Le processus de blocage par META se veut progressif et devrait s’étaler sur plusieurs semaines, affirme l’entreprise. Pourtant, un nombre croissant d’internautes disent déjà en constater les effets indésirables. Notamment, lorsque ces utilisateurs tentent de consulter l’une ou l’autre des pages de médias canadiens sur Facebook ou Instagram, ils voient maintenant apparaître le message d’erreur suivant : «En réponse à la législation du gouvernement canadien, les contenus d’actualité ne peuvent pas être affichés au Canada».
Plusieurs médias ont également perdu l’accès à leur compte et ne peuvent plus partager leurs contenus d’actualités.
Rappelons que le projet de loi C-18, qui a reçu la sanction royale le 22 juin dernier et entrera en vigueur en décembre prochain, a été promulgué par le gouvernement libéral de Justin Trudeau dans le but de forcer les plateformes numériques à payer des redevances aux entreprises de presse canadiennes pour la diffusion de leurs actualités.
Or, en choisissant de retirer le contenu médiatique canadien sur ses plateformes et d’interdire le partage de contenu journalistique au pays, META a trouvé «l’échappatoire parfaite pour ne pas avoir à s’y conformer», avance Jean-Hugues Roy, professeur à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). «C-18 oblige les intermédiaires de nouvelles numériques à négocier avec les médias. Sauf qu’en bloquant les nouvelles, les géants du web échappent à la définition d’intermédiaire numérique. C’est un gros problème», avance-t-il.
La situation devient encore plus préoccupante, souligne le professeur, du fait que les citoyens se retrouvent pris en otage au milieu de ce bras de fer entre META et le gouvernement fédéral. En outre, si le blocage devient définitif, les internautes qui avaient l’habitude de visiter les plateformes de réseaux sociaux pour rester informés risquent d’en subir les conséquences les plus lourdes. Ils pourraient en effet avoir du mal à garder le cap sur ce qui se passe dans l’actualité s’ils ne modifient pas (rapidement) leur modus operandi.
«Ce qui m’inquiète dans ça, c’est moins la désinformation qu’un abrutissement général. […] Pour les jeunes, ce ne sera plus juste du désintérêt [pour le contenu journalistique], ça va devenir de la méconnaissance totale de ce qui se passe dans le monde. C’est peut-être vers ça qu’on se dirige et c’est assez paniquant», affirme-t-il.
Véritable bouleversement d’habitudes
Cette réalité évoquée par Jean-Hugues Roy semble déjà se concrétiser à petite échelle si on en croit les observations de Hope Anaky, une élève de seize ans qui entame sa douzième année à l’école Alexandre-Taché, à Saint-Albert. «Comme la plupart de mon cercle social, je ne vais pas directement sur les sites d’information pour lire l’actualité. Je tombe souvent par hasard sur des nouvelles canadiennes quand je consulte les plateformes de réseaux sociaux», explique-t-elle.
L’adolescente affirme qu’elle planifie modifier sa manière d’accéder aux nouvelles, mais elle craint que les jeunes de son entourage qui étaient déjà peu enclins à suivre l’actualité perdent encore davantage l’intérêt en raison des difficultés d’accès occasionnées par le blocage. «Beaucoup de gens que je connais trouvent que lire les nouvelles, c’est déprimant. Moi, je vais m’ajuster, mais ces personnes-là, je ne pense pas qu’elles vont chercher à modifier leurs habitudes», insiste-t-elle.
Même son de cloche du côté d’Isaac Lamoureux, ancien journaliste dans vos pages et nouvellement diplômé de l’Université MacEwan. Bien qu’il se dise très sensible à la réalité des médias, il estime qu’environ «90% des nouvelles qu’il consomme proviennent des réseaux sociaux».
