IJL – Réseau.Presse – Le Franco
Le changement de mentalité qui s’est opéré au sein du CSCN en est un de longue haleine. À force de «petites prises de conscience» et de «conversations parfois malaisantes, mais nécessaires», la direction du CSCN a commencé à nommer «les choses plus clairement», par exemple le «manque de diversité» au sein de son personnel enseignant, admet le directeur général du CSCN Robert Lessard en toute transparence.
Aujourd’hui, le conseil scolaire fait preuve d’une sensibilité accrue pour favoriser l’embauche d’enseignants racisés. «C’est important pour nous parce qu’on veut fournir [davantage] de modèles et de mentors à notre population étudiante qui est issue de la diversité», ajoute-t-il. Le plus récent sondage mené par le CSCN en témoigne : «28% des enseignants affirment être issus de la minorité visible», avance le directeur général. En 2016, c’était 18% du corps enseignant qui avait répondu par l’affirmative à cette question. «On a fait beaucoup de chemin de ce côté», se réjouit-il.
Plus récemment, il a aussi été question de mettre en place une initiative d’insertion professionnelle pour encadrer l’arrivée en poste de ces enseignants racisés. «On cherche à recueillir de l’information pour mieux comprendre la dynamique qui se joue lorsque ces professeurs intègrent les salles de classe. On veut assurer leur réussite», résume Robert Lessard. Cette initiative, rappelle-t-il, fait partie d’une série de mesures qui ont été mises en œuvre récemment par le CSCN avec l’aide de Carl James, un professeur de l’Université York en Ontario. La rédaction du Franco avait analysé les balbutiements de ce travail en 2022.
Le CSCN passe à l’action…
Entre autres, l’équipe de chercheurs assemblée par Carl James a conçu des formations pour sensibiliser le personnel et les directions des écoles à l’importance de la diversité, relate le directeur général du CSCN. «On a reçu de la formation sur la gestion de ressources humaines et sur la gestion interculturelle», donne-t-il en exemple. Deux guides seront aussi lancés au cours des prochains mois pour donner des outils aux directions d’école, aux enseignants et aux bibliothécaires afin «qu’ils choisissent des ressources inclusives et créent des environnements scolaires antiracistes».
Toutefois, le projet dont Robert Lessard est le plus fier est celui qui permettra bientôt au CSCN d’obtenir des données démographiques exactes sur sa population étudiante à l’aide d’un recensement. «Quand les histoires de 2020 sont arrivées, on s’est rendu compte qu’on recueillait très peu d’informations et de données sur notre population étudiante», se remémore-t-il. Le recensement «changera la donne» et permettra au CSCN d’analyser plus clairement ce qui se passe dans ses écoles.
Sur le terrain, Victor Moke Ngala, qui est enseignant suppléant dans les écoles du CSCN et président de Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP), voit très clairement les efforts mis en place par son employeur pour accroître le pourcentage d’enseignants racisés au sein des établissements scolaires.
«Il y a beaucoup plus de professeurs noirs qu’avant et une meilleure ouverture face à la diversité en général. Je vois beaucoup de bonne volonté», appuie-t-il. De manière encore plus significative, il estime que la confiance a été rétablie entre la direction générale du CSCN et le personnel racisé de ses écoles. «On a un meilleur dialogue et une meilleure collaboration.»
Cette opinion est aussi partagée par Yao Datté qui travaille comme conseiller en établissement pour le Centre d’accueil pour nouveaux arrivants francophones (CANAF) et qui est appelé à intervenir fréquemment dans les écoles du CSCN. «Quand je suis arrivé en Alberta en 2012, c’était quasiment inexistant des enseignants noirs dans les établissements francophones», se rappelle l’homme d’origine ivoirienne. Aujourd’hui, «leur nombre a vraiment augmenté, surtout à Edmonton», juge-t-il. Il est d’ailleurs difficile pour Le Franco de connaître la situation au sud de la province, car le Conseil scolaire FrancoSud ne tient pas de telles données, a confirmé un représentant au moment de la rédaction de cet article.
Un travail en continu
L’embauche d’enseignants racisés est cruciale pour inspirer la communauté noire, insiste Yao Datté. «Quand les enfants noirs côtoient seulement des professeurs blancs et des directeurs blancs, qu’est-ce que ça envoie comme message?», s’interroge-t-il. «C’est comme si on dit, votre place n’est pas dans ces métiers, votre place est dans les entrepôts à balayer le plancher.»
L’Ivoirien d’origine souhaite que les efforts du CSCN puissent cimenter des changements systémiques «sur le long terme» au sein du milieu éducationnel albertain. Pour ce faire, la population étudiante caucasienne devra, elle aussi, s’accoutumer «à ce nouveau paysage plus coloré». «Ce n’est pas pour être négatif, mais je perçois encore un petit pas de recul de certains enfants blancs quand j’arrive dans les écoles.» Il admet que c’est peut-être une illusion de sa part, mais c’est le constat qu’il fait.
Victor Moke Ngala, lui aussi, fait part de ressentis similaires. «Personne ne va l’exprimer comme ça, mais j’ai l’impression que c’est peut-être encore l’idée de l’homme noir qui crée une inquiétude. […] Parfois, je sens qu’on doute de moi ou de mes compétences», ajoute l’enseignant. Qu’ils soient racisme ordinaire ou vestiges d’un temps révolu au CSCN, ces «non-dits» que décrivent les deux hommes démontrent «le chemin qu’il reste à faire» pour que le système éducationnel franco-albertain soit exempt de toute discrimination, estime Victor. «Mais, au moins, nous avançons dans la bonne direction», rappelle-t-il.
Des Noirs dans les postes de direction
Parmi les efforts «remarquables» du CSCN, Yao Datté applaudit l’arrivée en poste de Serge Afana, «un homme noir d’origine camerounaise» qui a été nommé directeur de l’école À la Découverte en 2022. Il fait suite à Firmin Guédélé et Abigail Lawrence qui ont tous deux occupé le poste de directeur et directrice de cette école qui dessert la communauté de Queen Mary Park d’Edmonton. Une autre femme noire, Haboon Osman-Hachi, a été directrice adjointe de l’école publique Gabrielle-Roy avant d’être nommée directrice de l’école Michaëlle-Jean. «Non seulement ils engagent des professeurs [noirs], mais en plus, on voit de la couleur s’ajouter dans les postes de direction et aussi chez le personnel de soutien», s’enthousiasme Yao Datté.
Cet enjeu de représentativité au sein des postes de gestion alimente justement une partie de la réflexion de Robert Lessard ces jours-ci. «On veut inciter plus de personnes issues de la minorité à prendre ces rôles de leadership», explique-t-il. Selon lui, il ne faut pas simplement engager des enseignants noirs, mais aussi «des directions d’école et des chefs de département». Peut-être même qu’un jour «on verra un directeur général [issu de la diversité] à la tête du Conseil», conclut-il.