le Samedi 3 mai 2025
le Jeudi 1 mai 2025 18:40 Santé

Premiers pas dans le monde universitaire

L’Alberta affiche des statistiques plus préoccupantes que la moyenne nationale en matière de santé mentale. Montage : Andoni Aldasoro
L’Alberta affiche des statistiques plus préoccupantes que la moyenne nationale en matière de santé mentale. Montage : Andoni Aldasoro
Quitter le cocon familial, vivre seul pour la première fois, s’adapter à un nouveau rythme scolaire : pour bien des étudiants, la transition vers la vie universitaire marque un nouveau départ, mais aussi un moment de grand bouleversement. Si certains trouvent rapidement leurs repères, d'autres doivent composer avec des défis psychologiques bien réels.
Premiers pas dans le monde universitaire
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IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Dossier spécial : La santé mentale dans tous ses états 

L’Alberta affiche des statistiques plus préoccupantes que la moyenne nationale en matière de santé mentale.

Taux de suicide parmi les plus élevés au pays, usage accru de substances, détresse psychologique en hausse : les indicateurs sont alarmants, selon plusieurs rapports de l’Association canadienne pour la santé mentale. Ce dossier met en lumière des souffrances et des enjeux souvent invisibles : du burnout au stress financier en passant par les troubles alimentaires et les défis d’adaptation des jeunes adultes à l’université (retrouvez 5 articles dans nos pages).

Lisa Futré étudie à l’École de gestion de l’Université Mount Royal, à Calgary. Photo : Courtoisie

«Je n’avais jamais pris d’antidépresseurs avant ma première année à l’université. Mais on a dû m’en prescrire parce que j’avais trop de difficultés à m’adapter. Ça n’allait pas bien», confie Lisa Futré, qui étudie à l’École de gestion de l’Université Mount Royal (MRU), à Calgary.

Submergée par la solitude, elle se souvient avoir eu l’impression de perdre pied lors des premiers moments passés à l’université. «J’étais stressée et déprimée. Pendant les trois premiers mois, je n’avais pas un seul ami», résume-t-elle.

Il n’est pas rare que la période de transition universitaire s’accompagne de symptômes d’anxiété ou de dépression, surtout chez les étudiants exposés à plusieurs sources de stress, confirme Yao Zheng, professeur agrégé au Département de psychologie de l’Université de l’Alberta. 

«Il y a beaucoup de changements qui surviennent en même temps et ça a un impact sur la santé mentale et le sommeil, explique-t-il. L’horaire de cours n’a plus rien à voir avec celui du secondaire, la matière est plus exigeante et les travaux plus complexes. Les étudiants veulent s’impliquer dans des clubs et, souvent, ils doivent aussi travailler.»

La psychothérapeute Josée Ouellette travaille auprès des étudiants du Campus Saint-Jean. Photo : Courtoisie

Le poids de l’absence familiale 

Pour mieux comprendre l’effet combiné de ces changements sur les étudiants, le professeur Zheng a mené une étude auprès d’environ 300 jeunes durant leur premier semestre universitaire, dans le cadre de son laboratoire sur le développement adolescent.

Son constat a été sans équivoque : si plusieurs éléments contribuent au stress vécu par les étudiants — comme la charge académique ou le fait d’avoir la responsabilité d’un appartement —, c’est le manque de soutien familial et amical qui s’avère le plus déterminant sur la santé mentale des jeunes universitaires.

«C’est un aspect essentiel qu’on a tendance à sous-estimer. Avant l’université, les étudiants avaient l’habitude d’avoir un soutien immédiat et quotidien de la part de leurs proches. Une fois à l’université, surtout s’ils vivent loin de leur famille, ce soutien n’est plus accessible aussi facilement», souligne-t-il.

