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le Jeudi 11 janvier 2024 19:32 Politique

Le Parti conservateur, 20 ans après la fusion

(FRANCOPRESSE) – En 2003, l’Alliance canadienne et le Parti progressiste-conservateur ont uni leurs forces pour créer l’actuel Parti conservateur du Canada. Retour sur l’histoire de cette fusion politique.
Le Parti conservateur, 20 ans après la fusion
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Il y a maintenant plus de vingt ans, les deux partis politiques aux orientations conservatrices annonçaient leur fusion, marquant la fin d’une droite divisée.

Alors que, quelques semaines auparavant, le chef du Parti progressiste-conservateur du Canada (PPCC), Joe Clark, avait promis qu’une telle chose n’arriverait jamais, en décembre 2003, le Parti conservateur tel qu’on le connaît actuellement était fondé.

Malgré l’obtention de résultats fulgurants au vote, la fusion ne faisait pas l’unanimité chez les progressistes-conservateurs. À la Chambre des communes, trois députés ont continué de s’afficher sous cette bannière, n’embarquant pas dans le bateau du nouveau parti conservateur.

«Notre parti est mort», avait déclaré l’un de ces députés et chef du PPCC, Joe Clark. Un rêve s’écroulait du côté des progressistes-conservateurs.

Carl Dholandas, ancien militant et membre exécutif du PPCC, se souvient de la déception qui marquait les visages de certains collègues. Pour eux, les différences d’idées politiques faisaient de l’union une pilule difficile à avaler.

Encore très jeune à l’époque, Carl Dholandas a quitté la vie politique pour faire des études en droit. Il a travaillé comme avocat et chercheur avant de revenir en politique, des années plus tard, comme conseiller au bureau de Stephen Harper, à l’époque où il était premier ministre.

Aujourd’hui conseiller indépendant en politique publique, Carl Dholandas a fait le deuil du PPCC : «Ceux qui sont nostalgiques font le deuil du Canada qu’ils ont connu, plus que d’anciens partis.»

Désormais loin des coulisses du pouvoir, un regard rétrospectif sur 2003 le mène à la conclusion suivante : «C’était nécessaire.»

Un gain pour la démocratie

«Chez les conservateurs et les alliancistes, avant la fusion, on s’est rendu compte qu’il n’y avait presque aucune chance d’arriver au pouvoir, se rappelle-t-il. Le gouvernement libéral allait s’éterniser. […] Les partis eux-mêmes avaient peur de devenir de plus en plus insignifiants.»

Au-delà de la simple victoire, il était important pour Carl Dholandas qu’un parti d’opposition puisse faire concurrence au Parti libéral pour deux raisons : le principe d’alternance et l’inclusion de l’Ouest canadien.

«L’Ouest se sentait politiquement délaissé, exclu, précise-t-il. L’intégrité et le bon fonctionnement du système politique canadien, et même de la Constitution au sens large, nécessitent cette tradition vénérable de l’alternance, la possibilité d’opérer un changement politique stable, de manière stable.»

«Après 13 ans de gouvernement libéral, après le scandale des commandites, sans alternative politique, on aurait pu dire que l’intégrité de la démocratie était menacée [ainsi que] la confiance des gens.»

Quelques réussites

«C’est encore mieux que mes attentes», admet Carl Dholandas en regardant le chemin parcouru par le Parti conservateur du Canada (PCC) depuis sa création. «C’est remarquable que ça ait fonctionné aussi vite.»

En 2006, le PCC fait élire un gouvernement minoritaire avec Stephen Harper en tête, permettant ainsi un retour du principe d’alternance entre les partis au pouvoir, selon Carl Dholandas. Depuis ce temps, l’avocat souligne l’ajout de députés de l’Ouest au caucus conservateur, marquant une représentation de la région au fédéral.

Carl Dholandas est aussi frappé par l’adaptation du parti au Canada moderne.

