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le Lundi 3 mai 2021 17:46 Opinions

«Ça va bien aller? Depuis le départ, ce message me dérange.»

«Ça va bien aller? Depuis le départ, ce message me dérange.»
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Cet article a été publié en avril 2020.

Le 26 mars 2020, la une de votre journal était consacrée au mouvement des arcs-en-ciel (#çavabienaller) qui a depuis pris beaucoup d’ampleur. La psychologue québécoise Roxane Robitaille a sa propre opinion sur la question. Elle a accepté de la publier en exclusivité pour Le Franco.

Depuis le départ, ce message me dérange.  

Dire que « ça va bien aller », c’est un bien beau message pour les enfants, mais ça manque drôlement de sophistication pour les adultes.

Je vois l’intention de ce message, je vais en parler dans un instant, mais l’adversité, c’est une partie intégrante de la vie. Te faire dire que « ça va bien aller » quand tu as perdu ton emploi, que tu vis de l’anxiété, une dépression, ou qu’un de tes proches est à l’hôpital, ce n’est pas toujours un message qui fait du bien. En fait, ça invalide beaucoup l’expérience difficile que vit l’individu.

Si tout allait bien tout le temps, si c’était facile de se dire que «ça va bien aller » … je n’aurais pas de job… des psys, on n’en aurait pas besoin.

«L’intention est bonne mais parfois ça sonne vide»

Alors pourquoi on dit ça? « Ça va bien aller. » On le dit par bienveillance, pour générer de l’optimisme, on le dit parce que c’est important de conserver l’espoir, mais aussi, on le dit parce qu’on ne sait pas quoi dire et qu’on ne sait pas quoi faire.

On le dit parce que c’est difficile d’être témoin de la souffrance de quelqu’un. La première chose qu’on veut faire, c’est éteindre la souffrance de l’autre.

On le dit parce qu’on ne sait pas soi-même accueillir la détresse qui survient dans une vie, des fois ça nous dépasse, des fois on n’a pas eu le modèle, et des fois notre propre détresse a été invalidée. Alors, on fait de son mieux pour passer au travers, on se dit que ça va bien aller.

L’intention est bonne, mais des fois, ça sonne vide. Des fois, ça isole la personne avec sa détresse, ça l’invalide. La personne reste prise en dedans avec ses sentiments. En parler, ça fait du bien, mais se faire dire «ça va bien aller» peut-être que ça enlève le goût d’en parler, peut-être que je me sens «lourde » ou que je m’étiquette comme étant alors une personne «négative», ou comme si le problème il est avec moi… pourquoi je n’y arrive pas moi, à bien aller?

Parce que des fois, ça ne va pas bien, ça fait partie de la vie, et se juger de ne pas bien aller, c’est la dernière chose utile.

«Tout changement, passe par une phase d’acceptation»

Que pouvons-nous nous dire alors? Ce n’est pas correct de se dire que ça va bien aller? C’est correct, c’est bienveillant, et oui, il faut ajouter de l’espoir, c’est très important, mais ajoutons des nuances. Des nuances, ça ne fait pas des beaux slogans, mais des fois, ça nous prend un peu plus que des slogans.

Valider l’émotion, et affirmer sa présence pour l’autre, ce serait déjà un bon début. Valider c’est dire : tu as le droit de te sentir comme tu te sens, je ne juge pas ta réaction. Et affirmer sa présence, c’est un petit signe qui indique que je suis là pour l’autre et qui démontre à l’autre qu’il n’est pas aussi seul qu’il le croit.

« J’aimerais tellement avoir les mots pour t’enlever ta détresse (valider), je ne les ai pas, mais je suis là avec toi (être présent). »

« C’est vraiment difficile en ce moment, je comprends que tu t’inquiètes (valider) et je trouve cela dur de voir que tu vis tout cela (être présent). »

Je m’enlève la pression de devoir « régler » le problème de l’autre, je n’ai pas ce pouvoir de toute façon, malheureusement.

Mais, j’ai le pouvoir d’écouter, d’être présent. Faire attention à la panique, s’accrocher à l’espoir, faire attention à sa santé mentale, se souder les uns les autres, tenter d’avoir de la gratitude : oui, 100%, mais on peut faire place à la détresse et à l’espoir, ces deux choses peuvent coexister. Tout changement, passe par une phase d’acceptation de ce qui est, incluant les émotions négatives.