L’immersion française connaît encore des difficultés en Alberta
Le programme d’immersion française du Nouveau-Brunswick a été mis à rude épreuve au cours des derniers mois, au point où son abolition progressive a été envisagée par cette province des Maritimes. Si la situation est moins inquiétante du côté de l’Alberta, l’enseignement du français dans les écoles d’immersion demeure pourtant un système imparfait…
IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO
Et ce n’est pas trop surprenant, explique Michael Tryon, puisque
«les défis en immersion sont généralisés à travers l’ensemble des programmes du pays».
Le directeur général de la branche albertaine de Canadian Parents For French (CPF), un réseau national qui se voue à l’enseignement du français comme langue seconde, rappelle que des considérations «multifactorielles» sont à prendre en compte.
D’abord, l’idée même d’apprentissage en contexte d’immersion peut constituer un obstacle de taille. «Dans les écoles francophones, un enseignant se concentre seulement sur la matière qu’il donne. Mais dans le système d’immersion française, l’enseignant de maths de 12e année apprend à la fois le français et les mathématiques à ses élèves, appuie-t-il.
La langue et la matière sont toujours enseignées en même temps».
Cette réalité complexifie la tâche des enseignants, dit-il, mais aussi celle des élèves qui sont confrontés à de la matière «pas toujours facile» dans une langue qui ne leur est pas tout à fait familière. Ce sont peut-être ces défis d’apprentissages qui expliquent le désistement progressif des élèves en immersion au fur et à mesure que leur cursus scolaire avance.
C’est ce que croit Dyane Bernier qui a travaillé comme enseignante en immersion pendant quinze ans en Alberta. «Il y a des parents qui pensent sérieusement qu’en arrivant en 10e année, au high school, les élèves ne seront plus capables de comprendre les mathématiques ou la science si les cours sont donnés en français», partage-t-elle. Pour d’autres élèves, c’est le niveau d’engagement que nécessite l’immersion qui devient difficile à soutenir avec le temps.
«Je comprends qu’il y a des jeunes de 16 ans qui sont tannés. Ce que je suggérais, c’était d’au moins garder un cours de français langue seconde en option», confie l’ancienne enseignante du Calgary Catholic School District (CCSD). Plusieurs élèves quittent aussi l’immersion avant la 12e année «pour ne pas avoir à passer l’examen du ministère», avance Dyane Bernier.
Ces désistements inquiètent particulièrement CPF Alberta. Pour l’année 2020-2021, ce serait 1400 élèves qui auraient abandonné leur place dans l’une ou l’autre des classes d’immersion de la province, mentionne Michael Tryon.
Une immersion relative
Sauf que le taux de rétention des élèves au sein des programmes d’immersion ne constitue en fait que la pointe de l’iceberg, confie le directeur général. Pour que les jeunes soient motivés à rester en immersion, il faut avant tout réfléchir à des moyens «de valoriser l’apprentissage» de la langue de Molière au quotidien, ce qui est difficile lorsqu’environ «85 à 90% des parents ne parlent aucun mot de français».
«Si les parents ne comprennent pas la langue, c’est plus difficile pour eux d’encourager des activités et des évènements culturels en français à la maison», explique Michael Tryon. Pourtant, sans pratique fréquente de la langue «à l’extérieur des murs de l’école», l’apprentissage du français peut stagner et une insécurité linguistique a de plus grandes chances de naître. «On va devenir gênés de parler avec des francophones parce qu’on a peur du jugement», témoigne le directeur général de CPF Alberta.
Cette pratique du français à la maison est donc cruciale pour les élèves, surtout que l’immersion dans les écoles a parfois tendance à être chancelante. «On a des administrateurs qui ne parlent pas français, alors qu’ils sont responsables des programmes en immersion», soutient Michael. C’est aussi l’un des constats de Dyane Bernier.
«Ça fait mal quand des directeurs, des secrétaires et des bibliothécaires ne parlent pas la langue.»
«Les messages à l’interphone se font juste en anglais par exemple», ajoute-t-elle. Dans cette logique, même si les cours sont donnés en français aux élèves en immersion, la vie étudiante, elle, se passe en anglais. «On n’amène pas les jeunes à penser qu’il pourrait vivre en français. On n’offre pas un environnement francophone pendant les huit heures où ils se trouvent à l’école.»
Pour remédier à la situation, le CCSD organise depuis quelques années un voyage au Québec afin d’inciter leurs élèves à baigner dans un environnement francophone pendant plusieurs jours d’affilée. «C’est à ce moment qu’on arrive à augmenter l’estime de l’élève envers son apprentissage. L’élève voit à quel point ses aptitudes en français peuvent lui être utiles», mentionne l’ancienne enseignante du CCSD d’un ton passionné. Elle ajoute que l’immersion demeure un «beau produit» qui nécessite simplement de petites «modifications».
Peu de soutien gouvernemental
Michael Tryon et CPF Alberta se sont adressés à la ministre de l’Éducation, Adriana LaGrange, dans une lettre envoyée le 2 janvier 2023 afin de discuter de «plusieurs points importants», dont la «chute des inscriptions dans les programmes de français». «Il n’y a pas juste une diminution des inscriptions en immersion, il y a aussi plus de 22 000 élèves qui ont abandonné le cours de français comme langue seconde», s’inquiète le directeur général.
Il déplore, cependant, la réponse «peu concrète» que la ministre a envoyée à la CPF au début de février. «On est un peu bloqués. On ne ressent pas beaucoup de soutien pour les programmes d’immersion française et de français comme langue seconde (FLS) contrairement à l’attention qui est donnée au système francophone», conclut-il.