Titulaire d’un doctorat de sciences politiques de l’Université Paris-Panthéon-Assas (Paris II), Charlie Mballa est professeur adjoint de science politique au Campus Saint-Jean (CSJ) de l’Université de l’Alberta, où il enseigne depuis 2017.
Auparavant, Charlie a œuvré au sein de l’École nationale d’administration publique du Québec à titre de stagiaire postdoctoral (en administration de la politique étrangère), de chargé de cours et de professionnel de recherche. Il est également titulaire d’une licence de droit public obtenue à l’Université de Yaoundé. Membre du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’UQAM, où il dirige le Centre d’analyse et de prospective sur les Afriques (Cap-Afriques), ses recherches portent sur le Sud global/Afrique francophone. Codirecteur du Groupe de recherche sur les Afriques et l’Amérique latine (GRAAL) du CSJ, il dirige le comité scientifique du Symposium international des Cultures africaines et d’ascendance africaine (SICAAF).
Charlie est aussi membre du Réseau francophone international en conseil scientifique (RFICS). Ses centres d’intérêt suivants ont contribué à l’enrichissement des connaissances dans son champ disciplinaire : (i) paradiplomatie; (ii) techniques de négociation en contexte de diplomatie climatique multilatérale; (iii) politique étrangère canadienne et l’Afrique; (iv) mécanismes innovants de légitimité politique; et (v) processus d’intégration régionale en Afrique.
Il dirige le collectif L’État dans les Afriques. État des lieux et est coauteur de Nouvelle politique étrangère (PUQ, 2016) et de La politique étrangère en bons termes. Guide lexical (PUQ, 2016).
Ensemble, les deux instaurent une sorte de division du travail ou de tâches politiques et un contrôle réciproque entre les organes de pouvoir. C’est dire que la garantie des droits et libertés constitutionnels, tant pour les citoyens que pour les institutions de l’État, repose sur la spécialisation des fonctions et la séparation des organes de pouvoir.
On n’est pas loin de l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui stipule en son article 16 : «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution».
En d’autres termes, la séparation des pouvoirs n’est rien d’autre que la «première condition d’un gouvernement libre» (Constitution française de 1848), idée bien répandue dans la plupart des pays du monde. Dans le cas des pays africains, le problème de la séparation des pouvoirs et des contre-pouvoirs est le même que celui de la constitution en général. La région du Sahel n’y fait pas exception.
De quoi s’agit-il?
Il s’agit d’un problème de gouvernance de l’État. Les chercheurs du World Justice Project (WJP), aux États-Unis, ont développé un indice qui mesure les contraintes exercées sur les pouvoirs gouvernementaux (WJP, 2022). Le classement des pays observés, dont 39 africains, est assez révélateur si l’on se penche notamment sur ceux qui ont connu récemment des coups d’État militaires.
Sur les 39, en effet, hormis le Burkina Faso (11e), les trois autres, sans être les pires du continent, font face à de sérieux problèmes de gouvernance : le Mali (22e), le Niger (26e) et la Guinée (29e). L’indice du WJP qui mesure l’État de droit et l’absence de corruption tend à confirmer la fragilité de l’État dans cette région. Dans le cas d’espèce, le Mali (26e sur 39) et la Guinée (32e sur 39) font déjà face à des problèmes de corruption plus graves, certes, qu’au Niger (17e sur 39) ou au Burkina Faso (13e sur 39).
L’indice de justice (criminelle et civile) tend à confirmer la situation. Ainsi, sur 38 pays africains comparés, le Mali est 36e et 30e, tandis que la Guinée est 34e et 34e et le Niger 22e et 20e respectivement. Le Burkina Faso, s’il a des efforts à faire sur le plan de la justice civile, semble une fois de plus confirmer la règle par son exception : 6e!
