En dix ans de carrière dans le domaine du droit de la famille, l’avocate Melissa Bourgeois en est arrivée à un constat indéniable : la période des fêtes devient souvent un champ de bataille intense pour les parents séparés, en particulier ceux qui maintiennent des relations tendues.
«Avant la fermeture des tribunaux pour les vacances [judiciaires], c’est un free-for-all. On est là pratiquement tous les jours à gérer des urgences. Soit parce qu’un parent veut partir en voyage et que l’autre refuse de signer le document, soit parce qu’il n’y a pas d’accord clair sur la garde et que personne ne veut céder», illustre cette juriste franco-albertaine. Au final, ajoute-t-elle, c’est souvent au détriment des enfants que ces conflits prennent des proportions excessives.
Notons que la complexité de la division du temps de garde à Noël s’explique notamment par le caractère exceptionnel de cette période lors de laquelle des exceptions aux modalités usuelles peuvent être envisagées. En d’autres mots, explique la juriste, les fêtes offrent la possibilité d’une répartition du temps entre les parents différente de celle observée le reste de l’année.
«Même si les enfants passent la majorité du temps avec la mère pendant l’année, le père pourra obtenir davantage de jours qu’à l’habitude et vice versa», mentionne-t-elle.
Des enfants pris entre deux chaises
Sauf que ladite flexibilité peut parfois être exploitée au désavantage d’une des deux parties, surtout lors des séparations conflictuelles, comme celle de Carl Von Buchenroder.
Ce père de famille, qui réside à Saint-Paul, partage la garde de ses trois filles avec son ex-partenaire. Il explique, cependant, avoir perdu confiance envers cette dernière puisqu’elle ne respecte pas leur arrangement informel. «En théorie, ça devrait être à mon tour d’avoir les filles à Noël cette année, mais comme c’est sa semaine à elle, elle m’a indiqué que ça ne se ferait pas», exprime-t-il avec tristesse.
Selon ses dires, des échanges de courriels entre avocats ont abordé la possibilité d’alterner la garde de leurs filles chaque année pendant les fêtes, comme c’est le cas pour beaucoup de parents séparés. Cependant, avec des procédures juridiques en cours depuis un an et demi, l’absence d’une entente formelle et l’accumulation des frais d’avocats, Carl exprime, avec résignation, qu’actuellement, il a peu de moyens pour s’assurer que cela se concrétise.
«Je cherche constamment à communiquer et trouver des solutions […] Mais j’en suis arrivé à un point où je commence à ressentir une aversion pour les fêtes. Ce qui est spécial, c’est le temps avec les enfants, leur émerveillement pour la magie de Noël, mais je suis privé de ces moments», mentionne-t-il.
Après l’appel à témoin de la rédaction cherchant à illustrer les points de vue des mères et des pères albertains, seuls des hommes ont voulu partager leur expérience.
Des alternatives à la chicane
Afin d’éviter de tels déchirements, Melissa Bourgeois propose une approche innovante qui permet de recentrer les besoins des enfants au cœur du processus de séparation, et dans la division des jours de garde, pour préserver un environnement familial sain malgré la rupture conjugale. Dans son cabinet One Family Law, à Edmonton, l’avocate supervise un projet pilote où elle représente les deux parties impliquées dans une procédure de séparation.
«Ça change évidemment la manière dont on approche la loi. On va prioriser la relation et ensuite tenir compte de la question du partage de l’argent, des biens immobiliers, etc. […] On priorise les intérêts de la famille plutôt que les intérêts individuels. De mon côté, ça rend ma pratique plus paisible que lorsque je travaillais en litige», explique-t-elle.
Depuis janvier 2023, cette méthodologie a déjà permis à trente-huit familles de travailler en collaboration pour atteindre une résolution qui assure le bien-être de leurs enfants. «Dans ce cadre, les parents ne sont pas des adversaires. Ils veulent continuer d’être des coparents même s’ils habitent maintenant dans des maisons séparées», note-t-elle.
Ce processus aide grandement les parties à trouver un terrain d’entente optimal pour la division du temps des fêtes et ainsi éviter les fractures émotionnelles, dit-elle. Fait inusité, plusieurs familles que côtoie Melissa décident de continuer à célébrer ensemble, même après un divorce, dans le but de maintenir une stabilité pour leurs enfants et de réduire l’impact émotionnel de la séparation.
«Avec les clients, j’introduis rapidement l’idée de créer de nouvelles traditions, surtout dans les premières années après le divorce. J’ai des familles, par exemple, qui ont décidé de passer la veille du jour de l’An ensemble et qui se sont promis d’aller voir les feux d’artifice tous ensemble […] ou d’ouvrir les cadeaux de père Noël le matin du 25», mentionne Melissa.
Une collaboration pas toujours simple
Certaines personnes préfèrent tout de même célébrer séparément. La juriste suggère alors aux parents d’établir une liste des évènements qui leur tiennent à cœur : Halloween, Noël, le réveillon, le jour de l’An, Pâques, l’Action de grâce. Ensuite, ils peuvent discuter pour parvenir à une répartition équitable de ces célébrations, évitant ainsi les conflits inutiles.
«Il faut établir un ordre de priorité et être flexible», dit-elle. Elle admet, cependant, que ces approches requièrent une certaine «maturité» et une «ouverture d’esprit» de la part des deux parties concernées. Ce qui n’apparaît pas toujours possible…
Chris McCaghren aurait souhaité qu’une initiative comme celle de Melissa Bourgeois existe au moment de sa séparation avec la mère de ses deux enfants, il y a cinq ans.
«Notre situation était très conflictuelle et ça l’est toujours. Nous n’avons pas pu nous asseoir et discuter de notre séparation ni envisager la manière dont nous pourrions protéger les intérêts et les besoins de nos enfants», témoigne-t-il.
Bien que les parents aient trouvé un accord sur la répartition du temps pendant les fêtes, c’est une des rares zones où une certaine harmonie règne. «On alterne pour Noël. Cette année, c’est [mon ex-partenaire] qui a les enfants. Mais, encore récemment, on a eu une chicane publique à l’école et elle a voulu demander la garde complète sans en parler à nos enfants, qui sont assez âgés pour avoir leur propre opinion. Heureusement, elle n’a pas obtenu gain de cause», laisse tomber le père de famille.
Il souligne que ce sont ses enfants qui ont supporté les répercussions les plus lourdes de leur séparation et des conflits qui en ont résulté, ce qui le peine profondément. «Ça ne devrait pas être à propos de moi ou de mon ex-partenaire, mais bien des besoins de nos enfants. J’aurais beaucoup aimé que les choses soient différentes. J’aurais aimé qu’on s’entende à l’amiable et qu’on évite tous ces drames.»
Une réalité à laquelle Carl Von Buchenroder fait échos, précisant qu’il s’avère ardu d’éviter les différends dans la gestion de la garde lors du temps des fêtes, mais aussi dans la vie de tous les jours, lorsque les deux parties ne sont pas sur la même longueur d’onde.
«On est des adultes et on doit agir dans l’intérêt de nos enfants. Malgré tous les efforts que je peux faire, c’est difficile d’être un coparent quand l’autre personne ne souhaite pas communiquer ou travailler avec moi», conclut-il simplement.
Glossaire – Indéniable : Qu’on ne peut réfuter