À la tête du groupe Parents for Screen-Free Elementary Education in Sudbury (Parents en faveur d’une éducation élémentaire sans écran à Sudbury), il y a Dre Emily Dubé et Steffen Reppich.
Lorsque Mme Dubé discutait de ses inquiétudes par rapport au temps passé devant les écrans à l’école, les travailleurs de l’éducation lui répondaient qu’elle «faisait partie d’une minorité de parents».
Elle et son conjoint ont donc entrepris de vérifier s’ils faisaient vraiment partie d’une minorité. Grâce à un sondage, ils ont pu recueillir les réponses de 100 parents, représentant 153 élèves. Leurs résultats (voir l’encadré) semblent indiquer qu’ils font peut-être plutôt partie d’une majorité silencieuse.
«Même si une majorité de nos parents veut une école sans aucun écran, moins d’un quart ont demandé des limites ou se sont plaint ou ont demandé autre chose à l’administration de leur école, explique Emily Dubé. Je crois que si on leur en offrait l’option, beaucoup de parents choisiraient de mettre leurs enfants du primaire dans une salle de classe ou une école où les écrans ne sont pas utilisés quotidiennement.»
Au printemps, un conseil de parents relié au groupe a fait un sondage dans une école du Grand Sudbury. Un peu plus de la moitié souhaitait une diminution de 20 à 40 % de l’utilisation des écrans ou leur disparition.
Les échantillons et la méthode de distribution des sondages ne permettent pas d’extrapoler les données à toute la population, mais démontrent tout de même qu’un nombre non négligeable de parents aimeraient une option sans écran.
Une trentaine de parents ont choisi de continuer à s’impliquer avec Mme Dubé et son époux. Un groupe de parents d’une même école ont même réussi à réduire le temps d’écran pendant le diner.
Changements d’habitudes
Mme Dubé utilise au minimum les écrans. Elle le fait surtout pour son travail. Ses enfants n’ont pour l’instant pas de temps d’écran. Elle insiste tout de même sur le fait que leur groupe n’est pas contre la technologie.
Cependant, «il y a beaucoup de parents qui ne savent pas comment les écrans sont utilisés et quel contenu leurs enfants ont à l’école».
Il est difficile, voire impossible, pour les enseignants de surveiller ce que font les enfants sur leurs appareils. Des données anecdotiques indiquent que les enfants savent comment regarder une vidéo pendant qu’ils travaillent dans un autre logiciel ou passent à travers leurs travaux plus rapidement pour jouer.
Lorsqu’ils demandent à leurs enfants, «les parents sont souvent étonnés d’apprendre à quel point les enfants sont sur YouTube ou en train de regarder des émissions de télévision de façon très régulière», rapporte Mme Dubé.
Elle déplore surtout l’absence d’alternatives dans la région. L’école à la maison peut en être une, mais elle n’est pas possible pour tout le monde. Mme Dubé croit au système d’éducation public et tient aussi à ce que ses enfants aient des interactions avec d’autres enfants, qu’ils acquièrent des compétences sociales.
Effets néfastes
Ordinateurs, tablettes, tableaux interactifs… les écrans sont de plus en plus présents dans les écoles. Dans ses recherches, Mme Dubé a vu des rapports qui remettent en question les effets sur l’apprentissage de la lecture et sur l’environnement de la salle de classe, entre autres.
Les effets négatifs de la surutilisation des ordinateurs et des écrans sont mieux documentés. Ils peuvent inclure l’adoption de comportements sédentaires, de moins bonnes interactions avec les autres, des problèmes de sommeil, des maux de tête, des problèmes de vision, des problèmes de comportement… «Ce sont des choses que je commence à voir beaucoup à ma clinique de médecine familiale», note Emily Dubé.
Ces effets sont indépendants du contenu regardé, qui lui peut entrainer d’autres problèmes.
Plus près de nous, le groupe consultatif scientifique ontarien de lutte contre la COVID-19 souligne que les données sur l’effet d’une plus grande utilisation des écrans pendant la pandémie sont rares. Le groupe de scientifiques est cependant de l’avis que les autres recherches permettent d’extrapoler qu’ils ont largement eu un impact négatif.
Population sondée
100 parents sondés représentant 153 élèves au primaire à Sudbury. 20 % des parents étaient des enseignants.
Résultats
- 84 % des parents voudraient une option sans écrans
- 38 % ont répondu qu’il changerait de conseil pour une option sans écrans
Une voix manquée:
Malgré, nos résultats, seulement 22 % des parents ont demandé des limites sur le temps à l’écran dans la classe de leur enfant.
75 % des enseignants sondés enseigneraient dans une classe sans écrans
Ou des effets inconnus
Il est actuellement difficile de savoir s’il y a assez d’effets positifs pour justifier l’utilisation de la technologie en classe ou pour contrecarrer ses effets négatifs.
Selon le rapport Les technologies dans l’éducation : Qui est aux commandes? de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), les données manquent pour affirmer qu’il y a une valeur ajoutée à la technologie en salle de classe.
«La cadence rapide d’évolution des technologies rend leur évaluation difficile : les produits technologiques éducatifs changent tous les 36 mois en moyenne. La plupart des données sont issues des pays les plus riches», peut-on lire dans le rapport.
De plus, la majorité des données existantes «proviennent des entités qui cherchent à vendre ces technologies».
L’UNESCO ne rejette pas d’emblée toute utilisation de la technologie. Le rapport note qu’elle peut être «une bouée de sauvetage» dans certaines circonstances. Elles ouvrent par exemple de nouvelles possibilités aux personnes handicapées, peuvent rejoindre des populations difficiles à atteindre et ont limité les dégâts de la fermeture des écoles pendant la pandémie.
Par contre, en plus des effets néfastes mentionnés ci-dessus, elles peuvent accroitre les inégalités et peuvent être dommageables «en cas d’utilisation inappropriée ou excessive».
Responsabilité et vie privée
Emily Dubé veut rappeler aux conseils scolaires qu’ils sont responsables de la qualité de l’éducation qu’ils livrent; aussi bien pendant les cours que pendant les temps libres.
Le rapport de l’UNESCO met en doute l’efficacité des logiciels commerciaux utilisés en éducation, notant que «les intérêts commerciaux du secteur privé peuvent entrer en conflit avec les objectifs d’équité, de qualité et d’efficacité des pouvoirs publics».
Mme Dubé a aussi découvert que certains logiciels utilisés par des conseils scolaires de l’Ontario ont une clause de non-responsabilité. Ils n’offrent aucune promesse ou garantie que leur logiciel est un outil d’apprentissage efficace.
Un autre effet souvent mis de côté, dit Mme Dubé, est le risque d’atteinte à la vie privée des enfants. Le même rapport de l’UNESCO souligne que l’analyse de «89 % des 163 produits technologiques éducatifs recommandés pour l’apprentissage des enfants pendant la pandémie de COVID-19 pouvaient surveiller ou ont surveillé les enfants en dehors des heures de cours ou des contextes éducatifs».
Le groupe de parent a fait une présentation devant les conseillers du Conseil scolaire du Grand Nord lors de leur réunion du 30 aout. Ils attendent l’occasion de faire leur présentation aux trois autres conseils scolaires basés à Sudbury.
Glossaire – Déplorer : Juger fâcheux, regrettable, désapprouver vivement