Depuis le 18 janvier, les familles avec enfant(s) et les ainés albertains dont le revenu annuel est inférieur à 180 000$ peuvent solliciter 100$ par mois pendant six mois. Un dispositif cumulatif qui permettra notamment aux parents de recevoir une prestation par personne mineure.
«Il s’agit d’un montant cohérent, plutôt bien calibré et efficace pour contrer la pression inflationniste à laquelle ces foyers font face», salue Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary. En 2022, les prix ont augmenté de 6,4% dans la province par rapport à l’année précédente.
Demande constante malgré la hausse des prix
Cet argent aidera les Albertains à faire notamment leur épicerie et leur plein d’essence, mais Trevor Tombe estime également que les ménages pourraient l’utiliser pour rembourser leurs dettes. «Plusieurs études ont montré une augmentation récente du taux d’endettement des ménages, les 600 $ pourraient servir à payer des factures impayées», avance l’économiste.
Le dispositif ciblé laisse néanmoins sur le bord de la route certaines catégories de personnes. Aux yeux de Trevor Tombe, les grands oubliés sont avant tout les foyers à faible revenu sans enfant.
«Ce n’est pas parce qu’on est jeune et sans enfant que l’on n’est pas touché par l’inflation, insiste-t-il. Aujourd’hui, tous les ménages modestes, quelle que soit leur composition familiale, consacrent une large part de leur budget aux produits alimentaires et à l’essence dont le coût explose.»
Les chiffres montrent que la demande pour les produits alimentaires de base et l’essence change relativement peu par rapport aux prix. Autrement dit, ce n’est pas parce que les prix montent que la demande diminue.
Trevor Tombe plaide en faveur d’une aide anti-inflation ouverte à tous, sur le modèle de la Saskatchewan voisine : «Le gouvernement avait la marge de manœuvre budgétaire qui lui aurait permis d’être plus généreux.»
L’universitaire rappelle à cet égard que la province s’attend à des surplus financiers de 13 milliards, notamment en raison de la hausse sans précédent des prix du baril de pétrole.
Portail uniquement en anglais pour toucher l’aide
Si l’aide est effective sur papier, les individus admissibles sont encore loin d’avoir l’argent dans leur compte en banque. Le gouvernement a fait le choix de créer son propre portail et de ne pas passer par l’Agence du revenu du Canada. Les demandeurs doivent au préalable créer un compte sur MyAlberta, accessible uniquement en anglais.
Ensuite, les autorités leur envoient par la poste une lettre comprenant un code de vérification qu’ils doivent fournir en ligne. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils peuvent formellement remplir une demande pour recevoir les prestations.
«S’il y a des ratés dans le fonctionnement du portail et le versement de l’aide, ça va renforcer l’idée que Danielle Smith est incompétente. Sa capacité à gouverner va être encore plus remise en doute, surtout à quelques mois des élections», observe Frédéric Boily.
D’ici là, le gouvernement provincial doit présenter son nouveau budget. «Danielle Smith pourrait annoncer de nouvelles mesures anti-inflation, croit Trevor Tombe. Je ne serai pas surpris qu’elle décide de commencer par les ainés et les familles avec enfant, avant d’élargir la liste des bénéficiaires.»
Une mesure électoraliste
À l’approche du scrutin provincial en mai prochain, «il y a une dimension électoraliste pour le Parti conservateur uni au pouvoir», analyse Frédéric Boily, professeur de sciences politiques au Campus Saint-Jean à Edmonton. «Ils veulent satisfaire une partie de leur électorat», poursuit le politologue.
Trevor Tombe s’interroge en outre sur la priorité donnée aux ainés, qui «reçoivent déjà des prestations fédérales indexées à l’inflation. […] À revenu égal, la pression inflationniste est plus forte sur les jeunes que sur les séniors», précise l’expert.
Depuis l’automne dernier, juguler les conséquences économiques et sociales de la flambée des prix est devenu l’une des priorités de la première ministre Danielle Smith. En novembre, elle avait annoncé une enveloppe de 2,4 milliards afin de financer un ensemble de mesures anti-inflationnistes, qui a été bonifiée à 2,8 milliards en janvier.
«Elle veut faire oublier tout ce qui se passe, en particulier l’affaire des courriels envoyés aux procureurs de la Couronne», considère Frédéric Boily. Le bureau de la première ministre aurait envoyé des courriels au Service des procureurs de la Couronne de l’Alberta, remettant en cause les décisions des magistrats sur des cas de poursuites liées au barrage routier de Coutts. Ce barrage avait été érigé à la frontière entre le Canada et les États-Unis pour protester contre les mesures sanitaires liées à la COVID-19.