La problématique du recrutement et de la rétention des étudiants francophones en contexte minoritaire a été au cœur des discussions lors du deuxième Sommet sur l’éducation postsecondaire de langue française en Alberta, qui s’est tenu à Edmonton, du 18 au 20 avril 2024. Les données présentées par des chercheurs de l’Université de Saint-Boniface démontrent que peu d’élèves manitobains étudient en français de la maternelle à la première année universitaire.
Cette situation laisse présager une réalité similaire en Alberta. «Je dirais que c’est probablement la norme dans plusieurs provinces [à majorité anglophone]», mentionne la présidente de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Nathalie Lachance.
Pour étayer ses propos, elle met en lumière le contraste entre l’évolution relativement faible du nombre d’inscriptions au Campus Saint-Jean et la croissance remarquable des écoles francophones dans la province au cours des quarante dernières années. En 1984, les deux seules écoles francophones de la province comptaient environ 370 élèves. «Aujourd’hui, ce nombre s’élève à 9540 élèves répartis dans 43 écoles», soutient-elle.
Bien que le Campus Saint-Jean ait enregistré une augmentation de ses inscriptions, cette progression n’est pas représentative ni proportionnelle à celle des écoles francophones. Pour rappel, la faculté évaluait son nombre d’étudiants inscrits en septembre 2023 à environ 850. «On perd des élèves après l’école secondaire. C’est ce qu’on constate», résume la présidente de l’ACFA.
Faire face aux défis de rétention
Le doyen du Campus Saint-Jean, Jason Carey, est bien conscient du défi que représente la rétention des jeunes qui transitionnent du réseau scolaire à l’université. D’après lui, de nombreux élèves délaissent le réseau francophone après la douzième année, alors qu’ils font face à un choix crucial pour leur avenir universitaire. «Les élèves des conseils scolaires sont bilingues et ont la liberté d’aller dans n’importe quelle institution étudier dans [n’importe quel] programme, [tandis que] nous sommes limités dans ce que nous pouvons offrir», explique-t-il.
Un travail de sensibilisation est à continuer et renforcer auprès des élèves et des parents, et ce, dès l’école primaire, afin de les informer sur les avantages du réseau francophone postsecondaire. «On doit démontrer pourquoi le bilinguisme est important, pourquoi c’est important d’être capable de travailler en français […] La suite logique [pour y arriver], c’est en venant au Campus Saint-Jean», ajoute-t-il.
La directrice générale de la Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta (FCSFA), Anne-Marie Boucher, rappelle, de son côté, que la rétention des élèves est problématique non seulement en douzième année, mais surtout à partir de la dixième année. «C’est une difficulté persistante. Notre priorité est de s’assurer que nos jeunes qui commencent à la maternelle finissent en douzième», précise-t-elle.
En développant une éducation postsecondaire plus robuste en français, elle estime que la fidélisation des élèves au sein des écoles francophones sera meilleure, et ce, jusqu’en douzième année. «C’est certain que l’objectif, c’est que les étudiants poursuivent jusqu’au postsecondaire en français, mais c’est le développement des programmes au Campus Saint-Jean, qui aura un impact sur cela», souligne-t-elle.
Du travail a été amorcé pour accroître cette offre, mentionne Jason Carey. Notamment, un nouveau doctorat transdisciplinaire sera lancé à l’automne 2024. L’administration du Campus est également en réflexion pour moderniser certains programmes et permettre à des cours d’être offerts au sein de plusieurs programmes pour maximiser les ressources.
En outre, un partenariat est envisagé avec d’autres établissements postsecondaires francophones situés en milieu minoritaire pour permettre aux étudiants d’accéder à des cours en ligne qui ne seraient pas disponibles dans leur propre faculté. «L’offre pourrait être augmentée si on travaille ensemble. La question qui demeure, c’est comment on s’y prend, […] l’enjeu financier n’est pas énorme et il y a énormément de potentiel pour la francophonie canadienne», mentionne le doyen.
Des efforts au niveau du recrutement
Parallèlement à l’expansion de l’offre de cours, l’administration du Campus Saint-Jean explore des approches novatrices pour inciter les étudiants francophones de la province à poursuivre leurs études à la faculté. Des ententes sont en cours de développement avec «des écoles secondaires nourricières» qui pourraient offrir des crédits à double reconnaissance.
«On est en discussion avec [les autorités scolaires francophones], le Calgary Board of Education et les conseils scolaires qui ont de l’immersion dans la région d’Edmonton pour voir comment on peut travailler avec [eux]», explique Jason Carey.
L’idée serait d’offrir des cours aux élèves de onzième et douzième année qui sont à la fois reconnus dans le programme secondaire et comme des crédits déjà complétés au Campus Saint-Jean. Un moyen d’élargir l’offre de cours au secondaire, mais aussi de permettre aux étudiants d’économiser argent et temps une fois leurs études universitaires amorcées. «Ça s’en vient bientôt, plusieurs ententes seront complétées dans les prochains mois», fait-il valoir.
La pérennité du Campus Saint-Jean, qui souhaite accueillir de 1500 à 2000 élèves à long terme, dépend aussi du recrutement et de l’arrivée d’étudiants internationaux, avance le doyen. À ce titre, la faculté espère devenir un «phare de la francophonie […] au niveau de l’immigration hors Québec», mentionne-t-il. «On travaille à développer un projet avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] pour voir comment on peut financer un programme d’admission et d’accueil», ajoute-t-il.
Les étudiants français, belges et suisses sont évidemment ciblés, ainsi que ceux en provenance de l’Afrique, notamment du Maroc, de la Tunisie et du Sénégal. L’objectif n’est toutefois pas d’éclipser la mission principale du Campus qui est, avant tout, de «desservir l’Alberta et la communauté francophone d’ici». Mais les ressources financières qui découlent des frais de scolarité des étudiants internationaux permettront de renforcer l’offre de cours et de soutenir le «cycle de croissance» de la faculté, explique le doyen.
«Évidemment, avoir une population [étudiante] qui est internationale, nous amènerait plus de ressources, comme [c’est le cas pour] toutes les autres universités au Canada», conclut-il.
Glossaire – Pérennité : État de ce qui dure longtemps