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le Mardi 30 mai 2023 12:29 En Région

Acheter local et francophone, même en Alberta

Delphine Pugniet dans un de ses jardins à Canmore. Photo : Capture d’écran - Biotanic Garden
Delphine Pugniet dans un de ses jardins à Canmore. Photo : Capture d’écran - Biotanic Garden
Acheter local et francophone, même en Alberta
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Soutenir l’économie locale est crucial non seulement pour préserver la vitalité de nos communautés rurales, mais aussi pour assurer la pérennité des petites entreprises francophones de l’Alberta. De Bonnyville à Watino, en passant par Lethbridge et Canmore, plusieurs entrepreneurs dévoués travaillent sans relâche pour promouvoir leur langue et leur identité à travers leurs activités commerciales, et ce, malgré les défis auxquels ils font face.

IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Léona Bonneau est catégorique : sans achat local, les régions autour de sa ferme familiale, située à Bonnyville, s’éteindront à petit feu. «Je le vois déjà lorsque je fais le tour des petits villages aux alentours, il n’y a presque plus rien qui reste», laisse tomber la copropriétaire de la Charlotte Lake Farms qui se spécialise dans l’élevage de bœufs.

Selon elle, encourager la consommation locale équivaut donc à appuyer les familles, «dans certains cas francophones», qui se trouvent derrière chaque petite entreprise. Mais c’est aussi un gage de confiance envers les communautés rurales pour ne pas qu’elles se transforment en cités urbaines. «C’est littéralement ce qui nous garde en vie», soutient-elle.

À l’inverse, l’entrepreneure estime que les réseaux de vente plus commerciaux qu’on retrouve dans les centres urbains coupent le lien entre les éleveurs et les consommateurs, ce qui empêche la population d’être connectée à ce qu’elle mange. En outre, lorsqu’elle est achetée en épicerie, la viande est souvent transportée sur de longues distances et passe entre les mains de nombreux inconnus.

[L’achat local], c’est littéralement ce qui nous garde en vie», Léona Bonneau (à droite, en bleu) et le reste de la famille Bonneau font rouler leur ferme familiale à Bonnyville. Crédit : Courtoisie

«C’est moins fiable et il n’y a pas de rapport de confiance qui peut être établi par rapport à la qualité. Nos clients à nous savent comment on élève nos animaux. Quand ils mangent leur viande, ce n’est pas juste quelque chose acheté chez Walmart dans du plastique», décrit-elle.

La ferme familiale s’efforce de maintenir une relation authentique avec sa communauté en prenant en charge elle-même la distribution de la viande à ses clients. «C’est bien parce que les gens peuvent nous rencontrer et nous poser des questions lors de la livraison», affirme Léona. Le bœuf passe ainsi de la ferme des Bonneau à l’abattoir, puis à l’assiette des consommateurs qui sont souvent eux-mêmes francophones. «On a beaucoup de nos clients qui parlent français qui sont situés à la base militaire de Cold Lake, mais aussi à Bonnyville, Fort McMurray, Saint-Paul et Edmonton», mentionne Léona.

Elle espère que les membres de sa communauté et des régions périphériques continueront de s’entraider en privilégiant les artisans locaux plutôt que les grandes chaînes de supermarchés. «Si on disparaît, tu vas aller la chercher où ta viande? C’est tout le rapport [authentique] qui va changer», conclut-elle. 

Le piège de la facilité

Ginette Paradis, copropriétaire de Paradis Valley Honey avec son conjoint Danny, un apiculteur de septième génération, se désole, elle aussi, de voir de plus en plus de consommateurs rechercher la simplicité plutôt que la qualité des produits. «Ils vont à l’épicerie, ils voient du miel sur une étagère et la réflexion s’arrête-là», déplore-t-elle.

Quand on y pense, ce sont des petits gestes et des petits changements à nos habitudes qui auront un grand impact sur la communauté. Au lieu d’acheter en épicerie, on peut se rendre dans un commerce comme le nôtre qui est ouvert de manière saisonnière», Ginette Paradis et Danny (au centre) et leurs deux enfants ont du miel qui coule dans les veines. Photo : Courtoisie

Elle précise que le miel acheté en supermarché a tendance à être pasteurisé par un processus qui en retire «malheureusement tous les bénéfices nutritifs». En revanche, le miel local ne subit pas ce procédé de conservation. Plutôt que d’acheter à l’aveugle, la Franco-Albertaine recommande donc aux consommateurs de privilégier les petites entreprises francophones de leur région en effectuant des recherches préalables sur les produits qu’ils achètent.  

«Quand on y pense, ce sont des petits gestes et des petits changements à nos habitudes qui auront un grand impact sur la communauté. Au lieu d’acheter en épicerie, on peut se rendre dans un commerce comme le nôtre qui est ouvert de manière saisonnière», dit-elle. Et au-delà de la question de la qualité des produits, la copropriétaire fait écho à Léona Bonneau en rappelant que le soutien des consommateurs est vital pour les entreprises locales et francophones. «Pour faire simple, si on ne fait rien, bientôt, il n’en restera plus», ajoute-t-elle. 