La psychothérapeute Josée Ouellette, qui travaille auprès des étudiants du Campus Saint-Jean (CSJ) de l’Université de l’Alberta, estime, elle aussi, que l’éloignement familial vécu au moment de l’entrée à l’université peut être une source de bouleversement psychologique. «Les étudiants qui vivent en appartement vont souvent vivre un déracinement. Il y a une grande perte de repères», mentionne-t-elle. 

On attend d’eux qu’ils deviennent autonomes, mais ce n’est pas simple pour ceux qui n’ont jamais eu à s’occuper eux-mêmes de la préparation des repas, de l’entretien ménager ou de faire l’épicerie, explique-t-elle. «C’est beaucoup d’apprentissage en même temps.»

Bien que ces défis soient similaires chez les étudiants internationaux, ils sont souvent vécus avec une intensité accrue, ajoute-t-elle. Pour eux, la transition est doublement exigeante : ils doivent non seulement s’adapter au milieu universitaire, mais aussi à un nouveau pays et à une nouvelle culture. «Leurs ancrages sont encore moins familiers. Et ce que j’entends souvent, c’est à quel point il est difficile de se faire des amis ici, au Canada, précise-t-elle. Nos codes sociaux ne sont pas les mêmes que les leurs et ils vivent beaucoup d’ambiguïté à ce niveau-là.»

Yao Zheng, professeur agrégé du Département de psychologie de l’Université de l’Alberta, a fait des recherches sur la transition universitaire. Photo : Courtoisie

Le grand défi des étudiants internationaux 

Le professeur Yao Zheng a, lui aussi, observé dans ses recherches que l’adaptation des étudiants internationaux s’avère généralement plus complexe. Selon lui, la marche est encore plus difficile à franchir lorsque ces étudiants appartiennent également à une minorité visible. 

«Ça peut être très compliqué de se faire des amis quand on a l’impression de n’appartenir à aucun groupe, que personne ne nous ressemble. C’est vrai pour les étudiants internationaux, mais aussi les personnes racisées qui viennent de provinces plus diversifiées ou encore les minorités linguistiques, comme les francophones», précise-t-il. 

Revenant sur son expérience, Lisa Futré, qui est originaire du Botswana, explique que certaines des difficultés vécues à son entrée à l’université étaient en effet liées à ses origines. «L’expérience des Noirs qui sont Africains est tellement différente de celle des Noirs canadiens. Même si je pouvais m’identifier à eux, j’avais l’impression d’être vraiment à part», révèle-t-elle. 

Ce sentiment de décalage a rendu la création de liens plus difficile. Ce n’est qu’en participant aux activités du club africain et caraïbéen de MRU que les choses ont commencé à s’améliorer pour la jeune femme. «J’ai fini par trouver ma place, mais ça a pris du temps. Et c’est une expérience que plusieurs de mes amis, qui ne viennent pas d’ici, ont aussi vécue. En général, on a trouvé difficile de se faire des amis originaires de l’Alberta», précise-t-elle. 

Yann Kabore, qui a quitté son Burkina Faso natal en 2023 pour poursuivre des études en administration des affaires au CSJ, raconte, lui aussi, avoir vécu un ajustement difficile à son arrivée. «Je ne savais pas comment j’allais arriver à m’adapter. Il n’y a pas beaucoup de gens originaires du Burkina Faso ici. Au début, j’étais tout le temps seul et je n’avais pas du tout de vie sociale», explique-t-il, faisant écho au propos de Lisa Futré.

Avec le temps, celui qui occupe les fonctions de vice-président des étudiants internationaux pour l’Association des Universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ) dit cependant avoir retrouvé un certain équilibre, comme c’est le cas pour plusieurs étudiants venus de l’étranger. «Il n’y a pas de formule magique. Il faut prendre conscience que le système est différent ici et que les interactions entre les gens sont différentes aussi. On finit par s’habituer.»

