Il est toujours fascinant de se plonger dans l’histoire et d’en apprendre davantage sur ses racines. Grâce au travail de l’historienne Adriana Davies, notre journaliste Inès Lombardo a pu mettre en lumière les liens méconnus entre la communauté italienne et francophone de l’Alberta. Un texte captivant qui vous fera voyager dans le passé.
Sarah, pupitre, recherche et communauté
Adriana Davies est un livre d’Histoire à elle seule. Pour cette qualité, l’Albertaine a reçu en septembre un prix décerné par le Edmonton Heritage Council, pour l’aider à publier son cinquième livre. Cette historienne d’origine calabraise (Italie) qui a suivi des études en français, a un parcours qui lui a permis de découvrir à quel point les francophones et les Italiens établis en Alberta des années 1900 à 1960 avaient un destin plus lié qu’on ne le pense…
Dès qu’Adriana se replonge dans ses souvenirs de la communauté italienne dans laquelle elle a grandi à Edmonton, il est compliqué de l’arrêter. D’ailleurs, on a aucune envie qu’elle cesse. Cette Albertaine de 76 ans est arrivée d’Italie à l’âge de 7 ans, en 1951. Dans le vaisseau sur lequel elle a embarqué depuis Naples jusqu’à Halifax, les immigrants à ses côtés traversaient l’Atlantique principalement pour travailler, dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale. Sa mère, son père, sa sœur Rosa et son jeune frère Giuseppe en faisaient partie…
Une bonne proportion des Italiens arrivés en Alberta s’établissaient dans la colonie agricole de Venice-Hylo. Adriana raconte que ces colonies italiennes situées à Lac la Biche, étaient dirigées par Felice De Angelis, pionnier arrivé dans la province autour de 1914, lors de la première vague d’immigrés italiens. Les nouveaux arrivants devenaient propriétaires pour travailler la terre ou aux chemins de fer. Les enfants des familles italiennes tout juste installées étaient envoyés dans les écoles où ils apprenaient le français.
Mariage linguistique
Tout près ou parfois au sein même de Venice et Hylo, des francophones étaient aussi installés… Une situation propice à divers mariages. L’un des exemples connu et raconté par Adriana est celui de la famille Maccagno. Le père, Tommaso, est arrivé en 1921, avec sa femme et son fils Michele, devenu Mike. Père et fils ont exploité un élevage de visons. Mike a épousé Valentine Lebas, la fille d’un francophone originaire de Lac La Biche.
Passionné d’histoire et de politique, Mike est ensuite élu dans la circonscription électorale de Lac La Biche à la Législature de l’Alberta. En parallèle, il s’est battu pour établir l’appellation de la Mission du Lac La Biche initiée par les Pères Oblats. Son fils Tom Maccagno, également activiste de la région, a été maire de Lac La Biche de 1990 à 1995. Il a aussi épousé une francophone. Mais certains Italiens, durant la guerre et encore bien après, ont connu un sort plus tragique…
Adriana a aussi retracé pour Le Franco un volet plus triste des liens italo francophones. L’un des premiers Italiens à s’installer dans la région de Lac La Biche était Olivo Biollo. Propriétaire, il était à la tête de plusieurs commerces. Alors que la montée du fascisme créait ce qui allait devenir la Seconde Guerre mondiale, Biollo, sympathisant fasciste, a été accusé de fraude pour l’une des entreprises qu’il tenait.
Arrêté puis interné pour un an, près de Banff, il suspecte avoir été dénoncé par un francophone descendant d’une famille québécoise. Cet homme était un commerçant rival, qui aurait ensuite repris la suite du bureau de poste que dirigeait Biollo.
L’internement d’Italiens lors de la montée du fascisme
Cet événement illustre le ressentiment grandissant envers les familles italiennes à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, qui a mené à la traque de certains, en Alberta et dans tout le pays. « Italien » était devenu la rime automatique de « fasciste » : ils étaient officiellement désignés par le gouvernement canadien comme les « sujets d’un pays ennemi ». La défiance imprégnait les échanges avec les Italiens, alors que beaucoup étaient établis en Alberta depuis une ou deux décennies.
« Dans certaines villes minières, certains voulaient que ces Italiens soient brûlés, rapporte Adriana. La communauté francophone comme italienne était vraiment polarisée à l’époque ».
L’internement a visé près de 600 Italiens pendant ces heures sombres. « La majorité était au Québec et en Ontario, précise Adriana. Mais l’Alberta en a compté aussi, ils étaient six ». De nombreux étaient innocents, sans aucun lien avec le fascisme, uniquement emprisonnés pour leurs origines. Les familles des hommes internés étaient habituellement destituées et perdaient les terres attribuées.
« Cela a pris longtemps pour que le gouvernement canadien s’excuse, ce qui est arrivé au début des années 90 avec le premier ministre Brian Mulroney », rappelle Adriana Davies. Mulroney avait en effet indiqué qu’il s’agissait d’un « triste chapitre de l’histoire canadienne ».
En 2010, le député libéral Massimo Pacetti avait fait valoir que ces excuses étaient insuffisantes, car non officielles, et « oubliées dans le flot des informations ». Il avait ainsi déposé avec succès un projet de loi à la Chambre des communes, visant à reconnaître les injustices commises à l’égard des Canadiens d’origine italienne durant la Seconde Guerre mondiale. Le Parlement canadien avait fini par officiellement présenter ses excuses.
Prières à l’unisson à Edmonton Adriana Davies a remis le doigt sur un aspect que francophones et Italiens partageaient, notamment à Edmonton: la religion catholique, donc lieu de culte. Ainsi, L’Église francophone Saint-Joachim et la paroisse Immaculée-Conception, entre autres, étaient devenus des foyers communs aux deux communautés, qui se retrouvaient pour célébrer leur foi ensemble. |
La francophonie : un pilier de la carrière d’Adriana Davies
Alors qu’un montant de 10 000 $ lui a été remis dans le cadre du prix Heritage Writers’ Reserve pour l’aider à la publication du livre « From Sojourners to Citizens: Alberta’s Italian History », pour Guernica Editions, Adriana Davies jubile. « C’est une reconnaissance de mon travail depuis toutes ces années ! »
« Toutes ces années » correspondent à un dévouement entier à l’histoire locale. Après des études d’anglais et de français à l’Université de l’Alberta, Adriana retourne en Europe pour quelques années, mais pas en Italie : elle suit des études de doctorat à King’s College, à l’Université de Londres, en Angleterre, en littérature comparée anglaise et française. Elle revient en Alberta en 1980 après douze ans à Londres, avec son mari, un violoniste anglais, et ses deux fils.
Elle devient rédactrice de la science et de la technologie pour L’Encyclopédie canadienne. Adriana assure ainsi une couverture approfondie des contributions des Canadiens français en science et technologie. Elle joue un rôle important avec l’établissement de l’Heritage Community Foundation et la création de l’encyclopédie en ligne de l’Alberta : 13 des 84 sites internet multimédias qui comprennent l’Encyclopédie en ligne de l’Alberta sont bilingues grâce à son travail. Tous traitent du patrimoine francophone de la province.
Elle enchaîne un certain nombre de collaborations avec le Campus Saint-Jean, l’Université de l’Alberta et l’Institut pour le patrimoine et la Société généalogique du Nord-Ouest puis devient directrice générale de l’Alberta Museums Association. Au gré des années, la dame s’enracine un peu plus dans les domaines linguistiques et patrimonial albertains. Ses diplômes et son parcours l’ayant imprégnée des langues anglaise et française, elle n’a pour autant jamais délaissé ces racines italiennes.