale espère que Boréal FM ne sera pas la prochaine station à écoper, mais elle demeure réaliste : un cycle d’instabilité n’est jamais bien loin de revenir hanter les radios communautaires. «Nos défis sont récurrents. […] Chaque année, c’est un peu comme la loterie», ironise-t-elle.
Questionnée par la rédaction sur les raisons invoquées par Patrimoine canadien pour ne pas octroyer des sommes pour la programmation, la directrice générale de Boréal FM hésite. «C’est une curieuse question et j’avoue qu’on a obtenu une panoplie de réponses différentes de leur part», indique-t-elle.
Elle mentionne, entre autres, que les «fonds généraux» (qui servent à payer une portion des salaires des gestionnaires et les frais de base d’une radio, par exemple) ne peuvent pas être octroyés aux médias.
«Ce qu’il faut comprendre, c’est que nos radios communautaires, contrairement aux médias traditionnels, ne sont pas là pour faire de l’argent […], mais bien pour supporter et promouvoir la francophonie albertaine. Je ne vois donc pas pourquoi on ne se qualifie pas pour cette subvention». Alyson Roussel.
Trouver des solutions malgré l’épuisement
La directrice générale de la station Nord-Ouest FM, Gisèle Bouchard, va encore plus loin dans son analyse. Elle estime que la table de concertation albertaine, qui devrait pourtant s’occuper «de défendre et représenter les intérêts des médias communautaires francophones au niveau national», néglige de le faire. «On n’a pas notre place, en fait on n’est pas invités à participer. Je sens un grand manque d’ouverture de leur part et […] il faut que ça change», confie-t-elle. En conséquence, l’ethnologue de formation explique que c’est la pérennité même des médias francophones de la province qui est compromise.
L’incertitude qui plane au-dessus de l’avenir de Radio Cité lui rappelle de douloureux souvenirs. Sans être pris dans une aussi grosse «chute libre» que la station d’Edmonton, le 95,7 FM vit, lui aussi, beaucoup d’instabilité. La directrice générale nomme notamment l’angoisse constante de ne pas savoir si elle sera capable de renouveler les contrats de certains de ses plus fidèles employés, l’attente interminable de financement qui n’arrive pas, «même à deux semaines du début d’un projet», et les innombrables heures supplémentaires qu’elle a cumulées dans la dernière année pour garder le cap sur la gestion de la station. «Ça fait trois ans que je suis là et je suis déjà au bout du rouleau», avoue-t-elle.
Afin de ne pas demeurer «à la merci» des subventions fédérales, la station située à Fahler a organisé les 17, 18 et 19 mars dernier la deuxième édition de son radiothon. Au programme, de nombreuses émissions spéciales, des prestations musicales en direct et des tables rondes. Cette grande campagne de financement, qui court jusqu’à la fin de mars, est «l’occasion idéale pour récolter des dons et des commandites». Son objectif : réunir 20 000$ pour soulager les finances de la radio. En date du 24 mars, environ 12 000$ avait été amassé et la station s’attendait à dépasser les 15 000$ d’ici la fin du mois.
Les fonds seront ensuite réinvestis pour établir un service technique de location qui offrira un revenu d’appoint à la station. «On essaie de trouver des façons de générer notre propre argent», affirme Gisèle Bouchard. Elle s’empresse d’ajouter qu’il ne faut pas «pleurer dans notre coin et dire que Patrimoine canadien nous donne pas assez de sous… Il faut agir».
Notons que selon des informations recueillies par Radio-Canada, la station d’Edmonton n’aurait plus que 2 à 3 mois en ondes. Dans une entrevue, le trésorier de la station Kevin Bell aurait révélé un déficit de 150 000 $ et 40 000 $ de dettes à l’Agence du revenu du Canada.
Contacté par courriel, Patrimoine canadien assure son engagement «à soutenir et renforcer l’action culturelle, artistique et patrimoniale des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Cela comprend la réalisation d’investissements dans les médias communautaires tels que les stations de radio», signale Amy Mills, la Cheffe des Relations avec les médias et de la gestion des enjeux.
Elle assure aussi que «le ministère a fourni des fonds à Radio Cité au cours des dernières années à l’appui de ses activités et est au courant de la situation actuelle de l’organisme». Elle souligne aussi que «des représentants du ministère sont en pleine discussion avec Radio Cité afin de fournir des conseils à l’organisme».
On peut souligner aussi que lors de l’annonce du budget fédéral 2023 le mardi 28 mars, le soutien aux médias en milieu minoritaire semblait limité.
Glossaire – Funambule* : Personne qui marche sur une corde tendue