Yann Kabore est vice-président des étudiants internationaux pour l’Association des Universitaires de la Faculté Saint-Jean (AUFSJ). Photo : Courtoisie

Prévenir plutôt que guérir

Outre les facteurs de stress qui peuvent rendre certains étudiants plus vulnérables, c’est en grande partie la capacité d’adaptation de chacun qui déterminera comment la transition vers la vie universitaire sera vécue, explique Josée Ouellette. «Il y en a pour qui le changement se fait plus facilement, alors que pour d’autres, c’est plus difficile, peu importe la sphère», observe-t-elle.

La psychologue rappelle d’ailleurs que la grande majorité des étudiants, environ 80%, n’aura pas besoin d’un accompagnement individuel lors de son parcours. Pour s’assurer que cette tendance se maintienne, elle mise sur la prévention, particulièrement en début d’année. «J’essaie de leur rappeler que la première année universitaire peut être stressante et que c’est normal. Le stress n’a pas besoin d’être un ennemi. C’est un [moteur] qui nous pousse à nous mettre en action», insiste-t-elle.

En août, le CSJ a pris l’habitude d’offrir son programme de transition universitaire pour aider les nouveaux étudiants à se familiariser avec leur environnement avant le début des cours. Ils peuvent y suivre différents ateliers, notamment sur la gestion du stress et de l’anxiété. «Comme ça se passe avant la rentrée, les étudiants ont moins l’impression de perdre le contrôle. Les choses leur paraissent moins nouvelles, moins menaçantes. C’est souvent à ce moment-là qu’ils commencent à se faire des amis.»

Pour les étudiants qui auraient besoin d’un soutien plus étroit dans les mois subséquents, la psychologue essaie surtout de les aider à identifier leurs émotions et leurs pensées sans jugement, dans une approche inspirée de la pleine conscience. «Ce qu’on constate en thérapie, c’est que les étudiants vivent des émotions difficiles, oui, mais qu’ils ont aussi tendance à les amplifier, à les supprimer ou encore à les éviter. C’est ce qui augmente le mal être. L’objectif, c’est plutôt d’apprendre à accueillir ce qui est là», précise-t-elle.

La vice-présidente aux affaires internes de l’association étudiante de l’Université de Calgary, Naomie Bakama. Photo : Courtoisie

Des leviers à ne pas négliger

Au cours de ses recherches, le professeur Zheng a identifié certains éléments pouvant faciliter la transition des étudiants lors de leur entrée à l’université. Comme le soutien régulier de la famille semble avoir des effets très positifs, il recommande de prévoir un moment chaque jour pour échanger avec ses proches, en personne ou par téléphone, pour ceux qui vivent loin.

Le sommeil est également un facteur à ne pas négliger, insiste le spécialiste. «Même quand on a un déficit d’une ou deux heures, cela peut avoir un impact majeur sur nos ressources psychologiques et nos performances académiques. Dormir suffisamment, et surtout avoir un sommeil de qualité, c’est primordial.» 

Selon ses données, les étudiants qui consacrent du temps à des loisirs variés affichent également des niveaux de stress plus bas. «Il faut que ce soit des activités diversifiées. Évidemment, jouer à des jeux vidéo pendant des heures tous les jours, ça n’améliore pas la santé mentale», précise-t-il.  

Naomie Bakama, vice-présidente aux affaires internes de l’association étudiante de l’Université de Calgary, encourage d’ailleurs les étudiants qui ressentent de l’isolement à leur arrivée à explorer les différents clubs étudiants, un bon moyen, selon elle, de développer de nouveaux intérêts et de tisser des liens. «C’est une bonne façon de briser la glace quand on ne connaît pas encore grand monde. Lorsqu’on s’implique socialement, les choses débloquent souvent d’elles-mêmes», souligne-t-elle.

Même si faire ces premiers pas peut sembler intimidant, elle tient à rappeler que tous les étudiants de première année vivent une forme ou une autre d’incertitude. «Quand je me sentais stressée ou anxieuse, j’essayais de me rappeler que la personne à côté de moi était probablement tout aussi apeurée et ça me permettait de relativiser mes émotions», confie-t-elle finalement. 

Glossaire – Submerger : être envahi