le Dimanche 19 janvier 2025
le Mardi 3 Décembre 2024 16:29 Politique

Montée du conservatisme chez les jeunes : entre anxiété économique et quête de changement

Un sondage réalisé par la firme Léger le 4 novembre dernier démontre que 39% des Canadiens âgés de 18 à 34 ans envisagent de voter pour le Parti conservateur, une hausse de 14% par rapport à la dernière élection. Photo : Ines Lombardo - RÉSEAU.PRESSE
Un sondage réalisé par la firme Léger le 4 novembre dernier démontre que 39% des Canadiens âgés de 18 à 34 ans envisagent de voter pour le Parti conservateur, une hausse de 14% par rapport à la dernière élection. Photo : Ines Lombardo - RÉSEAU.PRESSE
La victoire du républicain Donald Trump à la présidentielle américaine le 5 novembre 2024 a marqué une nouvelle étape dans la montée en puissance du conservatisme, qui séduit un nombre croissant de jeunes de moins de 30 ans. Ce virage à droite se fait également ressentir au Canada, notamment en Alberta, où les préoccupations liées au logement, à l’inflation et à l’abordabilité incitent la jeune génération à réclamer du changement.
Montée du conservatisme chez les jeunes : entre anxiété économique et quête de changement
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

«Avant même les résultats de la présidentielle américaine, on avait déjà les indications qu’un discours de droite décomplexé gagnait du terrain au Canada depuis la fin de la pandémie […]. Il y a clairement quelque chose qui est en train de se passer chez l’électorat. On voit des jeunes être de plus en plus tentés par le conservatisme», analyse Frédéric Boily, professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta.

Aux États-Unis, rappelons que 43% des électeurs de 18 à 29 ans ont soutenu Donald Trump en novembre, un gain de 7% par rapport à l’élection de 2020. Et ce même mouvement semble également se dessiner au Canada à l’approche des élections fédérales de 2025. Un sondage réalisé par la firme Léger le 4 novembre dernier démontre que 39% des Canadiens âgés de 18 à 34 ans envisagent de voter pour le Parti conservateur, une hausse de 14% par rapport à la dernière élection.

«On pensait que les jeunes seraient plus progressistes et qu’ils allaient se rallier aux formations libérales ou néo-démocrates. Ce n’est pas ce qui est en train d’arriver», explique le spécialiste de la politique canadienne. Il précise que, bien que des tendances similaires émergent aux États-Unis et au Canada, la droite canadienne ne suit pas l’exemple américain. «Elle développe ses propres orientations.»

Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour expliquer cette mouvance, mais les difficultés d’accès au logement, l’inflation et la hausse du coût de la vie jouent un rôle central. De plus en plus de jeunes estiment que l’amélioration de leur situation économique passe peut-être par l’élection d’un parti de droite, explique l’expert. Or, cette adhésion au conservatisme semble davantage motivée par un sentiment général d’anxiété que par convictions idéologiques.

Autrement dit, ces jeunes électeurs ne partagent pas nécessairement toutes les valeurs défendues par les conservateurs. «Je suis encore réticent à dire que c’est strictement idéologique. C’est aussi relatif à l’anxiété économique, identitaire et géopolitique», mentionne Frédéric Boily.

Lori Williams, professeure à la Faculté d’économie, de justice et d’études politiques de la Mount Royal University. Photo : Courtoisie

Quand la colère fait tourner le vote

En plus de l’anxiété liée aux circonstances économiques, une forme de grogne s’est installée chez la jeune génération, qui a le sentiment que ses «perspectives d’avenir» sont moins prometteuses que celles de leurs prédécesseurs, souligne, quant à elle, Lori Williams, professeure à la Faculté d’économie, de justice et d’études politiques de la Mount Royal University.

«Les jeunes sont frustrés par la situation économique, surtout depuis la fin de la pandémie. Certains politiciens exploitent cette colère et donnent l’impression qu’ils l’entendent et l’écoutent. C’est très attrayant pour les jeunes qui perçoivent cette approche comme plus authentique», dit-elle.

Au Canada, des enjeux, tels que l’environnement et la taxe de carbone, sur lesquels les libéraux de Justin Trudeau avaient fait campagne et s’étaient démarqués, semblent ainsi avoir reculé sur la liste de priorités des jeunes, la question de l’abordabilité étant au premier plan, ajoute-t-elle. 

«Les gens font face à de réelles difficultés et veulent du changement. Ce qu’on comprend, c’est que ces défis auxquels ils font face touchent directement leur vie quotidienne et prennent donc le dessus sur leur agenda environnemental.»

Il importe également de mentionner que la campagne menée par les différents partis conservateurs contre la taxe de carbone a fait son chemin dans la tête de cet électorat. «Ça a été très efficace. Je le vois avec mes propres étudiants qui subissent l’influence des médias sociaux. Ils ne comprennent pas tous que le remboursement de la taxe sur le carbone donne en réalité plus d’argent à la plupart des Canadiens que ce qu’ils paient en taxes», affirme la professeure. 