Tout comme Hope, le blocage le forcera donc à revoir ses habitudes du tout au tout. Par contre, il ignore, lui aussi, si les jeunes adultes comme lui prendront le temps de s’adapter à cette nouvelle réalité. «Moi, je n’ai pas le choix de revoir ma manière de faire à cause de mon travail, sauf que je ne sais pas si ce sera le cas pour les autres personnes. Je doute que tout le monde fasse l’effort d’aller à la source», affirme le bachelier en communications.
Par ailleurs, Isaac se dit très frustré par la décision du gouvernement fédéral de vouloir réglementer les géants du web. «Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement cherche à contrôler l’Internet. C’est un peu comme [un projet] de censure pour que les gens consomment seulement de l’information traditionnelle. Et ça coupe l’accès complètement à plein de sources d’information que les jeunes adultes consomment au quotidien», explique-t-il.
Blocage de Google à venir
Pour Cécilia Bernier, une étudiante de quatrième année au baccalauréat en sciences biologiques et en psychologie au Campus Saint-Jean, l’annonce du blocage de nouvelles a été un coup moins dur à encaisser que pour d’autres. La jeune femme n’a jamais pris l’habitude de s’informer à partir des plateformes de META qu’elle consulte d’ailleurs très rarement. «Quand je vais lire les nouvelles, je vais directement à la source. Mais, en toute franchise, ce n’est pas quelque chose que je fais chaque semaine. Je lis les nouvelles quand j’ai le temps», analyse-t-elle.
Ce qui a plutôt troublé la Franco-Albertaine, c’est l’annonce faite par Google qui entend supprimer les nouvelles canadiennes de son moteur de recherche, de Google News et de Google Discover. «Je suis un peu confuse. Si je n’ai pas la télévision chez moi, pas le câble, comme c’est le cas pour beaucoup d’étudiants, et que Google arrête de partager les nouvelles, je ne sais pas vraiment où je vais pouvoir aller pour m’informer», s’inquiète-t-elle. Cette situation risque également de poser des défis pour les quelque 90% de Canadiens qui utilisent Google comme moteur de recherche principal (selon Made in CA).
Face au blocage des nouvelles par les géants du web, l’étudiante exprime également ses préoccupations quant à l’avenir de l’information locale et des «plus petits journaux comme Le Franco». «C’est là où ça devient plus inquiétant pour moi. Ça peut avoir un impact sur la capacité des gens à rester informés. L’information est déjà plus difficile à aller chercher pour les francophones en milieu minoritaire. Moi, je sens déjà que je ne suis pas toujours à jour parce que je ne prends pas toujours le temps de lire les nouvelles. Mais ça pourrait empirer si l’accès devient compliqué», laisse-t-elle tomber.
Des alternatives à envisager
Pour s’assurer que les jeunes demeurent informés malgré les défis actuels, Hope Anaky estime, quant à elle, que chacun a un rôle individuel à jouer. Elle évoque aussi l’importance d’une meilleure intégration de l’éducation aux médias dans le cursus scolaire. «Je crois que dans nos cours d’études sociales ou de français, on devrait nous encourager davantage à consulter les nouvelles à la source et à développer notre jugement critique. On a besoin que ce soit un devoir pour qu’on prenne cette habitude», soutient-elle.
Selon Jean-Hugues Roy, plusieurs options méritent d’être envisagées par la population afin que tout un chacun reste connecté. Par exemple, les citoyens pourraient «télécharger les applications mobiles des médias, s’abonner aux infolettres et au journal papier», indique-t-il. Plusieurs alternatives s’ajoutent à cette liste et se trouvent dans l’encadré suivant.
Comment continuer à lire Le Franco et les autres médias après le blocage de META et de Google?
1) Choisir un différent moteur de recherche (Bing, Yahoo, Ask.com, etc.).
2) S’abonner à vos journaux préférés (pour Le Franco, c’est ici à tinyurl.com/5s3eu4fk) et à leur infolettre s’ils en ont une.
3) Se procurer la version papier des journaux (par abonnement ou dans les lieux de distributions attitrés).
4) Visiter le répertoire des médias locaux de Radio-Canada : tinyurl.com/4pbbyc63