le Mercredi 22 octobre 2025
le Mardi 21 octobre 2025 15:43 Justice

Maria Vigneault, vers un sentiment de fierté collectif pour les juristes francophones

 (De gauche à droite), Marie-Audrey Girard, Maria Vigneault, Fernande Bergeron, Luketa M'Pindou et Makolo Kashala à une conférence de l’Alberta Restorative Justice Association. Photo : Courtoisie
(De gauche à droite), Marie-Audrey Girard, Maria Vigneault, Fernande Bergeron, Luketa M'Pindou et Makolo Kashala à une conférence de l’Alberta Restorative Justice Association. Photo : Courtoisie

IJL - Maria Vigneault a fait de l’accès à la justice en français son cheval de bataille depuis qu’elle a commencé à s’impliquer au sein de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta (AJEFA). À la direction de l’organisme depuis août, elle veut maintenant bâtir une équipe forte et complémentaire pour mieux répondre aux besoins croissants des justiciables francophones de la province.

Maria Vigneault, vers un sentiment de fierté collectif pour les juristes francophones
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Son parcours atypique l’amène aujourd’hui à compléter en ligne un baccalauréat en droit à l’Université Laval, une formation que cette Québécoise d’origine a entreprise pour mieux s’outiller dans ses fonctions. Elle souhaite également consacrer les prochains mois à restructurer l’AJEFA pour renforcer l’action de l’organisme sur le terrain.

Le Franco :  Vous avez travaillé comme coordonnatrice juridique à l’AJEFA pendant huit ans avant de devenir directrice générale. Qu’est-ce que cette expérience vous a appris sur les réalités de la communauté juridique francophone en Alberta?

Maria Vigneault : Je n’ai pas seulement été coordonnatrice juridique, j’ai aussi travaillé comme greffière à la Cour du Banc du Roi et comme adjointe à la magistrature à la Cour du Québec. Ces expériences m’ont permis d’avoir une idée globale de ce qui se passe sur le terrain et des difficultés que rencontrent les personnes qui se représentent seules. 

Quand on voit, par exemple, un francophone qui se défend seul et qui a du mal à comprendre ses droits, que ce soit le droit d’être représenté par un avocat ou de demander un procès en français, ça prend au cœur. Toutes mes expériences m’ont ouvert les yeux sur les réalités vécues par les justiciables face au système de justice.

Maria Vigneault, la nouvelle directrice générale de l’AJEFA. Photo : Courtoisie

Le Franco : Qu’est-ce qui vous a motivée à poser votre candidature au poste de directrice générale?

M.V. : J’ai à cœur la mission de l’AJEFA. Pouvoir aider ceux qui en ont besoin, c’est ce qui me motive. Quand Denise [Lavallée] a décidé de quitter ses fonctions, j’ai senti que c’était le bon moment pour moi de postuler. Je voulais poursuivre les projets déjà amorcés, mais aussi en développer de nouveaux, en collaboration avec l’équipe en place. La société évolue, les besoins changent, notamment avec l’arrivée de nombreux immigrants. Les enjeux [juridiques] touchent autant la famille, le travail que le logement. Il faut donc constamment s’adapter pour voir comment on peut mieux accompagner ces personnes.

Le Franco : Avec la vague d’immigration que connaît l’Alberta, de nombreux nouveaux arrivants francophones s’établissent dans la province sans toujours maîtriser l’anglais. Est-ce que cette réalité accentue, selon vous, les besoins d’accès à la justice en français?

M.V. : Absolument. Les besoins [d’accès à la justice] sont plus criants que jamais avec l’arrivée de nouveaux arrivants francophones. Il faut être en mesure de les accompagner, mais aussi de leur offrir des ateliers pour leur expliquer comment fonctionne le système canadien et leur faire connaître leurs droits. On organise souvent des séances avec la FRAP, le PIA ou le CANAF lors de journées d’orientation pour les nouveaux arrivants. Par exemple, expliquer que les enfants ont des droits et que les parents ont des devoirs envers eux peut être une réalité surprenante pour certains, puisque ce n’est pas le cas dans toutes les cultures. Cette éducation contribue aussi à renforcer la relation familiale.

Les besoins [d’accès à la justice] sont plus criants que jamais avec l’arrivée de nouveaux arrivants francophones.

— Maria Vigneault

La directrice générale présente les activités de l’AJEFA. Photo : Courtoisie

Le Franco :  Pouvez-vous nous parler de projets concrets à venir, que ce soit en matière de formation, de sensibilisation ou de services au public?

M.V. : Nous allons continuer d’offrir des webinaires et des ateliers, que ce soit dans les écoles, auprès des jeunes, des aînés ou de tout autre public. C’est essentiel de donner de l’information juridique, car on ne peut pas [invoquer l’ignorance de la loi] comme défense : tout citoyen doit connaître ses droits.

