IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO
Selon le projet de loi déposé à l’Assemblée législative de l’Alberta, si celui-ci entrait en vigueur, il serait interdit de réaliser «des chirurgies menant à un changement de sexe pour les mineurs» et de prescrire des «médicaments pour la thérapie hormonale, y compris la suppression de la puberté et la thérapie de remplacement hormonal pour les mineurs, sauf, si une autorisation est obtenue du ministre».
Dans un communiqué publié sur son site web le 1er novembre dernier, au lendemain de la première lecture du projet de loi 26, l’organisme pancanadien Santé des enfants Canada, dont font partie des hôpitaux, des centres de traitement pour enfants ou encore des autorités régionales de santé, disait s’opposer fermement «à cette loi qui aura un impact négatif sur la santé physique, mentale et sexuelle des enfants et des jeunes de la province».
Marjolaine Provost, conseillère principale en communications au sein du même organisme, est d’avis qu’au moment où l’on déplore déjà «une baisse de la santé mentale des adolescents», si le projet de loi passe, la situation ne fera que s’aggraver. Elle croit que cela forcera certains jeunes à se cacher encore plus. Ils risquent d’être « »dénoncés » par leur école avant d’être prêts à s’ouvrir à leur entourage, ce qui peut engendrer toutes sortes de problématiques au niveau de leur sécurité physique, émotive et, bien sûr, aggraver des enjeux de santé mentale».
Iels sont si jeunes…
La psychologue franco-albertaine, Nadine Lepage, qui exerce à Medicine Hat, admet que «le cerveau et surtout le cortex préfrontal – en charge du raisonnement et de faire des décisions – continuent à se développer jusqu’à la mi-vingtaine. Il faut avoir un certain âge avant de pouvoir fumer, boire, conduire, voter…». Cependant, madame Lepage ajoute, tout de go, que son rôle n’est pas vraiment d’avoir une opinion, mais de se baser sur des faits et, surtout, «d’aider ceux qui luttent contre l’impact d’une nouvelle loi et les défis qui se présentent».
Malgré des demandes répétées, il n’a pas été possible pour la rédaction d’obtenir les commentaires de groupes susceptibles de soutenir le projet de loi de la première ministre Smith.
Jugé comme étant électoraliste par plusieurs, puisque présenté en chambre la veille où Danielle Smith allait être plébiscitée à 91,5%, à Red Deer, par les membres du Parti conservateur uni, le projet de loi 26 parle de chirurgies qui ne semblent pas être effectuées chez les moins de 18 ans. «Ce n’est pas fondé», assure Marjolaine Provost.
L’Alberta Medical Association tend à lui donner raison. On ne parle pas de chirurgie, mais plutôt de médicaments appelés «bloqueurs». Si la puberté est permanente, en revanche, le blocage de la puberté ne l’est pas, peut-on lire, sur le site web de l’Association. En réponse au projet de loi 26, on explique que les bloqueurs permettent à la personne de prendre une pause dans son cheminement. Celle-ci dispose ainsi «de plus de temps pour réfléchir, en préservant son choix, tout en soutenant médicalement sa santé mentale et son bien-être physique. Si le bloqueur est arrêté plus tard, la puberté biologique s’ensuivra».
… Et avant tout des personnes
Amélia Simard, militante pour les droits des personnes trans et non binaires, au sein du Comité FrancoQueer de l’Ouest, met en lumière les préoccupations de la communauté 2ELGBTQIA+ face à cette nouvelle loi albertaine.
L’agent.e de développement communautaire et chargé.e de projet déplore que ce projet de loi, supposé «soutenir les jeunes personnes trans et non binaires, risque au contraire de compromettre leur bien-être». Critiquant le manque de consultation auprès des communautés concernées, elle trouve dommage que ce projet de loi aille à l’encontre des preuves scientifiques concernant les avantages des soins d’affirmation de genre, déplorant que ces initiatives ne reflètent pas un véritable effort de bienveillance envers cette population.
Selon les chiffres obtenus par Amélia Simard, en se basant sur le dernier recensement canadien, l’Alberta compte quelque 7 300 personnes transgenres, dont 3 960 âgées en 15 et 34 ans. Quant aux personnes non binaires, elles sont 5 175, dont 4 020 entre 15 et 34 ans. Sur une population albertaine de près de 4,9 millions, cela représente près de 0,25 % de la population. Parmi cette population, il y a aussi des francophones. FrancoQueer a d’ailleurs un projet, TransÉquité, qui vise à créer des soins de santé en français afin qu’ils soient plus inclusifs dans l’Ouest canadien.
En réponse aux sceptiques qui voient l’identité de genre comme une «mode», Amélia Simard rappelle l’histoire des mouvements pour les droits des minorités sexuelles. «Ce sont les mêmes arguments qui étaient utilisés dans le passé, disant que c’était contre nature. Mais la société a évolué et a fini par reconnaître que ces personnes ont toujours été là.» Iel déplore la politisation des identités 2ELGBTQIA+ et souligne que les jeunes d’aujourd’hui ont simplement plus d’accès à l’information, ce qui leur permet de mieux comprendre et exprimer leur identité.
Quant aux parents qui sont parfois désarçonnés face au questionnement de leur enfant à l’égard de leur sexe, Amélia Simard ajoute que «peu importe les croyances des parents, si un enfant veut explorer son identité de genre, il trouvera des moyens de le faire, avec ou sans le soutien parental».
Mais c’est sûrement mieux avec ce soutien. Un papa de Calgary, que nous prénommerons Marco pour protéger son identité et qui a deux enfants franco-albertains, dont l’un se déclare transgenre, se désole, lui aussi, du projet de loi 26. «La loi anti-trans met de jeunes vies en danger en les mettant en avant pour des raisons politiques, mais surtout en les empêchant d’avoir accès à des soins fondamentaux.»
Glossaire – Déplorer : Juger quelque chose de fâcheux, regrettable, désapprouver vivement