Face à ce défi, les organismes communautaires se mobilisent pour apporter un soutien essentiel, mais le chemin vers une véritable inclusion reste complexe et semé d’embûches.
Selon une étude menée par la Commission de la santé mentale du Canada, les immigrants qui s’installent sur le territoire canadien ont une meilleure santé mentale à leur arrivée que les natifs. Cependant, cette santé mentale se détériorerait dans les cinq premières années.
De plus, l’étude récente menée par Marina Doucerain, professeure de psychologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), démontre qu’une bonne santé mentale à leur arrivée favoriserait une meilleure intégration des immigrants au cours de la première année.
Les besoins primaires au-delà de la santé mentale
Vincent Tattoo, le coordonnateur des services d’établissement à Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP) relativise cette notion de santé mentale. En effet, les bénéficiaires ne frappent pas à la porte de l’organisme pour avoir un soutien psychologique, mais pour obtenir des renseignements sur les besoins primaires lors de leur installation.
Les nouveaux arrivants sont inquiets de trouver un premier emploi ou d’avoir la bonne information pour l’intégration de leurs enfants dans une école. Vincent Tatto ajoute que trouver un logement est un véritable défi pour les nouveaux arrivants. En effet, le fait de ne pas avoir d’historique de crédit ni de travail ne permet pas d’avoir de crédibilité auprès des propriétaires.
Cette situation est aussi due aux difficultés linguistiques. Valérie Jamga, la travailleuse sociale agréée du Portail de l’Immigrant Association (PIA), est formelle : la barrière de la langue est la plus grande des difficultés des immigrants à la fois pour trouver du travail que pour socialiser. «La barrière de la langue est compliquée et c’est frustrant; c’est à toi l’immigré de faire l’effort.»
Selon Valérie Jamga, une personne qui n’a pas la capacité d’exprimer ce qu’elle ressent dans une langue qu’elle ne maîtrise pas sera frustrée. Cette incapacité à mettre les bons mots, à verbaliser, mène à l’isolement ce qui engendre du stress, voire de la dépression.
Mettre des mots sur les maux
C’est à ce moment-là que les organismes communautaires prennent le relais en essayant de mettre des mots sur les difficultés en santé mentale. Valérie Jamga, ainsi que Vincent Tatto indiquent tous deux que les immigrants sont redirigés vers les programmes de soutien psychologique après les avoir accompagnés dans cette quête de besoins primaires.
La travailleuse sociale affirme que certaines personnes qu’elle accompagne n’ont même pas le mot pour exprimer l’anxiété. Pour d’autres, ils ne savent pas ce que c’est et, finalement, l’anxiété peut être aussi un sujet tabou. Cette dernière précise que c’est parfois elle qui peut pointer, lors de leurs échanges, qu’ils font de l’anxiété ou même qu’ils peuvent avoir des symptômes dépressifs.
«Parfois, ils n’ont pas les mots; au Canada, on a des mots pour tout, eux ne savent même pas ce que c’est [la santé mentale]», souligne la travailleuse sociale. Elle insiste sur le fait de diriger ses clients vers un médecin ou un psychiatre. Malheureusement, ce n’est pas si simple pour eux. «Ils ne veulent pas, car pour eux, la santé est physique; tant qu’ils peuvent marcher et parler, ils en oublient que la tête, ça fait beaucoup», insiste-t-elle.
La barrière de la langue est là aussi un facteur de rejet, comme l’explique l’étude menée par la Commission de la santé mentale du Canada. Cette étude démontre que les personnes immigrantes sont plus susceptibles de ne pas demander de soutien psychologique par honte ou en raison d’une barrière de langue.
Selon la psychologue Audrey Kodye, les immigrants francophones qu’elle suit font preuve de beaucoup de résilience. «Elles vont puiser dans leurs forces, car ce n’est pas anodin de tout quitter pour venir vivre au Canada. Il faut énormément de ressources», affirme-t-elle.
Pour la psychologue, lorsque les personnes ont la capacité de mettre des mots sur des maux, le déclin de la santé mentale semblerait être dû aux comportements discriminatoires et au racisme dont souffrent les immigrants au quotidien.
Si le soutien de les travailleurs sociaux sont indispensables pour écouter et aiguiller les clients vers des organismes ou des programmes qui pourraient répondre à leurs besoins, Audrey Kodye estime que la prévention et la sensibilisation jouent également un rôle primordial.
La santé mentale : une responsabilité collective
Audrey Kodye appelle à une plus grande implication de tous. «Il faudrait changer ça à plus grande échelle, que tout le monde soit partie prenante et prêt à changer les manières de penser enracinées depuis des années», affirme-t-elle.
En effet, les personnes suivies par la psychologue relatent des différences de traitement entre les immigrants francophones et les Canadiens sur leur lieu de travail. Ces différences sont renforcées lorsque les personnes sont racisées. Elles peuvent voir leurs congés refusés ou encore leurs arrêts maladie sont moins bien acceptés que leurs collègues non racisés.
Outre les différences de traitement, les personnes immigrantes racisées subissent au quotidien des microagressions, par exemple en raison de leur nom jugé trop compliqué ou de leur poste à responsabilité.
Changer les manières de penser enracinées au niveau global permettrait d’éradiquer cette discrimination, mais également d’enlever la charge mentale qui pèse sur les immigrants.
En effet, selon Valérie Jamga du service de counseling à court terme, les différents programmes du PIA permettent de diminuer cette charge mentale qui pèse sur les immigrants. En apportant l’accompagnement et l’information dont les personnes ont besoin, les problèmes de santé mentale seraient réduits de 90%.
Tout en ajoutant que le programme de counseling n’est pas de la thérapie clinique, mais justement du conseil, elle explique que le PIA, comme d’autres organismes, permet de rassembler les ressources des personnes pour qu’elles reprennent confiance en elles.
Le discours de Valérie Jamga résonne avec les observations de Vincent Tatto qui met en lumière la demande croissante des immigrants francophones et le besoin accru de ressources provenant d’organismes gouvernementaux et communautaires en Alberta.
Glossaire – Résilience : Aptitude à affronter les épreuves et les chocs traumatiques