Après l’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique, l’Alberta a annoncé à la mi-juin qu’elle interdira l’utilisation des téléphones cellulaires en classe.
S’ajoute à ces annonces une poursuite lancée par des conseils scolaires ontariens contre les entreprises derrière les réseaux sociaux les plus populaires, qui relance la question des impacts de ces sites Web sur les jeunes.
Selon Natalie Coulter, directrice de l’Institut de recherche sur la littératie numérique et professeure en études en communication et médias à l’Université de York, à Toronto, l’usage excessif du téléphone par les jeunes s’explique en bonne partie par les «médias sociaux, qui sont conçus pour [nous] faire défiler constamment, afin que vous n’ayez aucune pause pour les lâcher».
Pour mieux illustrer l’effet des réseaux sociaux sur les utilisateurs, la professeure prend l’exemple du casino où «tout est conçu pour vous permettre de rester là et de dépenser de l’argent. Il n’y a pas d’horloge, il n’y a pas de fenêtre…».
Elle tient toutefois à ne pas diaboliser leur utilisation, lorsque son usage peut être fait de manière saine et sans abus.
Manque de productivité
Quand il n’y a pas d’équilibre, les réseaux sociaux peuvent devenir une vraie distraction pour les enfants et les adolescents, explique l’experte.
Les jeunes peuvent développer des problèmes au «niveau de l’attention, la difficulté à se concentrer pour un certain temps sans vérifier son téléphone», raconte une personne membre du corps enseignant de l’Ontario, qui souhaite garder l’anonymat.
Cette personne observe aussi une décroissance de la richesse du vocabulaire chez les jeunes. De plus, lorsque les élèves rentrent en classe, ils ont l’air fatigués, presque endormis.
«Quand l’élève est trop fatigué en classe, l’élève ne participe pas, l’élève ferme ses yeux, l’élève ne comprend pas la leçon et l’élève manque de motivation.»
Même lorsqu’ils ne sont pas fatigués, les élèves sont distraits. Ils s’envoient des vidéos ou des photos sur Snapchat et consultent YouTube, témoigne ce membre du corps enseignant.
Règlementation et éducation
Les problèmes créés par les réseaux sociaux résultent des principes de conception adoptés par les compagnies, mais aussi du manque de règlementation par les gouvernements, interpelle Natalie Coulter.
Pour elle, le débat ne devrait pas être au sujet de l’usage du téléphone, mais sur la régularisation des réseaux sociaux, car ces plateformes peuvent être aussi utilisées à travers une montre digitale ou sur un ordinateur.
La règlementation permettrait d’assurer plus de sécurité. Par exemple, «les constructeurs automobiles ne peuvent pas construire de voitures sans ceintures de sécurité, c’est illégal». Un principe qui doit s’appliquer aux réseaux sociaux, illustre Natalie Coulter.
Le Centre ontarien de prévention des agressions (COPA) s’inquiète justement de la sécurité des enfants en lien avec les réseaux sociaux.
Pour la directrice générale, Marie-Claude Rioux, il faut promouvoir l’éducation sur l’usage des téléphones et des réseaux sociaux. Un téléphone n’est pas le prolongement d’un bras, mais un outil qui doit être utilisé avec bienveillance, et non avec malveillance.
«De la même façon, on peut apprendre à utiliser un couteau, on peut apprendre à utiliser un marteau, il y a toujours des règles, il y a toujours une vigilance à exercer, il y a toujours des marches à suivre de sorte qu’on se protège», illustre-t-elle.
Interdire crée parfois l’effet inverse, prévient-elle. «On a envie de les tester, on a envie de passer outre et d’essayer quelque chose, alors ça ne marche pas.» Il faut selon elle aller au-delà de l’interdiction et leur offrir l’information adéquate.
Agressivité et intimidation
Si les réseaux sociaux constituent un moyen d’échange et de divertissement pour les jeunes, les plateformes en ligne peuvent rapidement se transformer en lieu de violence et d’intimidation.
Selon Statistique Canada, une utilisation fréquente des réseaux sociaux augmente le risque d’être victime de cyberintimidation.
Ce phénomène s’est intensifié depuis la pandémie, remarque Marie-Claude Rioux, qui s’inquiète de cette tendance.
Selon elle, la cyberintimidation à l’école peut prendre différentes formes, comme prendre des camarades en photo sans leurs consentements, se moquer ou les insulter sur les réseaux sociaux.
Pendant que le monde rigole sur les médias sociaux, une autre personne souffre derrière l’écran, alerte-t-elle.
Les jeunes peuvent aussi être influencés par les opinions très polarisées présentes sur les réseaux sociaux, ajoute la directrice.
Il y a de plus en plus de «déclarations sensationnelles, de déclarations controversées, mais aussi de la misogynie et du racisme», ajoute Natalie Coulter.
Pour la professeure, l’abondance d’informations très polarisées et violentes n’est pas un hasard. Elles suscitent diverses réactions qui les poussent au sommet des algorithmes.
Face à ces dangers, les parents peuvent être tentés d’interdire à leurs enfants d’avoir des comptes sur les réseaux sociaux, mais un autre problème peut alors surgir : l’exclusion du jeune par ses camarades, rappelle la personne membre du corps enseignant ontarien. «C’est à l’âge où on veut absolument faire partie d’un groupe. On veut absolument des amis.»
Les réseaux sociaux permettent aussi de donner une voix aux jeunes pour exprimer leurs opinions et partager les causes qui leur tiennent à cœur, comme le réchauffement climatique, rappelle Natalie Coulter.
D’autres «ont trouvé une communauté grâce aux médias sociaux, peut-être une communauté autour de leur identité sexuelle», donne-t-elle en exemple. Il ne faut donc pas déduire que les interdire leur sera entièrement bénéfique.