La vitalité d’une communauté passe par les arts et la culture. La francophonie canadienne n’y échappe pas. Cependant, les élèves du secondaire hésitent à se tourner vers des professions culturelles en raison notamment des préjugés économiques. Face à leurs choix de carrière, les élèves du secondaire éprouvent de la difficulté à faire des choix professionnels informés.
Francopresse – Marianne Dépelteau
«Pour avoir une bonne vie dans le monde de la comédie, il faut que tu deviennes moyennement connu. […] C’est difficile de faire assez d’argent pour vivre confortablement, tandis qu’avec la physique ou les sciences ou n’importe quel autre job, ce n’est pas un concours de popularité pour bien se faire payer.»
Apollo Sévigny entend ce discours sur l’art professionnel depuis toujours. «Je voulais vraiment être actrice et là [je me suis dit] que c’est dur la comédie.» Après sa dernière année au secondaire à Yellowknife, iel étudiera au baccalauréat en physique l’Université McGill à Montréal.
«J’étais toujours vraiment bon en mathématiques et en sciences, alors j’ai pensé à ça, poursuit-iel. À un point, mon père a fait une blague que je devrais découvrir la téléportation. C’est plein de petits commentaires et d’idées… Doucement, j’ai [décidé] que j’allais étudier la physique.»
À Saint-Jean de Terre-Neuve, Nyamae Alloway a toujours été passionnée par les sciences humaines et naturelles. Elle entamera une double majeure en arts et sciences à la Memorial University en septembre.
Sa sœur, Letta, qui termine sa 10e année à l’école secondaire Holy Heart of Mary à Saint-Jean de Terre-Neuve, est encore indécise : «J’aime l’art et je veux continuer avec ça, mais je n’ai pas vraiment pensé à ce que je veux faire, avoue-t-elle. J’aime dessiner, la peinture, les tatouages, le maquillage.»
Mais Nyamae Alloway garde un œil sur sa cadette et ne l’encourage pas à poursuivre une carrière artistique : «Elle va dormir sur mon [canapé]! Je l’aime ma sœur, promis. Mais en même temps, je veux qu’elle ait un travail qui donne de l’argent.»
D’où viennent ces préjugés?
«On associe les arts à la débauche, à la marge et la marge rend toujours inconfortable parce que ça dit des vérités qui sont inconfortables à entendre», rapporte Joël Beddows, professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa. Pour lui, les idées reçues sur le milieu artistique prennent aussi racine au-delà de la sphère privée : «L’État ne prend pas les arts au sérieux.»
«Je ne parle pas juste du financement, je parle du cadre légal, explicite-t-il. Quand ton État ne reconnait pas le bienfondé de ton existence dans un contexte politique plus large, tu arrives mal à convaincre tes parents de te permettre de poursuivre tes études et là, les clichés prennent beaucoup de place.»
Également conseiller auprès du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario, l’universitaire affirme que «les orienteurs dans les écoles secondaires ne font pas leur devoir […] ils parlent en clichés et pas en connaissance de cause, ils ne regardent pas vraiment les statistiques.»
«Les gens confondent précarité et capacité à faire de l’argent, poursuit-il. Souvent quand on est dans les arts, on a de longues périodes sans rien, mais c’est la moyenne qui compte. Ça, il y a des gens qui n’aiment pas ça, ils veulent le salaire régulier.»
Suivre son cœur
Maxime Cayouette est responsable de la médiation et du développement des publics au Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO) à Sudbury. Aujourd’hui, son choix est clair, mais pendant longtemps, les arts et les sciences ont partagé sa vie.
Élevé à Sudbury, il choisit l’école secondaire Macdonald-Cartier pour rejoindre la troupe de théâtre les Draveurs, tout en complétant un baccalauréat international en mathématiques.
À l’époque, il souhaitait compléter une Majeure Haute Spécialisation en arts. «On me disait souvent, famille et profs, que je devrais avoir un cours de science si jamais le théâtre ne marchait pas», raconte-t-il. Il s’inscrit donc à un cours de chimie qui l’empêchera, en raison d’un conflit d’horaire, de terminer sa majeure.
Son avenir parait alors dessiné : «Je me suis dit : “je ne me suis pas rendu aussi loin que j’aurais pu en arts, alors je vais continuer en sciences”.»
Au bout d’une année d’études en génie à l’Université d’Ottawa, le Franco-Ontarien décide de revenir à la maison. Pour être certain de son choix, il se pose alors une question simple : «Est-ce que je veux faire de l’argent ou quelque chose que j’aime?»
Il s’inscrit alors au programme de théâtre de l’Université Laurentienne. Au bout d’un an, l’établissement se met à l’abri de ses créanciers et le programme de théâtre est aboli. Maxime décide d’abandonner ses études et devient animateur culturel au Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario. «J’ai été très chanceux de connaitre le monde, d’être intégré dans la communauté. Je pense que c’est surtout pour ça.»
«Mon introduction [au théâtre] était dans des camps de théâtre du Carrefour francophone, quand j’étais très petit, avec Miriam Cusson, relate-t-il. J’ai grandi ici, c’est ça qui m’a formé comme artiste. J’allais souvent voir des pièces de théâtre au Théâtre du Nouvel-Ontario. C’est toujours resté une partie de moi.»
Se former à l’art
Maintenant à la retraite, Tibor Egervari a été professeur de théâtre à l’Université d’Ottawa. Selon lui, la rencontre avec l’art doit commencer jeune et doit être diverse : «Le gout est quelque chose qui se forme.»
Pour lui, ce gout se forme d’abord dans la rencontre avec l’art : «Si vous avez 15 ans, 16 ans et que vous n’avez jamais entendu parler d’une tragédie française, grecque, d’une pièce du XIXe siècle ou du XXe siècle, et qu’on vous place devant ça, évidemment vous allez trouver ça terriblement ennuyeux, compliqué, différent, et vous avez forcément un préjugé devant ça.»
«Il y a très peu de personnes dans une société en général qui vont au théâtre. Ça peut être très facilement considéré comme élitiste, comme la musique classique, comme certaines formes d’arts visuels», remarque Tibor Egervari.
On entend souvent que faire carrière dans le théâtre est difficile. Un préjugé qui n’est pas totalement faux, estime le professeur. «J’aurais quand même assez d’hésitation, assez de réticence, à conseiller quelqu’un de devenir artiste, partage-t-il. Ça ne paie pas la plupart du temps, ce n’est pas très facile. Il y a beaucoup plus d’appelés que d’élus.»
Pour devenir artiste selon lui, «il faut avoir une volonté à soi […] qui devrait normalement naitre au contact de cet art. Il ne faut certainement pas attendre que quelqu’un vous dise “vous devriez devenir comédien ou comédienne ou artiste peintre”».