Un autre projet en préparation concerne la justice réparatrice. C’est un processus qui met en contact un accusé et une victime afin de permettre à l’accusé de prendre conscience de son geste et d’en assumer la responsabilité. En février, nous accueillerons Équijustice, un organisme québécois spécialisé dans ce domaine. Ils viendront à Edmonton pour former des bénévoles afin que nous puissions ensuite prendre en charge des dossiers, transmis directement par les tribunaux ou à la demande d’une victime qui préfère passer par ce processus plutôt que de porter plainte. La justice réparatrice est volontaire, alors les deux parties doivent accepter d’y participer. 

Nous allons également poursuivre nos efforts avec le Centre albertain d’information juridique. On va essayer d’aller peut-être un peu plus du côté des régions rurales pour essayer de mieux les servir de ce côté-là, parce qu’elles sont souvent oubliées.

La justice réparatrice est volontaire, alors les deux parties doivent accepter d’y participer.

— Maria Vigneault

Le Franco : Je me demandais justement quelle était la réalité des services juridiques en français à l’extérieur des grands centres urbains de la province? L’offre répond-elle vraiment aux besoins?

M.V. : Dans mon ancien poste, j’allais une fois par mois offrir le service de notaire public à Red Deer. Mon but dans le futur, c’est vraiment de travailler de manière similaire avec les régionales de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et de voir de quelle façon on peut les appuyer… Le partenariat avec l’ACFA de Red Deer fonctionne très bien, c’est une fois par mois, on a déjà établi la date, les clients viennent, reconnaissent l’offre de services. 

Ailleurs dans la province, je sais que c’est un besoin qui est criant. On doit faire de la publicité encore plus et on doit cogner à la porte des milieux ruraux pour leur dire : nous sommes là, on peut vous aider… Les gens pensent qu’ils ont toujours besoin d’un avocat, mais parfois c’est juste de l’information dont ils ont besoin. Ils ont juste besoin d’avoir une certaine direction pour régler leurs problèmes. Cela peut concerner un contrat de travail, par exemple, où une personne veut vérifier si une clause est légale… D’où l’importance aussi de maintenir un répertoire de juristes bilingues partout en Alberta, pour les cas qui nécessitent un avis plus poussé.

Le Franco : La récente nomination de Caroline Magnan à la Cour du Banc du Roi de l’Alberta est historique. Qu’est-ce que cela vous inspire et quel message pensez-vous que cela envoie à la prochaine génération de juristes francophones?

M.V. : Caroline Magnan s’est vraiment démarquée en matière d’accès à la justice en français. Sa nomination comme juge est un excellent choix. Je pense qu’elle inspirera les jeunes à assumer davantage leur francophonie. Elle a beaucoup travaillé avec eux et les a sensibilisés à l’importance de s’afficher en français et d’en être fiers. C’est exactement ce que je souhaite voir davantage dans les prochaines années : des jeunes juristes qui assument et affichent leur identité francophone.

Les gens pensent qu’ils ont toujours besoin d’un avocat, mais parfois c’est juste de l’information dont ils ont besoin.

— Maria Vigneault

(De gauche à droite), Ida Ituze, Terhass Berhane et Maria Vigneault de l’AJEFA. Photo: Courtoisie

Le Franco : Selon votre expérience de terrain, dans quels domaines du droit l’accès en français est-il le plus critique : le droit de la famille, le droit civil ou le droit pénal?

M.V. : Tous les domaines du droit sont importants, mais ceux qui ressortent le plus sont l’immigration, le droit de la famille et le droit criminel. Un autre enjeu majeur, c’est le manque d’avocats qui acceptent des mandats de l’aide juridique (Legal Aid). C’est important de promouvoir l’aide juridique auprès des juristes francophones. Ce qu’on remarque, c’est que la classe moyenne est souvent coincée. Elle a trop d’argent pour être admissible à l’aide juridique, mais pas assez pour être capable de s’offrir un avocat… Travailler à améliorer cette situation serait crucial, afin de mieux répondre aux besoins de nombreux justiciables.

 C’est important de promouvoir l’aide juridique auprès des juristes francophones.

— Maria Vigneault

Le Franco : L’AJEFA a célébré cet été ses 35 ans d’existence à Edmonton. Comment aimeriez-vous que l’organisme soit perçu lorsqu’il fêtera ses 45 ans?

M.V. : Mon objectif pour les dix prochaines années est de créer un véritable sentiment de fierté collective, afin que les juristes francophones n’hésitent plus à afficher leurs services en français. Je ne parle pas seulement des avocats, mais de l’ensemble des professionnels du droit : greffiers, notaires, juges, procureurs, adjoints juridiques, etc. Je souhaite aussi que l’AJEFA soit perçue comme un organisme capable de faire avancer les choses, tout en bâtissant des ponts avec le milieu anglophone. Trop souvent, nous avons l’impression de devoir nous battre pour obtenir nos droits, alors que nous ne demandons rien de plus que l’égalité. J’aimerais que les anglophones comprennent mieux cette réalité. Mon souhait est que notre prochain congrès soit bilingue, afin que des juges, avocats et procureurs anglophones puissent y participer. On pourra leur montrer clairement que notre but, ce n’est pas d’être meilleur qu’eux autres, c’est de travailler ensemble. 

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