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le Mercredi 25 octobre 2023 18:15 Éducation

La transition vers l’anglais, un aspect sous-estimé des études universitaires

Campus Saint-Jean Hiver - Photo : Archives Le Franco
Campus Saint-Jean Hiver - Photo : Archives Le Franco
(IJL - RÉSEAU.PRESSE - LE FRANCO) - La conclusion du parcours à l’école secondaire en français s’accompagne parfois d’une période de deuil et d’ajustement pour de nombreux étudiants francophones de l’Alberta qui doivent effectuer une transition vers des programmes universitaires en anglais en raison du manque d’options dans leur langue maternelle.
La transition vers l’anglais, un aspect sous-estimé des études universitaires
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Marjorie Lépine étudie au baccalauréat en kinésiologie avec mention à l’Université de l’Alberta depuis 2021. Photo : Courtoisie

«Dans ma première année d’études à l’université, j’avais toujours une page Google Traduction d’ouverte en prenant mes notes. J’avais besoin de traduire les termes pour comprendre de quoi les professeurs parlaient en classe», explique d’entrée de jeu Marjorie Lépine qui étudie au baccalauréat en kinésiologie avec mention à l’Université de l’Alberta depuis 2021. 

Cette Franco-Albertaine de vingt-deux ans a suivi l’intégralité de sa scolarité en français à l’École Maurice-Lavallée, à Edmonton, avant d’entamer son parcours universitaire. Et bien qu’elle soit bilingue, lorsqu’elle se remémore ses premiers mois d’études en anglais, Marjorie évoque un ajustement «très difficile». «Il y a beaucoup de termes en mathématiques et en statistiques que j’ai appris en français et que je ne connaissais pas nécessairement en anglais. J’avais l’impression d’avoir une longueur de retard», avance-t-elle.

Deux ans et demi plus tard, Marjorie dit avoir réussi à s’adapter aux études en anglais, mais, en même temps, elle regrette d’avoir perdu une partie de ses compétences dans sa langue maternelle. «Maintenant, quand je lis des articles en français en kinésiologie, j’ai de la difficulté à comprendre le vocabulaire, ce qui est encore plus frustrant. J’aimais l’idée d’étudier en français parce que, comme on habite dans un milieu majoritaire anglophone, ça me permettait d’atteindre un équilibre», analyse Marjorie. Un équilibre qui semble aujourd’hui avoir vacillé, ajoute-t-elle.

Une situation qui est loin d’être unique

La situation décrite par Marjorie est monnaie courante en Alberta. De nombreux élèves de douzième année optent pour des programmes universitaires en anglais, faute de trouver un équivalent dans leur langue. Gloria Sanouvi-Awoga se retrouve justement à cette croisée des chemins. À 17 ans, elle a déjà identifié le baccalauréat qu’elle souhaite entreprendre à partir de septembre 2024. Cependant, le programme de ses rêves n’est proposé qu’en anglais, à l’Université de l’Alberta. 

«Je compte faire un baccalauréat en sciences et me spécialiser en neurosciences. C’est un monde très compétitif où gravitent peu de francophones. Je pense que l’espace pour des chercheurs qui parlent français est plus restreint dans ce domaine», analyse cette élève de douzième année à l’École Alexandre-Taché, à Saint-Albert.

Même si elle se sente préparée aux ajustements exigés par le passage du français à l’anglais comme langue d’études, Gloria a du mal à dissimuler sa nervosité. Elle sait qu’elle aura un grand défi à relever. «Il y a quelques années, on m’a demandé “what’s a slope” en anglais et je ne savais pas de quoi on parlait parce qu’une slope pour moi, c’est une pente et ça restera toujours une pente», raconte-t-elle sur le ton de la blague. 

Tout comme Marjorie, Gloria estime que les occasions pour les francophones de s’exprimer dans leur langue, en milieu minoritaire, sont limitées. Comme il n’est pas toujours aisé de parler le français au quotidien, l’école devient ainsi un espace privilégié pour garder la langue en vie. Sans cette occasion de pratiquer son français, elle craint que son niveau puisse diminuer. 

«Je sais déjà c’est quoi perdre sa langue. J’ai perdu ma langue maternelle, l’éwé, en trois mois en arrivant au Québec», explique cette Togolaise d’origine, avant d’ajouter que de perdre son français équivaudrait «à un véritable cauchemar».

Gloria Sanouvi-Awoga compte amorcer ses études en neurosciences en septembre 2024. Photo : Courtoisie

Appel à une bonification des cours offerts

Pour permettre à davantage de francophones d’étudier dans leur langue, Marjorie Lépine aimerait que les options de programmes soient bonifiées au Campus Saint-Jean. Elle suggère également, dans l’optique où il serait trop ardu d’ajouter des programmes, d’augmenter le nombre de cours disponibles à la faculté francophone. «Je pense que ça aiderait d’avoir au moins quelques cours en français, on pourrait maintenir le lien avec notre langue et ça rétablirait un peu d’équilibre dans la transition vers l’anglais aussi», mentionne-t-elle. 

Gloria partage une réflexion similaire et ajoute qu’en ayant la possibilité de suivre quelques cours en français au Campus Saint-Jean, cela lui permettrait aussi de tisser des liens amicaux avec d’autres francophones de son âge. «Même si le but principal de l’école n’est pas l’aspect social, c’est là où nous fondons souvent nos amitiés. La langue joue un rôle prépondérant dans ces relations et si j’étudie en anglais, mon réseau sera principalement composé de personnes anglophones», déplore-t-elle.

En attendant que l’offre de cours soit bonifiée au Campus, les deux jeunes femmes espèrent continuer à s’impliquer dans la communauté pour maintenir leur ancrage à la francophonie. Marjorie lance l’idée, par exemple, d’offrir des services dans les deux langues si jamais elle ouvre sa propre clinique de kinésiologie. Gloria, elle, aspire à publier un jour des articles scientifiques en français afin d’ouvrir des portes à d’autres francophones. «Ce n’est pas parce que tu es chercheuse en neurosciences que subitement tu dois publier et parler en anglais», conclut-elle.

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