Pour les Paradis, l’engagement envers la communauté se caractérise également par un profond désir de donner en retour. Ginette rappelle que la meilleure façon d’encourager sa famille est à travers un programme de collecte de fonds qui permet aux écoles, aux équipes de sport et autres groupes de garder 30% des profits de leurs ventes. «C’est notre façon de supporter les communautés à travers le Canada. Les gens peuvent aussi ajouter un pot de miel à leur achat pour supporter les banques alimentaires qui ont des besoins énormes en ce moment», affirme-t-elle.

Pousser la mission locale jusqu’à l’approvisionnement

À Lethbridge, Marjolaine Guignard, copropriétaire de la boulangerie The Little Bakehouse, estime que c’est aussi aux petites entreprises de faire des efforts pour collaborer et se soutenir mutuellement. Lorsqu’elle et son conjoint Dorian Mak ont lancé leur entreprise en septembre 2022, ils se sont d’ailleurs donné pour mission de s’approvisionner le plus localement possible pour encourager l’économie de leur région. Après quelques mois d’activité, la boulangerie a réussi à trouver un moulin capable de la fournir en farine et une ferme où acheter son poulet et ses œufs.

C’est du donnant-donnant. Nous, par exemple, on produit déjà le pain de deux restaurants de Lethbridge. Donc, on s’approvisionne localement et on fournit aussi des commerces locaux», Marjolaine Guignard. Photo : Courtoisie

«C’est du donnant-donnant. Nous, par exemple, on produit déjà le pain de deux restaurants de Lethbridge. Donc, on s’approvisionne localement et on fournit aussi des commerces locaux», affirme Marjolaine. Cette démarche nécessite toutefois beaucoup d’investissements en temps pour les propriétaires qui doivent trouver eux-mêmes des entreprises capables de les fournir en farine, en légumes et bientôt en fruits et légumes. «C’est pour ça qu’on aime quand il y a du bouche-à-oreille ou que les propriétaires d’entreprises viennent nous voir directement pour nous proposer des collaborations», relate-t-elle.

À la boulangerie, une bonne portion de la journée se passe en français, surtout lorsque les habitants de la ville qui parlent français se présentent sur place. L’entrepreneure note qu’un effort est fait en permanence dans son commerce pour que les francophones se sentent les bienvenus. «Tout est affiché dans les deux langues dans la boulangerie. Nos réseaux sociaux sont bilingues. Et nos clients nous disent souvent à quel point ils sont contents de pouvoir parler en français chez nous», mentionne la copropriétaire d’origine française. 

Cependant, Marjolaine note la difficulté de recruter des travailleurs qui puissent s’exprimer dans la langue de Molière. De ses deux vendeuses qui s’alternent à la caisse, une seule parle le français. «Celle qui travaille à temps plein est bilingue, mais mon employée qui travaille le matin ne parle que l’anglais», confie l’entrepreneure qui espère éventuellement offrir un service en français en continu à ses clients.

Vendre local, pas toujours rose

La vente locale n’a pas de secret pour Delphine Pugniet dont le parcours démontre bien les défis auxquels peuvent faire face les petites entreprises locales et francophones de la province. Lorsque cette entrepreneure d’origine française s’est installée en Alberta, il y a huit ans, elle avait de grandes ambitions. Son rêve était de nourrir les communautés de Canmore et de Cochrane avec les légumes biologiques qu’elle cultiverait dans ses jardins installés dans des ranchs de la région. 

Mais bien qu’elle souhaitait vendre ses produits en mode hyperlocal, elle a rapidement réalisé que cela impliquait un travail considérable pour un faible rendement financier. «J’étais un peu découragée après la première année», témoigne-t-elle. 

Rapidement, Delphine a décidé de contacter des restaurants gastronomiques de Canmore et de Banff pour leur proposer d’être leur jardinière personnelle. Aujourd’hui, elle fournit des légumes frais et biologiques aux prestigieux restaurants du Rimrock Resort Hotel de Banff et du Silvertip Resort de Canmore, ainsi qu’à plusieurs autres bonnes adresses de ces deux villes des Rocheuses. 

Le modèle d’affaires de son entreprise Biotanic Garden repose ainsi entièrement sur la volonté de restaurateurs, comme Marjolaine et son conjoint, de faire affaire avec des producteurs locaux. «C’est pas exactement comment je l’avais imaginé; il a fallu que je m’adapte pour que mon entreprise soit rentable», avoue l’entrepreneure. 

Elle espère que, dans les prochaines années, les consommateurs encourageront davantage les fermes à taille humaine à se développer pour soutenir la production alimentaire locale. «Plus c’est petit, plus c’est simple, mieux c’est. Les petits producteurs permettent d’assurer l’absence d’engrais chimiques, de réduire notre empreinte écologique et de savoir de qui on achète. Tout le monde y gagne», conclut-elle.

Pour appuyer les entreprises francophones d’ici :

Pour commander du bœuf à Léona et sa famille

Pour encourager les Paradis dans le cadre de collectes de fonds ou acheter du miel dans leur commerce saisonnier

Pour se rendre à la boulangerie française de Lethbridge

Pour acheter de l’ail ou en apprendre davantage sur l’entreprise

Glossaire À l’aveugle : sans réflexion