le Vendredi 13 décembre 2024
le Jeudi 25 juillet 2024 16:31 Edmonton

Feux de forêt : la peur fait partie du quotidien des anciens évacués

Le Canada doit lutter très tôt contre ses premiers feux de forêt cette année. Les premières évacuations ont déjà eu lieu. La situation alimente les craintes de nombreux habitants qui ont vécu des mégafeux l’été dernier. Photo : CC0 Domaine public, Pxhere
Le Canada doit lutter très tôt contre ses premiers feux de forêt cette année. Les premières évacuations ont déjà eu lieu. La situation alimente les craintes de nombreux habitants qui ont vécu des mégafeux l’été dernier. Photo : CC0 Domaine public, Pxhere
Après une accalmie des feux de forêts en juin, alors que le mois de mai a été catastrophique, les Canadiens et Canadiennes qui ont vécu les évacuations des dernières années ont encore en tête leur expérience traumatisante. L’inquiétude de revivre le cauchemar ne les quitte pas et teinte leur quotidien alors que de nouveaux foyers s’embrasent.
Feux de forêt : la peur fait partie du quotidien des anciens évacués
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FRANCOPRESSE

Mafily Mae Diabagate avait bénéficié d’un accompagnement psychologique après l’incendie qui avait ravagé Fort McMurray en 2016. Photo : Courtoisie

«Je regarde mon téléphone tous les matins en me réveillant et tous les soirs en me couchant pour checker l’avancée des feux. Si tôt dans la saison, c’est quand même inquiétant. Ce n’est pas toujours facile de s’endormir», confiait Mafily Mae Diabagate, résidente de Fort McMurray, en Alberta.

Un feu de forêt se déchainait alors à une quinzaine de kilomètres de cette ville du nord-ouest de la province, située en pleine forêt boréale, au moment où Francopresse s’est entretenu avec elle. Les habitants se préparaient à une éventuelle évacuation. À l’échelle de l’Alberta, c’était l’un des 44 incendies actifs à ce moment là. 

En mai 2016, les flammes avaient déjà ravagé Fort McMurray, forçant les 90 000 habitants à quitter précipitamment la région. À l’époque, Mafily Mae Diabagate avait fait partie des premières équipes de bénévoles venues nettoyer l’agglomération. Elle se souvient encore du choc à son arrivée dans une «ville fantôme» aux façades fondues et brulées. 

Depuis, la jeune femme a dû apprendre à vivre «sur le qui-vive», avec cette peur constante, «ce quelque chose de pesant derrière la tête», qui s’est instillé dans son quotidien. 

«Mais en même temps, la communauté est aussi plus unie et solidaire. On se comprend, on a les mêmes traumatismes», nuance-t-elle.

En Colombie-Britannique, Céline Beuvens Nicaise et son mari Manu Nicaise se posent de nombreuses questions avec les feux de forêt qui progressent rapidement. Ils pensent déjà à préparer leur sac avec des effets personnels de base pour partir le plus rapidement possible en cas d’évacuation. Photo : Courtoisie

Une fumée qui ne se dissipe pas

Une centaine de feux – dont certains ont débuté l’an passé, mais ne se sont jamais éteints – faisaient également rage en Colombie-Britannique. Des milliers de personnes ont été déplacées étant donné la progression d’un brasier qui s’étendait sur plus de 4000 hectares dans le nord-est de la province. 

«On savait que ça reviendrait. C’est tellement sec, ça me frappe, il ne pleut presque jamais et il fait déjà plus de 26 degrés. Il va falloir qu’on apprenne à vivre avec», se résigne Céline Beuvens Nicaise, qui habite à Kelowna, tout au sud de la Colombie-Britannique.

En aout dernier, elle avait dû quitter son logement avec son mari à cause de l’avancée d’incendies destructeurs. Cette année, le couple ne préfère «pas trop y penser pour ne pas se mettre trop de pression».

Dans les Territoires du Nord-Ouest voisins, les incendies sont en revanche au cœur des conversations. 

«On en parle depuis avril, en fait, on n’a jamais vraiment cessé d’en parler et maintenant on commence à se retrouver autour des barbecues avec un petit bémol. On espère qu’on ne devra pas à nouveau partir, qu’on pourra vraiment profiter de l’été», témoigne Angélique Ruzindana Umunyana, qui habite à Yellowknife depuis 20 ans. 

Stress prétraumatique 

Les mégafeux représentent un évènement traumatique indéniable, en particulier pour celles et ceux qui ont dû fuir face à l’avancée des flammes, qui ont craint pour leur vie et celles de leurs proches. 

Dans le cadre d’une étude menée à Fort McMurray en 2016, Geneviève Belleville, professeure de psychologie à l’Université Laval à Québec, a constaté qu’environ 15 % de la population souffrait d’un trouble de stress posttraumatique à la suite de l’incendie dévastateur. 

