Le Franco : Vous avez une feuille de route étoffée. Avec une carrière dans l’éducation depuis 34 ans, des postes clés au sein du système d’éducation franco-manitobain et du Calgary Catholic School District, de quelle manière votre riche expérience professionnelle peut-elle vous orienter à travers ce nouveau défi au FrancoSud?
M.B. : Tout au long de mon parcours professionnel, je pense que j’ai acquis une compréhension assez approfondie des systèmes éducatifs et des besoins diversifiés des élèves, c’est ce que je répondrais dans un premier temps. Mais aussi, je pense avoir joué un rôle actif dans le renforcement et la promotion de l’identité francophone en milieu minoritaire.
J’ai commencé ma carrière comme enseignante de musique dans une classe de troisième année. J’ai ensuite suivi des cours pour devenir chef d’orchestre. J’ai fait ça pendant plusieurs années au Collège Jeanne-Sauvé, du Manitoba. Quand je suis arrivée ici, à Calgary, j’étais chef d’orchestre dans une école. C’est à ce moment-là qu’une de mes directrices m’a interpellée en me demandant pourquoi je n’envisageais pas de passer à l’administration. Je n’étais pas du tout convaincue, mais elle a insisté et j’ai finalement été embauchée comme adjointe. C’est là où ça a commencé.
Après ça, j’ai dirigé des écoles de toutes tailles, que ce soit de la maternelle à la neuvième année, de la neuvième année à la douzième année. J’ai lancé, avec l’aide de mes équipes, deux programmes d’immersion dans des écoles de Calgary. J’ai aussi dirigé des écoles en milieux ruraux, une école avec des élèves qui avaient des besoins spéciaux. Bref, je pense avoir été bien préparé à ce qui m’attend.
Le Franco : J’imagine que le fait d’avoir accumulé de l’expérience dans près d’une dizaine d’écoles, à Calgary et en milieu rural, vous confère une compréhension approfondie des besoins spécifiques des communautés, sachant que ceux-ci peuvent varier d’un quartier à l’autre ou d’une ville à l’autre?
M.B. : La communauté d’Airdrie, la communauté du nord-est de Calgary ou celle du nord-ouest ou encore du sud ou du centre ont des besoins très différents. Moi, je me dis toujours que c’est comme si j’avais porté un [sac à dos] pendant toutes ces années et, à chaque école, j’apprenais quelque chose de nouveau, j’apprenais à gérer d’une manière différente.
Et ce qui me motive vraiment profondément comme leader, c’est la collaboration. Cette collaboration-là doit avoir lieu avec tous les membres de la communauté : les enseignants, les parents, les partenaires. De devoir [entretenir] cette collaboration, ça m’a permis de m’ouvrir aux différences et aux diversités d’opinions. C’est ce qui permet, au final, de m’assurer que chaque élève bénéficie d’une éducation de qualité et du soutien nécessaire pour réaliser son plein potentiel.
Le Franco : Vous venez à peine d’entrer en poste, avez-vous déjà établi des objectifs spécifiques pour les prochains mois et les prochaines années?
M.B. : C’est certain qu’en ce moment, c’est très préliminaire [rires]. Ce que je peux dire, c’est que ma vision de l’éducation en français est orientée vers l’innovation et l’excellence. Au FrancoSud, dans les dernières années, on a vraiment augmenté notre nombre d’élèves et de personnel. Je crois que ça fait en sorte qu’on est rendus à une sorte de croisement. On doit se mettre à jour! On est de taille moyenne maintenant et il faut être en mesure de répondre à une clientèle plus large.
Il faut commencer à regarder si on doit ajouter des services pour mieux répondre aux besoins de nos élèves. Il faut analyser nos processus et notre façon de faire pour s’assurer qu’on soit efficace. Si on me repose la question dans six mois, je vais pouvoir donner plus de détails, mais c’est certain que j’ai plein d’idées et d’initiatives à proposer au sein de notre siège social. J’ai pu analyser la gestion dans plusieurs écoles et j’ai envie d’apporter ce bagage-là ici. Je sais ce qui a bien fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné.
