Les pays d’Afrique regorgent d’une richesse musicale inestimable avec une variété d’instruments tels que le djembé, la calebasse, le dou doum ou le balafon, chacun contribuant à créer des sonorités distinctes. «Ce qu’il faut savoir, c’est que chaque pays a son rythme. En Guinée, c’est le yankadi. Au Sénégal, c’est le mbalax. Si tu vas au Mali, c’est le bajourou, ainsi de suite», explique Ibrahima Takouss Diallo, un joueur de djembé et membre de la formation musicale Malala Production.
Dès son plus jeune âge, ce musicien d’origine guinéenne raconte avoir été bercé par le rythme de ces mélodies traditionnelles, lesquelles résonnaient «un peu partout dans les rues» de sa ville et se mêlaient au tumulte de la vie quotidienne. «Nous, on n’apprend pas les instruments à l’école, on a ça dans le sang, tu vois.»
Or, bien que profondément enracinée dans la culture guinéenne, la musique informelle, transmise de génération en génération, semble avoir été progressivement négligée parmi les jeunes qui lui préfèrent de plus en plus la musique moderne telle que l’afrobeat, l’afropop ou le hip-hop. Ce phénomène, constate Ibrahima avec amertume, s’est accentué au cours des dernières années avec l’arrivée des plateformes de diffusion audio.
«C’est un peu choquant à voir. Ça a beaucoup changé par rapport à quand j’étais jeune. Tous les adolescents de mon pays veulent maintenant devenir rappeurs», explique-t-il. Il s’inquiète de voir les prochaines générations délaisser la pratique quotidienne de la musique traditionnelle et de l’effet domino que cela entraînerait à la fois sur le nombre de musiciens de rue et sur la culture guinéenne.
«Si les jeunes abandonnent la tradition musicale de notre pays pour faire de l’argent rapide, c’est notre culture qui est en jeu», souligne-t-il.
Investir un nouveau marché
Ironiquement, le scénario inverse tend à se dessiner au Canada et en Alberta depuis quelques années, la musique traditionnelle africaine gagnant peu à peu en popularité et étendant son influence. Puisque le marché musical nord-américain est «plus développé» et que son écosystème est «mieux structuré» en termes de rémunération des artistes, de nombreux expatriés choisissent de faire carrière ici, notamment dans la province de la rose sauvage.
«Les gens sont prêts à acheter un album ici, on peut gagner sa vie comme musicien. Ce n’est pas le cas en Afrique», nuance Ibrahima Takouss Diallo.
L’artiste multidisciplinaire Jean-Paul Beche Ako abonde dans le même sens. Selon lui, l’intérêt pour la musique traditionnelle africaine en Alberta a augmenté au cours des vingt dernières années en parallèle avec l’arrivée croissante d’immigrants en provenance d’Afrique.
«Ce que je constate, c’est que cet intérêt a suivi une courbe de croissance surtout chez les francophones, mais aussi dans le public anglophone. Quand je suis arrivé dans la province, il n’y avait ni un grand public ni beaucoup d’artistes qui se consacraient à la musique traditionnelle et maintenant, il y en a beaucoup plus. L’intérêt est bel et bien présent», explique-t-il.
Cet engouement renouvelé pour les sonorités africaines va bien au-delà des frontières albertaines, précise l’artiste. Les marchés québécois et américain sont «très actifs», estime-t-il, tout comme celui de l’Asie. «Au Japon, en Chine, les percussions et la danse [suscitent] un grand intérêt. J’ai aussi fait partie d’un groupe pendant de nombreuses années, on faisait des tournées un peu partout dans le monde et dans le coin de Montréal, ça fonctionnait très bien».
Au fil des années, le musicien d’origine ivoirienne a aussi cherché à élargir son public en expérimentant «avec sa musique», confie-t-il. En incorporant de la danse aux mélodies et en trouvant un équilibre entre l’afrobeat moderne et les sonorités traditionnelles, il a réussi à attirer de plus en plus de spectateurs. Pour lui, il n’y a pas de désaccord fondamental entre tous ces styles musicaux, mais plutôt une occasion d’exploration artistique.
«Je préfère quand tout le monde peut se retrouver dans une performance. Je crois que la polyvalence, ça plaît à tout le monde», affirme-t-il.
Mais bien qu’il soit ouvert à moderniser son approche en fusionnant tradition et contemporanéité, ce musicien ivoirien garde un profond attachement à l’art africain dans sa forme «la plus authentique». «Que ce soit la musique, la danse, la peinture, l’art est tellement important et pur, il faut assurer sa [pérennité].»
Une évolution toute en beauté
Le rappeur Dan Dennis Ndela, dit 2Moods, n’a pas de difficulté à reconnaître que la musique traditionnelle africaine a subi des transformations majeures ces dernières années. «C’est vrai que de nombreux artistes émergents intègrent des influences urbaines et expérimentent avec un mélange de styles parfois au détriment des instruments traditionnels et au profit d’ingénieurs sonores», explique-t-il.
Pourtant, l’artiste d’origine congolaise voit dans cette évolution quelque chose d’assez «naturel» qui ne cherche pas à dénaturer le traditionnel de manière franche, mais plutôt à le faire évoluer vers quelque chose de nouveau. «Certains apprécient ce changement, d’autres non. C’est subjectif. Moi, je vois l’évolution comme une beauté. Mais je comprends pourquoi on peut penser que ça dénature le traditionnel», ajoute-t-il.
Pour lui, renchérit-il, l’art ne devrait pas demeurer figé, mais plutôt se renouveler constamment en explorant de nouveaux horizons. Par exemple, le rappeur dit s’inspirer d’une variété de sonorités, de mélodies et d’instruments africains pour enrichir son processus créatif. «Je ne pense pas que ça étouffe; au contraire, ça alimente mes créations. Dans ma musique, j’incorpore toujours des influences africaines», soutient-il.
Son nouvel opus reflétera cette fusion de styles et de couleurs, avec des textes assez «profonds», annonce-t-il. «L’album sera principalement composé de rap avec un peu moins de chant que dans mes projets précédents. Il y aura aussi quelques chansons plus dansantes, avec des inspirations d’afrobeat», ajoute-t-il.
En ce qui concerne le marché musical, 2Moods estime qu’au-delà des frontières stylistiques, il y aura toujours une possibilité de coexistence entre le moderne et le traditionnel. «Si on prend le public en Alberta, je vois de l’intérêt pour les deux. Il n’y a pas une forme d’art qui en menace une deuxième», conclut-il avec confiance.
Glossaire – Tumulte : Agitation, désordre bruyant