le Dimanche 19 janvier 2025
le Jeudi 9 janvier 2025 11:33 Environnement

«Je n’ai jamais vu ça avant» : les glaciers inquiètent de plus en plus les scientifiques

Le glacier Bow, en Alberta, le 14 aout 2024. Photo : Lynn Martel
Le glacier Bow, en Alberta, le 14 aout 2024. Photo : Lynn Martel
En 2023, les glaciers canadiens ont subi des pertes de glace sans précédent, alertent les scientifiques. Une année qu’ils qualifient de «catastrophique» et d’«extrême». Face au réchauffement climatique, ils s’inquiètent pour l’avenir de ces géants blancs, essentiels à notre écosystème.
«Je n’ai jamais vu ça avant» : les glaciers inquiètent de plus en plus les scientifiques
00:00 00:00

FRANCOPRESSE

«On s’est rendu compte, dans les dernières années, que les surfaces sont beaucoup plus sombres. Comme résultat, on voit des taux élevés de fonte des surfaces des glaciers», rapporte Brian Menounos, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’évolution des glaciers.

«L’an dernier, on a observé une fonte des glaces comme jamais avant. C’était sans précédent, extrême», dit-il.

Selon de récentes projections de l’Organisation des Nations Unies, on peut s’attendre à perdre 50 % des glaciers dans le monde d’ici 2100 (à l’exception du Groenland et de l’Antarctique), même si le réchauffement climatique est limité à 1,5 ° Celsius.

Un manteau noir au soleil

Pour comprendre l’impact de l’assombrissement sur la fonte des glaciers, l’autrice albertaine Lynn Martel propose l’analogie suivante : «Quand c’est sombre, le Soleil tape plus fort, et ça fond. C’est la différence entre un teeshirt noir ou un teeshirt blanc l’été, c’est plus frais avec un teeshirt blanc.»

Le glacier Bear, en Alaska, le 22 septembre 2014, 22 juin 2020 et 28 aout 2024. Selon le gouvernement américain, ce glacier a perdu 12,5 millions de pieds carrés de glace à son extrémité entre 2018 et 2019. Photos : Lynn Martel – Montage : Francopresse

Des mètres de glace perdue

«L’année 2023 a été spectaculairement catastrophique», confirme le chercheur en sciences physiques à Ressources naturelles Canada, Mark Ednie, qui surveille des glaciers de l’Ouest canadien depuis des années.

Le glacier albertain Peyto le préoccupe particulièrement. Celui-ci a perdu entre 6 à 7 mètres d’épaisseur de glace à son extrémité en une année, signale le chercheur dans une étude à paraitre prochainement. «Ça fond même au haut du glacier, dit-il. On n’a jamais vraiment vu ça auparavant.»

Au parc national Nahanni, dans les Territoires du Nord-Ouest, la pointe du glacier a perdu de 4 à 4,5 mètres de glace. Le glacier Saskatchewan et le glacier Athabasca, dans les Rocheuses, ont tous les deux perdu entre 6 et 7 mètres.

«Ça ne devrait pas fondre autant», s’inquiète Mark Ednie.

Le fait qu’il ait moins neigé lors de l’hiver 2023-2024 n’aide pas, ajoute le spécialiste. La neige qui trônait auparavant sur le haut de certains glaciers a désormais fondu.

«Ça m’a ouvert les yeux, je n’ai jamais vu ça avant. Par exemple, quand je volais au-dessus du champ de glace Columbia, j’ai vu des crevasses où je n’en n’ai jamais vu avant, juste parce qu’il n’y a plus de neige pour les remplir.»

Mais les glaciers, c’est censé fondre, non?

La réponse simple est oui. Toutefois, les glaciers sont en situation de déséquilibre : ils perdent plus de masse qu’ils en gagnent chaque année. Le scientifique Brian Menounos compare un glacier à un compte bancaire.

