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le Mercredi 6 mars 2024 18:54 Éducation

Les effets du manque de représentativité des Afro-Canadiens à l’école

Bucheron noir à Shelburne, en Nouvelle-Écosse, en 1788. Photo : Bibliothèque et Archives Canada, collection W.H. Coverdale de Canadiana/collection du Manoir Richelieu/e008438313
Bucheron noir à Shelburne, en Nouvelle-Écosse, en 1788. Photo : Bibliothèque et Archives Canada, collection W.H. Coverdale de Canadiana/collection du Manoir Richelieu/e008438313
(FRANCOPRESSE) – La quasi-absence du rôle des Afro-Canadiens et Afro-Canadiennes dans les programmes scolaires du pays entraine des conséquences importantes sur les personnes noires et sur la société, selon des experts.
Les effets du manque de représentativité des Afro-Canadiens à l’école
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«On voit que l’histoire et la contribution des Afro-Canadiens peuvent être minimisées parfois et [qu’elles] ne sont pas bien représentées dans les programmes éducatifs», admet Ronald Ajavon, directeur général au Conseil des écoles fransaskoises (CEF).

Le rôle des communautés noires dans l’édification du Canada a été puissant et il ne faut pas le négliger dans les programmes scolaires, renchérit Aïcha Benimmas, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Moncton.

«Il est nécessaire qu’il soit reconnu comme les autres composantes de toute la société canadienne», insiste-t-elle.

Pour ces deux experts, cette lacune de plusieurs programmes d’études au pays a de nombreuses conséquences, d’abord et avant tout dans les salles de classe, mais aussi par la suite dans la société.

Malgré les progrès des programmes d’études, Ronald Ajavon croit qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer la représentativité des Canadiens et des Canadiennes noirs dans l’éducation canadienne. Photo : Courtoisie

L’estime de soi, la réussite scolaire et le sentiment d’appartenance

«Il faut comprendre de façon primordiale [que] le manque de représentativité a un impact sur les élèves noirs, allant à des répercussions sur la confiance en soi à l’influence sur la réussite scolaire et le sentiment d’appartenance», soutient pour sa part Ronald Ajavon.

Selon Aïcha Benimmas, lorsque la «catégorie sociale» de l’élève n’est pas représentée dans les activités d’apprentissage, que ce soit dans le domaine des sciences humaines, de la technologie ou autres, l’enfant verra son estime de soi en souffrir puisqu’il n’aura pas d’occasions de s’affilier à un groupe.

Il va de soi que le sentiment d’appartenance se manifeste dès le plus jeune âge, estiment les experts.

«On a un sentiment d’appartenance aussi à l’école dans laquelle on apprend, et on tisse des liens sociaux avec les camarades, explique Aïcha Benimmas. Savoir qu’il y a un silence ou une invisibilité au niveau de [sa] catégorie sociale a un effet sur comment on valorise la personne noire canadienne en tant qu’individu.»

Discrimination et intimidation

Non seulement le manque de représentativité des communautés noires dans les programmes d’études «pourrait avoir des effets néfastes sur l’estime de soi, mais ça peut aussi donner lieu à des comportements qui ne sont pas adéquats à l’égard des enfants de couleur noire», ajoute-t-elle.

Les recherches de la professeure ont montré que l’enfant ressent un malaise lors de ses interactions avec des camarades de classe issus d’autres communautés, comme les communautés blanches.

«Une mère m’a dit que son enfant change toujours d’amis [car il se fait dire] “toi tu connais rien de ce qui se passe au Canada”» ou encore se fait appeler par le mot en N, se rappelle Aïcha Benimmas.

À cet effet, les enfants issus des communautés afrodescendantes subissent à la fois de la discrimination et de l’intimidation par leurs pairs.

L’école, le reflet de la société

Aïcha Benimmas est d’avis que l’école a une place importante dans le développement du citoyen plus tard. «C’est là qu’on apprend à accepter l’autre, à collaborer avec l’autre», assure-t-elle.

«Alors si on s’habitue à cette absence ou bien à toujours valoriser l’histoire de l’homme blanc et à ignorer l’apport du Canadien noir, c’est sûr que cela va donner lieu à des comportements qui vont toujours valoriser l’homme blanc par rapport aux personnes noires ou de couleur.»

Même son de cloche chez Ronald Ajavon. «Quand on examine les biais inconscients [on revient] à la question de représentativité dans le système scolaire», résume-t-il.

Les préjugés et le favoritisme que l’on retrouve dans les décisions et les jugements plus tard, par exemple dans les décisions d’embauche, sont influencés grandement par ce «qu’on vit dans le système scolaire».

«Il y a du travail à faire pour commencer à inculquer ces dimensions-là à nos jeunes. C’est de parler de la contribution des Afro-Canadiens [dans l’histoire du pays].»

Par ailleurs, l’élève qui s’est habitué à voir sa communauté ignorée en salle de classe pourrait, par la suite, se questionner sur l’importance de la place de sa communauté dans la société.

«Le rôle crucial de la représentativité [est important] pour le développement positif du jeune», renchérit Ronald Ajavon.

L’importance de la représentativité au sein du personnel scolaire 

La présence de figures d’autorité noires dans la sphère scolaire joue aussi un rôle important dans le développement des enfants noirs et pourrait contribuer au bienêtre de ces élèves.

«[Ces adultes] peuvent être des modèles pour ces enfants, lance Aïcha Benimmas. Le fait de voir un enseignant de couleur noire dans la classe, à l’école, ça va juste lancer un message aux élèves que [leur] école est inclusive.»

Pour le directeur général de la CEF, la diversité au sein du personnel scolaire prépare tous les jeunes à la société de demain. «C’est vraiment [pour] le développement positif du jeune.»

Des avancées dans certaines provinces

Les deux experts en éducation canadienne s’accordent à dire que la conscientisation entourant les lacunes du système scolaire prend de l’ampleur.

Le 8 février, à l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, l’Ontario a annoncé un programme scolaire revu pour inclure l’histoire des Canadiennes et des Canadiens noirs qui ont contribué à bâtir le pays.

«À compter de septembre 2025, en 7e, 8e et 10e année en histoire, le ministère ajoutera pour la première fois un apprentissage obligatoire centré sur l’histoire des Noirs en tant que partie intégrante de l’histoire du Canada», indique le communiqué de presse.

Depuis 2002, les élèves du secondaire de la Nouvelle-Écosse peuvent suivre des cours en études afro-canadiennes.

Selon un rapport d’aout 2023 de la Commission canadienne pour l’UNESCO, «en 2018, le Conseil de l’éducation afro-canadienne de la province a recommandé l’élaboration d’un cadre pédagogique pour soutenir la réussite et le bienêtre des élèves noirs de la Nouvelle-Écosse».

De son côté, Ronald Ajavon est fier de dire que son conseil scolaire en Saskatchewan a mis en place des partenariats afin d’accueillir du personnel provenant de différents pays, par exemple de l’Afrique francophone ou d’ailleurs, et d’ouvrir ainsi les horizons des élèves.

Selon Aïcha Bennimas, au Nouveau-Brunswick, il existe des formations en interculturalité pour les enseignants et la province élabore actuellement des ressources pédagogiques qui portent uniquement sur les Canadiennes et Canadiens noirs, leur rapport à l’histoire et leur place dans la société canadienne.

«Donc, ce sont des choses quand même encourageantes, parce qu’il y a un souci quant à la question de la cohésion sociale», raisonne-t-elle.