Sur le tarmac, le bilinguisme fait encore défaut. Se faire servir dans la langue officielle de son choix dans un aéroport fédéral est un droit; mais un droit encore loin d’être acquis, comme le montrent les rapports du Commissariat aux langues officielles (CLO).
«Année après année, je reçois des plaintes qui visent autant les institutions fédérales que les entreprises privées assujetties à la Loi [sur les langues officielles (LLO)]. Un grand nombre de ces plaintes proviennent du public voyageur servi par des institutions comme les autorités aéroportuaires, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien ou encore la société aérienne Air Canada», déclare le commissaire dans son rapport annuel 2021-2022.
Un problème récurrent
À chaque fois, le constat est le même : selon les plaignants, les communications ou les services assurés par les administrations n’ont pas été fournis dans les deux langues. Des manquements observés sur place, à l’aéroport, mais aussi (et surtout) sur sa toile.
Un grand nombre de plaintes vise les communications destinées au public sur les plateformes numériques des aéroports, que ce soit sur leurs sites internet ou via leurs réseaux sociaux.
«J’ai l’impression que chaque aéroport a des explications différentes. Mais très souvent, c’est une question de ressources, de personnel bilingue. D’autre part, ça dépend de l’interprétation qu’ils font du public voyageur», note le commissaire aux langues officielles.
Des attentes trop élevées?
Côté ressources humaines, les autorités aéroportuaires disent avoir des difficultés à recruter des employés bilingues, surtout dans les régions où il n’y a pas beaucoup de francophones.
«Étant donné le nombre de francophones dans certaines villes du pays, sans parler du nombre de francophones intéressés par une carrière dans les services de sécurité des aéroports, on peut se demander si les attentes fixées pour certains aéroports sont les bonnes, sont réalistes», souligne Rémi Léger, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique.
«On a mis les attentes très élevées en matière de langues officielles et ça fait 50 ans qu’on échoue à les réaliser. […] Cela ne suffit pas de fixer des attentes, il faut aussi penser aux moyens pour les réaliser.» Selon l’universitaire, il y a souvent de grands débats autour des objectifs, mais moins de passion quand il s’agit d’évoquer les budgets et les outils à mettre en place pour les atteindre.
«Il faut être un peu plus pragmatique, étapiste, ajoute-t-il. Par exemple en fixant un nombre de membres du personnel bilingue atteignable pour dans deux ans, puis augmenter peu à peu ce nombre sur une échéance de cinq ans, puis dix ans, etc.»
Accélérer le processus de traitement des plaintes
Rémi Léger revient en outre sur la nécessité d’accélérer le processus de plainte. «Le commissaire aux langues officielles n’a pas la capacité de traiter des plaintes dans des délais raisonnables. J’ai l’impression que cela a pour résultat que l’on perd espoir. On dépose une plainte et on connait l’issue 18 mois plus tard. On se perd un peu dans la machine administrative. Ce n’est pas un système qui est fait pour appuyer le citoyen ou la citoyenne qui a des droits et qui considère que ces droits ont été lésés.»
Néanmoins, le projet de loi C-13, qui doit moderniser la Loi sur les langues officielles, pourrait changer la donne. C’est du moins ce qu’espère Raymond Théberge : «Je souhaite que la nouvelle approche nous permette d’aller plus vite et d’assurer, en bout de ligne, une meilleure conformité.»
En attendant la loi
Aujourd’hui, lorsqu’une plainte est jugée recevable dans le cadre d’une enquête, le commissaire émet des recommandations, mais celles-ci ne sont pas contraignantes. «Ceci est toutefois appelé à changer avec le projet de loi C-13», rappelle le commissaire aux langues officielles.
D’après la mouture actuelle du texte, le commissaire aura la possibilité de conclure des accords de conformité et d’émettre, dans certains cas, des ordonnances et des sanctions administratives pécuniaires dans le domaine des transports.
Reste à savoir quand le projet de loi sera adopté et quand il sera mis en place. «C-13, en tant que projet de loi, ne va pas à lui seul changer la situation dans les aéroports, tempère Rémi Léger. Mais C-13 se veut un morceau de quelque chose de plus large et englobant, censé s’accompagner de règlements, de politiques administratives […] Cela fait 4 ans qu’on cherche à faire adopter C-13. Cela va prendre combien de temps pour développer les règlements et quand vont-ils se développer?». Le décollage n’est pas pour tout de suite.