«Si on commence avec 10 000 $, et qu’on paie des factures annuellement, on enlève toujours de l’argent. Mais on a aussi un salaire. Si on est financièrement responsable, la balance reviendra à 10 000 $. Mais ce qui arrive dans le cas des glaciers, c’est qu’on retire plus d’eau qu’on en ajoute. La balance est négative.»

Les forêts brulent, les glaciers fondent

«La saison des incendies de forêt au Canada en 2023 a été la plus destructrice jamais enregistrée», lit-on sur le site Internet du gouvernement canadien.

«Nous savons que l’activité des feux de forêt augmente dans un climat chaud, simplement parce que la matière brule plus facilement», explique Brian Menounos.

Des «impuretés», apportées par les feux de forêt, viennent se poser sur la surface des glaciers, créant une couverture plus sombre. C’est un problème, car une surface plus claire permet de refléter l’énergie des rayons de soleil, diminuant ainsi la fonte.

«Il y a aussi l’effet de la fumée qui provient des feux, poursuit le scientifique. Pendant le jour, la fumée réduit l’énergie de la lumière du soleil. Il y a donc une sensation de fraicheur. Mais la nuit, ça change. La fumée agit comme un nuage en réémettant l’énergie.»

Cette réémission de l’énergie contribue, selon plusieurs recherches, à l’accélération de la perte de masse des glaciers.

Le glacier Robson, situé à la frontière entre l’Alberta et la Colombie-Britannique, en 1992. Photo : Scott Rowed

Des grimpeurs sur le glacier Robson, en 1983. Photo : Scott Rowed

«Pénible à voir»

Lynn Martel, une autrice albertaine qui escalade et campe sur des glaciers depuis des années, dit avoir remarqué de grands changements entre 2022 et 2024 : «À chaque autonome, ils sont plus petits que l’année précédente.»

«C’est pénible à voir, confie-t-elle. Quand on connait la région, on le voit [à l’œil nu]. Ce sont surtout les randonneurs, les grimpeurs, les alpinistes et les skieurs, et souvent des plus anciens. Les plus nouveaux ont moins de points de comparaison.»

Pour ces aventuriers, les conditions sont de plus en plus dures. «Les Bugaboos [chaine de montagne en Colombie-Britannique NDRL] sont une destination réputée pour les grimpeurs. C’est spectaculaire. Il y a une route pour les monter, mais c’est devenu de plus en plus dangereux parce qu’il y a de moins en moins de glace qui tient les roches ensemble. C’est devenu une grande allée de bowling», raconte-t-elle.

Lynn Martel a grimpé le mont Fay, en Alberta, il y a environ 15 ans. Aujourd’hui, impossible de gravir, selon elle. «Il ne reste plus de neige sur la glace, donc c’est juste de la glace nue. Une glace d’un bleu très foncé et couverte de roches.»

«C’est un endroit parmi d’autres que des gens sur Facebook prennent en photo pour dire que ce n’est plus grimpable», ajoute l’autrice de Stories of Ice, un livre portant sur les glaciers de l’Ouest canadien.

De réelles conséquences

Entre 2000 et 2019, environ le quart de l’eau de glacier et de calottes glaciaires perdue dans le monde provenait du Canada, constate Brian Menounos. Le Canada reste «un joueur clé en ce qui concerne la quantité d’eau fraiche contenue dans nos glaciers, calottes glaciaires et champs de glace».

Dans une étude publiée en 2020, des chercheurs estiment que la fonte des glaciers entrainera éventuellement des pénuries d’eau potable pour un habitant sur quatre en Alberta.

  1. Menounos cite d’autres exemples d’effets secondaires de la fonte de ces géants blancs : élévation du niveau de la mer, glissements de terrain et effets sur les écosystèmes qui dépendent de leur eau lors des saisons sèches.

Le gouvernement du Canada surveille certains glaciers depuis 1965, un mandat que n’ont pas les provinces, indique Brian Menounos.

En entrevue avec Francopresse en 2022, il plaidait pour une plus grande collaboration entre chercheurs, gouvernements provinciaux et fédéral. Malgré quelques évolutions depuis, c’est un plaidoyer qu’il répète aujourd’hui.