Mais avant de plonger dans le monde artistique, Diana a eu un parcours plutôt atypique. Née au Québec, elle a vécu en Afrique pendant la plus grande partie de son adolescence en raison des obligations professionnelles de son père. Dans les années 1990, elle retourne au Canada et s’installe à Sherbrooke pour entreprendre des études universitaires en génie chimique.
Et puis, un jour, son monde bascule. Sa mère, qui lui avait déjà évoqué ses racines algonquiennes, révèle alors avoir été internée dans une école résidentielle. Ses deux oncles de même.
«Quand elle m’a annoncé qu’on avait un héritage autochtone, ça a été un choc d’abord […], mais quand j’ai appris les choses qui s’étaient passées dans les pensionnats, ça a été un autre choc. J’ai enfin compris pourquoi ma famille avait autant de défis de connexion et de démonstration d’amour», raconte l’artiste.
Dès lors, Diana cherche à se reconnecter avec la culture qui lui a été dérobée. Sa mère, ayant passé l’essentiel de sa vie en pensionnat, en connaissait à peine les rudiments. «Elle ne m’a jamais parlé des terribles choses qui lui sont arrivées. Elle en a seulement discuté avec mon père. Et elle n’a pu nous enseigner notre culture et nos traditions parce qu’elle a perdu ces connaissances avec le temps», partage cette Métisse algonquine sur le ton de la confidence.
Rappelons que, selon le gouvernement du Canada, environ 150 000 enfants des Premières Nations, des Inuits et des Métis auraient fréquenté le système des pensionnats autochtones. Ces établissements ont été imposés «dans le cadre d’un vaste ensemble d’efforts délibérés d’assimilation visant à détruire [les] cultures et identités riches et à annihiler [les] histoires [autochtones]», écrit Parcs Canada.
Changer son fusil d’épaule
À la suite de ses études universitaires, Diana cherche à soutenir les populations démunies en mettant en œuvre des projets d’eau et d’assainissement. Son travail d’ingénieure la transporte dans des pays en voie de développement et aussi en Alberta où elle décide finalement de s’établir. Mais tout bas, cette femme aux multiples talents nourrit également l’ambition de soutenir les communautés autochtones afin de généraliser leur accès, encore trop rare, à l’eau potable.
En effet, en date du 21 août 2023, vingt-six communautés étaient encore visées par des avis concernant la qualité de l’eau à long terme selon Services aux Autochtones Canada. Une situation qu’Amnistie internationale décrit comme une forme de «discrimination systémique» et de violation des «droits fondamentaux».
Les choses prennent cependant une tournure totalement différente pour Diana lorsqu’elle s’éveille d’un rêve en 2016. «J’ai rêvé que je travaillais sur un projet de série de livres à colorier en collaboration avec des aînés», partage-t-elle avec enthousiasme.
Elle décide alors de troquer son chapeau d’ingénieure pour celui d’entrepreneure et fonde Colour It Forward (CIF), une entreprise sociale, pour concrétiser sa vision. Elle nourrit l’espoir que la guérison des peuples autochtones puisse être accomplie à travers l’art, en partageant les histoires et en mobilisant la population canadienne autour du thème de la réconciliation.
«On vend des livres, des journaux, des cartes et toutes sortes d’autres objets pour aider les gens à se rapprocher de la culture autochtone et à prendre action pour la vérité et la réconciliation. D’ailleurs, on préfère utiliser le terme réconciliACTION», explique-t-elle
Des livres à colorier prennent vie, eux aussi, en collaboration avec des aînés et des artistes autochtones, comme le subconscient de Diana lui avait suggéré. «Quand j’ai commencé à me rapprocher de ma culture, j’ai beaucoup lu, mais ce n’est pas avant de m’être assise avec les aînés et d’avoir écouté leurs enseignements que j’ai compris la valeur de la spiritualité autochtone. Si j’avais conçu un livre à colorier sans leurs enseignements, la valeur de ce livre n’aurait pas été bien grande», analyse Diana.
Cependant, l’entrepreneure voit encore plus grand. Elle souhaite intégrer l’art de façon encore plus tangible à son quotidien à travers des ateliers, des expositions et des événements artistiques organisés en collaboration avec d’autres créateurs autochtones. Pour s’en donner les moyens, Diana crée, quelques mois plus tard, une organisation sans but lucratif, la CIF Reconciliation Society (CIFRS).
Expositions d’art autochtone dans des galeries de Calgary, marchés artisanaux, revitalisation des langues : la CIFRS vise un large spectre d’activités.
«Tout ce qu’on fait à la Société inclut une composante artistique. Avec l’art, on peut générer des conversations vraiment intéressantes sur des sujets dont on ne parle pas normalement. Les gens ont le cœur plus ouvert. Ça brise le tabou et ça nous permet d’être écoutés et vus. Ce qui empêche la réconciliation, c’est justement le manque de visibilité des Autochtones et des problématiques qui affectent les communautés», explique Diana avec conviction.
En plus de ce volet où les talents s’entrecroisent, elle organise en 2019 une première «Pokaiks». Une marche en mémoire des enfants autochtones qui ont été victimes du système des pensionnats. Un événement annuel qui est désormais célébré à Calgary chaque 30 septembre.
Une mission commune
Pour que le travail de la CIFRS demeure authentique, l’entrepreneure insiste sur l’importance de collaborer étroitement avec les membres des communautés autochtones. C’est pourquoi elle cherche à inclure les savoirs des aînés et à consulter ses pairs aussi souvent que possible. «Dans le travail que je fais, la seule approche qui est confortable et qui a du sens, c’est quand je travaille avec les artistes, avec les aînés et avec la communauté. Comme je n’ai pas été élevée dans ma culture, pour moi, c’est une façon de m’assurer que tout ce que je produis est juste et respectueux de tous», explique-t-elle.
Cette démarche communautaire exige également que d’autres soient consultés et impliqués. «Quand je dis « communauté », je veux dire tout le monde. Ça inclut les non-Autochtones», souligne l’artiste. Selon elle, le processus de réconciliation ne peut s’accomplir que si une collaboration existe entre tous les Canadiens dans le but de trouver des solutions concrètes face aux enjeux de discrimination systémique qui persistent au pays.
«La réconciliation, ça n’appartient pas seulement aux Autochtones. Lorsqu’il y a un groupe dans notre pays qui souffre, c’est nous tous qui souffrons. On doit tous s’impliquer, sinon on ne trouvera pas des solutions gagnant-gagnant et, surtout, aucune de nos actions ne sera durable», appuie Diana avec sérieux.
Dans cet objectif, Diana Frost inclut aussi la communauté francophone en l’impliquant dans son travail de «réconciliACTION» L’entrepreneure envisage d’offrir, grâce à CIF Reconciliation Society, des ateliers en français aux écoles de l’Alberta. «Pourquoi pas? C’est très possible que nos ateliers soient offerts en langue française très bientôt», affirme-t-elle.
Glossaire – Subconscient : État psychique dont on n’a pas conscience, mais qui influence le comportement