Un grand nombre de symptômes caractérisent ce trouble : la personne revit l’évènement en permanence, fait des cauchemars et des insomnies, elle se sent déconnectée de son entourage, son humeur est altérée, etc. 

«Cela peut apparaitre à retardement, des semaines ou des mois après, relève Geneviève  Belleville. Les personnes qui souffrent déjà de problèmes de santé mentale ou qui ont moins de soutien social sont plus à risque.» 

À l’approche d’une nouvelle saison des feux, la psychologue explique qu’il est normal d’éprouver une «inquiétude excessive et d’envisager le pire» : «Le plus important, c’est la manière dont on gère ce stress. Il faut le verbaliser le plus possible.» 

Angélique Ruzindana Umunyana explique que tout le monde parle des feux de forêt à Yellowknife. Tout le monde redoute de nouvelles évacuations. Photo : Courtoisie

«Est-ce qu’on aura encore une maison, une ville à notre retour»

En aout 2023, la Ténoise était parmi les 20 000 habitants qui ont fui la capitale des Territoires du Nord-Ouest, menacée par un important brasier non maitrisé. 

«La fumée était tellement forte, l’air tellement irrespirable, on n’avait pas d’autre choix, il fallait se mettre à l’abri, loin, juste pour respirer», se remémore Angélique Ruzindana Umunyana. 

Pendant trois semaines, elle a vécu avec sa famille dans un hôtel de Rivière-la-paix, la petite ville d’Alberta, à plus de 1000 kilomètres de son domicile. 

Angélique Ruzindana Umunyana se souvient de l’inquiétude qui l’habitait, de cette peur de l’inconnu qui ne la lâchait pas : «Est-ce qu’on aura encore une maison, une ville à notre retour? Quand est-ce qu’on pourra même rentrer chez nous?»

Aujourd’hui, la Canado-Rwandaise tente de se préparer mentalement au retour des feux : «Le niveau des rivières et des lacs est dramatiquement bas, et on a connu des températures ridiculement chaudes l’hiver dernier. On peut craindre un été très difficile.»

La ville de Yellowknife sensibilise déjà la population avec l’organisation de séances d’informations sur les mesures à prendre pour minimiser les risques et faciliter d’éventuelles évacuations. 

«Ils prennent le lead pour nous informer très tôt, ils semblent mieux organisés que l’an dernier, où nous avions pas mal de messages contradictoires. J’essaie de rester positive», observe Angélique Ruzindana Umunyana.

De nombreux éléments préoccupent néanmoins la mère de famille, au premier rang desquels figurent le manque d’argent du gouvernement territorial pour faire face à de tels évènements deux ans de suite et l’accompagnement des sans-abris en cas de nouveau départ.

En Nouvelle-Écosse, Serge Desjardins s’inquiète des difficultés de la province à recruter des pompiers bénévoles pour lutter contre les incendies. Photo : Courtoisie

«Les changements s’emballent, mais que faire?»

Angélique Ruzindana Umunyana doute surtout que les autorités réussissent à convaincre les gens d’évacuer cette année : «J’ai le sentiment qu’on va se tenir prêts, mais qu’on ne va peut-être pas obéir, qu’on va vouloir se protéger nous-mêmes.»  

À l’autre bout du pays, dans la banlieue d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, Serge Desjardins anticipe également avec angoisse une nouvelle saison hors norme.

«Nous avons eu quelques jours de pluie, mais nous n’avons pas eu assez de neige cet hiver. Le sol et la végétation sont très secs. C’est apeurant après ce qu’on a vécu l’an dernier», détaille celui qui est président de la Société canadienne de météorologie et d’océanographie.

En juin 2023, un imposant feu de forêt avait détruit 150 maisons dans cette région du pays et contraint 16 000 personnes à fuir leur domicile.

«Avec le changement climatique, ça ne va pas s’arranger. Notre environnement est beaucoup plus vulnérable. Il faut qu’on investisse davantage pour s’assurer qu’on soit prêts», insiste Serge Desjardins.

À Yellowknife, Angélique Ruzindana Umunyana est consciente que la situation catastrophique de l’été dernier risque de devenir la norme : «Les changements s’emballent, mais que faire? Je n’ai qu’un gros point d’interrogation en guise de réponse. En attendant, j’essaie de faire mon bout de chemin dans ma communauté.»

En dépit de la multiplication des catastrophes naturelles, Mafily Mae Diabagate compte elle aussi rester à Fort McMurray. Elle envisage même de s’acheter une maison. «Après tout ce qu’on a traversé, que peut-il arriver de pire?», lâche-t-elle.

Elle se tient cependant prête à toute éventualité. Elle dispose d’un sac d’évacuation chez elle, d’un autre sur son lieu de travail, sans oublier des bouteilles d’eau dans sa voiture. 

Mafily Mae Diabagate salue à cet égard la qualité du travail de prévention et de sensibilisation des autorités : «On est traumatisés, mais ça ne nous empêche pas de fonctionner, on le supporte, car on fait confiance aux secours pour gérer la situation.»