Bien avant le jugement de la Cour suprême, en juin dernier, le manque d’équivalence des infrastructures scolaires entre le système anglophone et francophone a été soulevé en Alberta. Le Conseil scolaire Centre-Est (CSCE) s’était insurgé contre la province dans les années 2000, mais les deux parties avaient trouvé un terrain d’entente avant de passer devant les tribunaux.
« Je n’accepte pas, je vais vous voir en cour et on va gagner ! », lance en septembre 2002 Léo Piquette, alors président du CSCE, devant une foule de 400 personnes. L’ancien député provincial de la circonscription de Athabasca-Lac La Biche assiste à une assemblée organisée à l’école Racette de Saint-Paul par le conseil scolaire anglophone.
Le gouvernement venait d’annoncer qu’il construira une nouvelle école pour le conseil scolaire anglophone. L’une des raisons évoquées était que l’établissement est trop désuet et les coûts de réparation trop élevés. Surprise ! Lors de cette même réunion, il est annoncé que le Conseil scolaire centre-est recevra le vieux bâtiment de l’école Racette pour loger l’école francophone du Sommet. Le sang de monsieur Piquette n’avait alors fait qu’un tour.
À l’époque, le CSCE négociait depuis un an avec le gouvernement provincial pour obtenir deux nouvelles écoles, une à Bonnyville, l’autre à Saint-Paul. En effet, les deux écoles francophones se trouvaient dans des établissements désuets qui ne répondaient pas aux besoins des élèves. « Nos demandes ont été rejetées très rapidement par la province », relate Réginald Roy, président actuel du CSCE et de la Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta.
Un début de bataille judiciaire
Les parents de Saint-Paul ont alors déposé une cause juridique. « Le conseil les a appuyés et on a commencé une poursuite judiciaire », déclare Réginald Roy. Afin d’attaquer le gouvernement en justice et développer l’argument de l’équivalence, le conseil embauche en 2004, Heenan Blaikie, une firme d’avocats de Toronto. Maître Vaillancourt et son adjoint de l’époque, un certain Mark Power, représente le CSCE.
Pour monter le dossier, Maître Power se remémore quelques-unes des actions posées par la firme, dont l’obtention d’analyses sur l’état des établissements appartenant au Conseil ainsi que des comparaisons et analyses avec des écoles anglophones de Saint-Paul et de Bonnyville. « On a trouvé des parents qui acceptaient de faire l’exercice de comparaisons pour leur enfant et pour les bénéfices de la communauté ».
Le dossier des infrastructures scolaires du CSCE a finalement été réglé en dehors des tribunaux de justice en 2006. La province et le conseil scolaire ont convenu que l’ancien établissement de l’école Racette qui héberge l’école du Sommet serait à la fois agrandi et modernisé. Finalement, en raison du coût trop élevé des
rénovations prévues, le gouvernement cède et décide de construire un nouvel établissement.
Un manque d’appui de la communauté franco-albertaine
Léo Piquette et Réginald Roy relatent qu’à partir de 2002, le CSCE avait demandé l’appui du reste de la communauté franco-albertaine dans ce dossier. Cependant, ils affirment que le conseil scolaire n’avait pas reçu de soutien, ni de l’ACFA ni du CSCN. Si le conseil l’avait eu, ils croient que la situation aurait été différente aujourd’hui.
« Il y a beaucoup de gens qui n’aiment pas les tribunaux. À l’époque, il y avait certains membres de la communauté, dont certains membres influents, qui remettaient peut-être en doute ce choix-là et qui se demandaient si ça ne pouvait peut-être pas nuire d’une certaine façon à la francophonie de l’Alberta », explique Mark Power.
Aujourd’hui, il pense que ces personnes n’auraient pas le même discours et ne remettraient pas en cause les démarches du CSCE quant à la poursuite judiciaire puisque le résultat a été la construction d’une nouvelle école équivalente. Selon lui cette histoire « illustre, à quel point les élus du conseil scolaire de l’époque avaient vu clair et à quel point il faut prendre des décisions difficiles, impopulaires ou qui ne font pas l’unanimité pour faire avancer les choses ».
La suite, on la connaît. L’avocat devenu spécialiste des questions linguistiques a permis, avec son propre cabinet (Power Law) créé en 2014, au conseil scolaire de Colombie-Britannique d’obtenir la victoire face à leur gouvernement provincial. En juin dernier, la Cour suprême du Canada donnait raison à l’argument selon lequel les infrastructures des systèmes scolaires anglophones et francophones devraient être équivalentes.
Un avenir meilleur
Grâce à ce jugement de la Cour suprême, Mark Power mentionne que d’ici une à deux générations, le réseau des conseils scolaires francophones sera beaucoup plus développé. « Il y aura un bien plus grand nombre d’écoles desservant des secteurs de fréquentation plus petits et donc, plus accessibles ».
De plus, il indique que le réseau scolaire francophone ressemblera davantage au réseau scolaire anglophone. « Dans les grands centres dont Edmonton et Calgary, on peut s’entendre, d’ici une génération à des écoles spécialisées comme des écoles secondaires concentrées en sports, en science, dans les arts visuels par exemple ». De l’espoir au bout du tunnel !