Dans les provinces comme l’Alberta, où la redevance fédérale sur les combustibles s’applique, les Canadiens peuvent en effet bénéficier d’une compensation par l’intermédiaire de la Remise canadienne sur le carbone de base. Selon le directeur parlementaire du budget, 80% des Canadiens recevront davantage d’argent qu’ils n’en dépensent en taxe carbone grâce à cette initiative.

Sylvain Lacroix est membre du Parti conservateur uni de l’Alberta et entrepreneur. Photo : Leroy Schulz

L’articulation des valeurs conservatrices

Tout en reconnaissant, lui aussi, que les jeunes se tournent vers des formations politiques de droite pour des raisons économiques, Sylvain Lacroix, membre du Parti conservateur uni (PCU) de l’Alberta, estime qu’ils agissent également pour dénoncer «la mauvaise gestion des progressistes, qui ne font que diviser la population», et ne prennent aucune mesure «pour supporter les familles».

«Les jeunes veulent qu’on arrête de diviser la société. Justin Trudeau, durant ses mandats, a cherché à opposer une partie de la population à une autre. C’était l’Ouest contre l’Est à cause du pétrole, les vaccinés contre les non-vaccinés, et ainsi de suite.»

La réduction de la bureaucratie et du fardeau administratif pour les entreprises figure également parmi les priorités de l’électorat conservateur qui rejette l’idée d’un «État tentaculaire» interventionniste, souligne-t-il. 

Une autre idée largement soutenue par les électeurs conservateurs, raconte Sylvain Lacroix, est l’élimination des politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI), ainsi que la lutte contre «le wokisme». Il y voit une forme de «moralisme dogmatique des progressistes» qu’il reproche de promouvoir une culture du bannissement. «Nous, les conservateurs, on pense que l’ÉDI, c’est de la discrimination [inversée]. Au dernier congrès du PCU, plusieurs propositions [ont été avancées] pour mettre fin à ça au gouvernement et à travers la province», argumente-t-il.

 Il espère notamment que les programmes d’ÉDI soient éliminés des universités, car, selon lui, ils favorisent un monopole «des idéologies progressistes» au sein des institutions et renforcent «une élite politique de gauche. «Je ne dis pas que les universités devraient être conservatrices, mais il devrait y avoir une [répartition équilibrée] entre professeurs conservateurs et […] progressistes, ce qui n’est pas le cas présentement», déclare-t-il. 

L’immigration sous la loupe 

Le dossier de l’immigration suscite des débats au sein des électeurs conservateurs, mais, selon Sylvain Lacroix, la majorité d’entre eux y sont ouverts. Cependant, certains membres plus à droite, notamment parmi les conservateurs ruraux de l’Alberta, pourraient avoir une position différente, précise-t-il.

«À mon avis, il s’agit surtout d’une question de capacité d’accueil. Avec les libéraux, ce qui est arrivé, c’est que les ressources n’étaient plus [suffisantes] pour accueillir tous les [nouveaux arrivants] qui entraient au pays, ce qui a entraîné toutes sortes de défis. Les libéraux avaient un biais idéologique : il fallait toujours accueillir plus de gens», explique-t-il.

Pour rappel, le gouvernement libéral a annoncé une réduction des seuils d’immigration, le 24 octobre 2024, après que des ministres fédéraux aient reconnu que l’augmentation rapide du nombre de nouveaux résidents permanents avait exercé une pression sur le marché du logement et l’abordabilité. 

Frédéric Boily est un professeur de science politique au Campus Saint-Jean. Crédit : Courtoisie

Un phénomène variable

Bien qu’un mouvement vers la droite semble se dessiner chez les jeunes au Canada, celui-ci n’est pas homogène, avertit Frédéric Boily. De manière générale, les jeunes femmes sont beaucoup moins enclines à adhérer aux valeurs conservatrices que leurs homologues masculins. De plus, l’adhésion aux valeurs de droite semble varier selon les provinces et les régions rurales par rapport aux zones urbaines. 

«Il faut se méfier des interprétations hâtives. En 2011, avec la victoire majoritaire des conservateurs au fédéral, on s’imaginait un pays de plus en plus à droite. Pourtant, en 2015, quand Justin Trudeau est arrivé au pouvoir, ça a changé», ajoute le professeur.

De son côté, Lori Williams espère que la facilité avec laquelle certains jeunes sont passés de l’appui à des partis progressistes à celui de partis conservateurs contribuera à réduire la forte polarisation qui sévit en Alberta et ailleurs en pays. Elle incite les opposants à trouver des terrains d’entente sur des sujets qui les unissent. «La droite et la gauche ont plus en commun qu’ils le pensent. Les électeurs sont ouverts au changement, alors pourquoi pas trouver des solutions innovantes ensemble, plutôt que de rester divisés?»

Glossaire – Enclin : Poussé naturellement à quelque chose