IJL-RÉSEAU.PRESSE-LE FRANCO
Au Musée de Bonnyville, créé par la Société historique dans les années 1990, une petite révolution est en cours. Autrefois, la signalisation bilingue faisait défaut et attirait souvent les moqueries des francophones par ses erreurs grossières. Aujourd’hui, elle les rend de plus en plus fiers. La jeune femme derrière ce projet, Danna Kamaleddine, accueille ces changements avec beaucoup d’enthousiasme.
«J’ai presque tout changé et il y a encore du travail à faire. Mais maintenant, notre pamphlet, le site web et la majorité de nos panneaux d’information sont en français. Et surtout, il n’y a presque plus d’erreurs», s’exclame-t-elle.
À son arrivée en poste, il y a six ans déjà, le portrait était bien différent. Danna était la seule employée à s’exprimer dans la langue de Molière. Surtout, elle se heurtait constamment aux membres de la Société historique de Bonnyville qui voyaient mal comment leur musée pouvait à la fois conjuguer l’histoire francophone et anglophone. Ils avaient décidé de prioriser cette dernière.
«C’était surprenant pour moi parce que la moitié de notre communauté parle français. Certains aînés parlent même seulement le français», explique celle qui a effectué ses études en éducation au Campus Saint-Jean.
Avec beaucoup d’acharnement et un poste de superviseure en poche, plusieurs portes se sont éventuellement ouvertes à la jeune femme. Notamment, le rapatriement de la chapelle Ste-Anne sur le terrain du musée, sur la 54e Avenue, ainsi que la restauration de certains bâtiments ont donné un vent de renouveau et renforcé la perspective francophone. Cet été, la cadette des Kamaleddine, Alene, s’est également ajoutée à l’équipe en renfort pour améliorer les services offerts en français.
«Il y a beaucoup de familles qui viennent pendant l’été. Il n’y a pas grand-chose à faire à Bonnyville. Plusieurs jeunes apportent leurs grands-parents. Alors, on voulait s’assurer de pouvoir les recevoir dans leur langue maternelle», explique la superviseure.
À la recherche de relève
Si le recrutement de travailleurs ne semble pas trop éprouvant au musée – vingt-cinq personnes ont déposé leur curriculum vitae pour un poste cet été – la relève pour défendre les intérêts des francophones au sein de la Société historique est plus incertaine, surtout que Danna entame ses derniers mois comme superviseure. L’été prochain sera son dernier au musée.
«J’espère avoir mis des bases solides pour que la suite se déroule bien, avec la journée annuelle en français, la journée des aînés et la collaboration avec les autres musées. J’ai hâte de voir ça évoluer.» Elle souhaite aussi voir d’autres jeunes francophones s’impliquer activement dans les prochaines années.
C’est justement par crainte de ne pas trouver de relève pour assumer la conservation du patrimoine francophone de la région que les dirigeants du Musée de Saint-Paul ont créé leur propre société historique francophone en 2021. Environ soixante membres y ont adhéré depuis. L’objectif est avant tout de devenir le moteur de la francophonie locale, en préservant certains artéfacts et en approfondissant la connaissance de cette région autrefois très dynamique.
Le musée lui-même existe depuis longtemps et a contribué à l’épanouissement des francophones de la région. Installé dans la bâtisse de la 50e Avenue depuis une quarantaine d’années, il a une histoire qui remonte bien plus loin. Les premiers artéfacts de la communauté étaient initialement conservés dans «l’ancienne école en brique de la ville», qui a malheureusement brûlé. «Ils ont perdu la première collection», explique Lise Béliveau, présidente et membre de l’équipe fondatrice de la Société historique.
Bonnyville
Le Musée de Bonnyville, ouvert en 1991, abrite quinze bâtiments qui illustrent l’évolution de la ville à travers les années. On y trouve notamment le magasin général de Napoléon Vallée, la cabine Séguin construite au milieu des années 1930, l’école Durlingville qui a accueilli des élèves entre 1916 et 1919, ainsi que des équipements sportifs de l’équipe locale, des uniformes de la GRC, d’anciens camions de pompiers, des voitures et des tracteurs d’époque. Se perdre parmi cette multitude d’artéfacts est comme faire un voyage dans le passé.
Danna Kamaleddine mentionne que le premier poste de police utilisé pourrait être la prochaine structure à être déplacée sur le terrain du musée. «Mais cela nécessite beaucoup d’argent, de temps et de patience, donc on verra», ajoute-t-elle.
Mine de rien, l’éveil pour créer une société historique à Saint-Paul coïncide presque parfaitement avec le travail de revitalisation effectué à Bonnyville, à une soixantaine de kilomètres de là, pour accorder plus d’importance au patrimoine francophone. Pour Mme Béliveau, il ne s’agit pas d’une simple coïncidence, mais plutôt d’une réponse à l’air du temps. «Peut-être qu’après trente ans d’école francophone, la question identitaire revient au premier plan», explique-t-elle.
Peut-être aussi qu’une funeste prise de conscience s’installe et que les communautés réalisent peu à peu que sans travail assidu de préservation, l’histoire francophone est vouée à l’oubli. D’ailleurs, la Société historique francophone régionale de Saint-Paul «ne s’en cache pas», elle cherche avant tout à «attirer les jeunes» et à recruter de nouveaux membres.
À l’ouverture du musée, la musique a d’ailleurs été choisie pour refléter les goûts de cette tranche d’âge. «Ça a bien fonctionné, on a eu 250 personnes à notre ouverture.»
Remise en question nécessaire
Les efforts de réconciliation avec les Autochtones au cours des dernières années ont également conduit à une réflexion sur le rôle des Métis dans l’établissement de cette région et les efforts subséquents pour les chasser de leurs terres au bénéfice des colons francophones.
Ce pan de l’histoire doit être raconté, tout comme les autres, estime Lise Béliveau. «On ne peut pas effacer l’histoire. Ma fille dit que l’Église catholique est meurtrière. Mais c’est aussi cette religion qui a préservé l’éducation en français et établi le Campus Saint-Jean. Il y a toujours des nuances», explique-t-elle.
De manière concrète, les révélations sur les abus commis par l’Église catholique ont entamé un processus de questionnement qui a ultimement permis à la Société historique de réaliser que d’autres parties de son patrimoine lui étaient toujours inconnues. Pour explorer ces angles morts, des tournées ont été organisées dans les villages avoisinants de Saint-Paul pour mieux connaître ces histoires entrelacées.
«On vend des billets et on part en autobus avec nos membres pour aller découvrir les environs, ce sont des activités très populaires et très intergénérationnelles», conclut la présidente.
Saint-Paul
Le Musée historique de Saint-Paul plonge ses visiteurs dans l’histoire des premiers habitants qui ont peuplé cette région autrefois nommée Saint-Paul-des-Métis. Il abrite de nombreux artéfacts qui racontent les métiers pratiqués par les pionniers de ce coin de pays : agriculteur, cordonnier, couturier… Tous partageaient le rêve d’un avenir meilleur et d’une terre pour leur famille. Le grand-père de Lise Béliveau était lui-même forgeron, un métier en grande demande à l’époque.
«La région de Saint-Paul était surnommée le petit Québec. C’était un bastion francophone. Il y avait même beaucoup d’écoles où l’enseignement se faisait en français.»
Le musée présente également trois expositions en rotation. L’année prochaine, le thème de la culture et de la musique mettra en lumière les souvenirs de la chorale de Saint-Paul, composée de plus de soixante membres qui chantaient dans cinq langues différentes.
Glossaire – Funeste : Qui est inquiétant