«Si on regarde la capacité de rejoindre un public qui se sentait délaissé ou exclu, comme celui de l’Ouest […] et la capacité de recruter de nouveaux Canadiens, des gens qui ont immigré au pays ou qui étaient trop jeunes pour voter à l’époque de la fusion, il y a une réussite. Si on peut rejoindre ces gens qui forment le Canada moderne, c’est clair qu’il y a quelque chose qui a fonctionné. On voit ça sur le plan financier, les donateurs […] et dans les adhésions.»

Du Parti réformiste au Parti conservateur

Le Parti réformiste a été créé en 1987 sous deux motivations principales, soit la réforme des institutions démocratiques et la représentation des provinces de l’Ouest à Ottawa. Dix ans plus tard, les réformistes font élire 60 députés et forment l’opposition officielle.

Faute d’avoir pu percer à l’est du Manitoba, le parti réformiste tente de rallier les progressistes-conservateurs pour créer une «alternative unie». En 2000, cette union devient l’Alliance canadienne. Le parti forme l’opposition officielle à Ottawa jusqu’en 2003, année de fusion avec le Parti progressiste-conservateur.

Trevor Harrison a écrit sur les partis conservateurs canadiens, sur l’image en politique et sur l’utilisation politique des médias sociaux. Photo : University of Lethbridge

Le cœur du PCC aujourd’hui transformé

Le sociologue de l’Université de Lethbridge, en Alberta, Trevor Harrison note que la composition actuelle du parti reflète de nouvelles tendances politiques.

«Avant, on recrutait des gens parce qu’on disait que c’était un service à la société […] Des gens qui avaient de l’expérience en affaires, dans une organisation religieuse, dans des universités ou des collèges, bref, qui avaient une carrière avant la politique», remarque le spécialiste.

«Récemment, et c’est particulièrement le cas des partis conservateurs, on attire des gens qui n’ont fait rien d’autre que de la politique. Et je parle de politique dans le sens le plus étroit, de la politique, qui t’apprend à vendre quelque chose aux gens. C’est comme vendre du pain.»

Trevor Harrison cite en exemple les cas de politiciens de carrière comme Andrew Scheer, l’ancien chef allianciste Stockwell Day, l’ancien premier ministre de l’Alberta Jason Kenney ou même le chef conservateur actuel, Pierre Poilievre, qui n’ont aucune autre expérience professionnelle qu’en politique.

D’après Trevor Harrison, le saut direct à la politique, phénomène qui se voit beaucoup aux États-Unis, se fait «au détriment de la politique» : «Ils sont principalement formés à manipuler les médias afin de se faire élire.»

Un discours conservateur inspiré des réformistes

«Poilievre sait manifestement comment utiliser les médias, observe le sociologue. Tout est question de phrases chocs, d’images et de la manière de manipuler ce genre de choses, ainsi que de l’opposition entre “nous et eux”, entre le peuple et les élites, qu’il exploite très bien.»

Il attribue à cette opposition un nom bien connu : le populisme.

«Jouer la carte populiste de “je vais à l’encontre du [gouvernement élu] et je vais magiquement faire disparaitre tous les enjeux complexes du monde quand je serai élu” est l’un des jeux les plus faciles du monde», poursuit le spécialiste.

Il remarque que le PCC détient un potentiel populiste depuis sa naissance, en 2003 : «Il ne s’agissait pas tant d’une fusion que d’une prise de contrôle par la branche réformiste qui se nourrissait déjà de tendances populistes.»

Selon l’auteur de Of Passion Intensity, c’est surtout aujourd’hui que se manifeste cette influence réformiste : «Stephen Harper n’a jamais prétendu d’être autre chose qu’élitiste, à sa façon. Il n’a jamais tenté de jouer la carte populiste et, de toute façon, il ne la jouerait pas très bien. Stockwell Day a, d’une certaine façon, tenté de la jouer, mais ne l’a pas très bien fait.»

«Je pense que Poilievre [un ancien réformiste] est beaucoup plus radical, du moins dans ses propos, ajoute-t-il. S’il gagne, il sera intéressant de voir s’il atténue ses propos. Mais au moins dans son offre, il est un populiste de droite beaucoup plus radical que tout ce que Harper aurait pu imaginer.»