La communication, la diversité, l’inclusion, l’engagement communautaire, la transparence, ce sont toutes des valeurs qui me guideront, comme une boussole, à travers mon nouveau mandat. Dès que je pourrai donner plus de détails, je le ferai.
Le Franco : On sait qu’environ 67 000 enfants sont admissibles à l’instruction en français en Alberta, dont 50 000 qui sont d’âge scolaire. La proportion d’enfants inscrits dans le système francophone est pourtant la plus basse au Canada. Quelle stratégie envisagez-vous pour élargir davantage le nombre d’élèves et garantir que ceux qui ont le droit d’accéder au réseau francophone y soient effectivement intégrés?
M.B. : D’abord, on travaille avec le recensement pour identifier les régions où se trouvent les ayants droit. C’est la première étape. Nos conseillers scolaires font ensuite un très bon travail de démarchage pour avoir des conversations avec les francophones et toutes les parties prenantes de ces régions.
On cherche à voir, dans les communautés où on a identifié des ayants droits, s’il y a de l’intérêt pour de la programmation francophone. On a de beaux succès avec ça, comme à Cardston où des parents ont approché le Conseil et les conseillers scolaires pour avoir des cours en français offerts dans leur ville, dans un édifice qu’on loue. En fonction du succès de chaque essai […], on peut déterminer s’il y a vraiment de l’intérêt […] pour un projet d’école.
On envisage de faire la même chose dans d’autres communautés. On cible certaines régions […] à Calgary et ailleurs dans le sud de la province.
Le Franco : La question de la rétention des élèves est souvent discutée, en particulier lors de moments cruciaux où les élèves pourraient être tentés de changer d’école et s’orienter vers le système anglophone. Les données du Conseil scolaire FrancoSud indiquent qu’entre 80 et 90% des élèves effectuent la transition entre la 6e et la 7e année, mais «seulement» 60 à 70% poursuivent de la neuvième à la dixième année. Quelles sont les raisons de ce décalage et quelles solutions envisagez-vous pour améliorer cette situation?
M.B. : L’équipe de services éducatifs et moi avons eu des conversations préliminaires avec les directions d’écoles secondaires pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe. Ces conversations ne datent pas d’hier, elles ont lieu depuis plusieurs années.
Mais là, on veut regarder la programmation scolaire et l’organisation scolaire pour trouver des solutions innovantes. La pandémie a eu ça de bon : on sait qu’il y a d’autres façons de faire. Il y aurait peut-être l’idée de partager des cours entre certaines écoles, avec un professeur pour une certaine matière, afin de mieux utiliser nos ressources, mais c’est très, très préliminaire, on est encore en discussion par rapport à ça, alors je ne peux pas en dire plus.
Le Franco : En terminant, le premier anniversaire de ChatGPT a été célébré en novembre dernier. J’aimerais connaître votre perception de cet outil, sachant que l’intelligence artificielle peut être un outil sensationnel pour le milieu de l’éducation, mais aussi susciter des préoccupations éthiques, notamment en ce qui concerne le plagiat.
M.B. : Je vais utiliser l’analogie parfaite. Quand le téléphone cellulaire est arrivé sur le marché, on a voulu l’interdire dans les écoles. Avec le temps, on a finalement réalisé que ça pouvait devenir un bon outil éducatif, alors on a décidé de tolérer son utilisation. Mais il a fallu faire de l’éducation pour s’assurer qu’il n’y ait pas de débordements.
Quand on parle de l’intelligence artificielle, je pense que c’est la même logique. On doit éduquer, informer. J’aimerais qu’il y ait des formations à tous les niveaux sur les moyens positifs d’utiliser cet outil et sur les risques. On ne veut pas bannir ChatGPT, mais s’assurer que les élèves, s’ils l’utilisent, le font de manière adéquate.
Glossaire – Étoffé : Riche, abondant