Dans cette région, en Afrique subsaharienne plus généralement, malgré les réformes institutionnelles des années 1990 visant à transformer les systèmes politiques hérités des «indépendances forcées» des années 1960, il existe un problème constitutionnel, probablement parce que les constitutions sont elles-mêmes problématiques… Elles sont sans cesse en chantier (Conac, 1980), modifiées et adoptées dans l’urgence, parfois par référendum, sorte de contrat d’adhésion imposé au peuple.
Plus de 30 ans après le constat de F. Wodie (1990), la constitution en Afrique se dévoile encore «le paravent qui abrite le pouvoir personnel», les réussites isolées cachant mal l’échec du constitutionnalisme. Depuis l’année 2000, au moins 13 États africains ont procédé à des changements constitutionnels visant le maintien au pouvoir de leurs dirigeants, la plupart en Afrique subsaharienne.
Dans plusieurs de ces pays, la constitution est passée d’un instrument de la stabilité des institutions à un outil de désordre politique, semblant donner à l’armée une sorte de légitimité pour palier, selon la rhétorique des putschistes, les lacunes du système constitutionnel existant et auquel, par conséquent, ils s’attaquent systématiquement en premier, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, quitte à perpétuer l’éternel recommencement constitutionnel déjà évoqué.
On passe ainsi, facilement et régulièrement, des coups d’État constitutionnels à des coups d’État militaires, les uns prétendant à autant de légitimité que les autres. Pour le dire autrement, lorsque des dirigeants élus «démocratiquement» manipulent et torpillent la constitution, il s’agit de rien d’autre qu’un coup d’État!
De telles pratiques sont de nature à compromettre les droits et libertés que la constitution est censée garantir et dont l’intégrité devrait être protégée par ces fossoyeurs de légitimité et de souveraineté populaires. L’État s’en trouve donc lui-même menacé dans ce qu’il a de fondamental : son instrument de stabilité. L’intervention de l’armée s’inscrirait, ipso facto, dans cet esprit et cet esprit seulement, vu son rôle originel : protéger l’État contre toute menace pesant sur son intégrité…
Toutefois, la science politique et l’expérience des régimes militaires nous apprennent que les forces armées sont d’abord au service du pouvoir politique et toute ambition politique des militaires est contre nature. Autant l’armée ne saurait être à la fois protectrice de la souveraineté et acteur politique, autant sa descente dans l’arène politique lui fait perdre sa légitimité et sa neutralité internes. La politique étant la guerre par d’autres moyens, selon la célèbre formule de Clausewitz, il est effectivement difficile de concevoir une armée menant ces deux types de guerre, la deuxième étant permanente.
La séparation souple des pouvoirs, un exutoire?
On le voit, l’État en Afrique et dans la région sahélienne plus particulièrement fait face à plusieurs menaces, dont deux ont été mises en exergue : l’instrumentalisation de la puissance militaire par les politiciens avides d’un pouvoir politique à vie et les ambitions des forces armées soucieuses d’exercer un pouvoir politique.
Résultat : 32 putschs depuis 1990!
Pour expliquer la faiblesse des institutions attribuée à ces menaces, l’argument parfois entendu d’une séparation des pouvoirs peu stricte ne suffit pas. Le Canada et bien d’autres exemples, notamment en contexte parlementaire, démontrent que la séparation souple des pouvoirs, voire la monarchie, n’empêche ni le respect d’un ordre politique qui garantit un équilibre intelligent des pouvoirs ni la garantie des droits et libertés, voire l’effectivité d’une justice criminelle et/ou civile.
La clé de la stabilité se trouve dans les arrangements institutionnels (écrits ou non, explicites ou non) historiques, juridiques, politiques, culturels, vécus et acceptés comme obligatoires par les acteurs politiques, toutes générations confondues. À condition, toutefois, que «l’esprit des lois», dont découle le respect dû à la constitution, soit ancré dans la culture politique!
Glossaire – Corruption : action de pousser (quelqu’un) à agir contre son devoir, sa conscience