«Une de mes [connaissances] a vu son loyer augmenter de 500$ du jour au lendemain. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne protège pas les gens contre ces abus des propriétaires. Il devrait y avoir une loi pour définir une limite d’augmentation des loyers. Ça n’a pas de sens», s’indigne Benoit Frison, un résident du nord-ouest de Calgary.
Ce dernier met en lumière une tendance qui semble se généraliser dans la province. L’Alberta occupe actuellement la position de tête au pays avec un taux de croissance annuel de 18,3% pour ses appartements et condominiums construits à des fins locatives, selon un rapport de Rentals.ca.
«Je décrirais la situation comme très préoccupante. À Calgary et à Edmonton, les loyers augmentent plus rapidement que dans n’importe quelle autre grande ville canadienne», résume à son tour Janis Irwin, porte-parole du Nouveau Parti démocratique (NPD) de l’Alberta en matière de logement.
Pour répondre à cette problématique, la députée a proposé, en décembre dernier, un projet de loi visant à instaurer un contrôle temporaire des loyers. Son objectif : offrir un répit aux locataires et empêcher certains propriétaires de profiter indûment de la hausse de la demande sur le marché immobilier.
Un premier plafonnement sur deux ans aurait gelé les augmentations à 2%. Par la suite, un taux légèrement plus élevé, aligné sur le niveau d’inflation de la province, mais ne dépassant pas 5% de croissance annuelle, aurait été instauré pour les deux années suivantes.
«En ce moment, il y a des personnes qui font face à des augmentations de 20, 30, même 50%. C’est insoutenable pour le citoyen moyen. Dans les deux métropoles c’est pire, mais la situation touche aussi Lloydminster, Red, Deer et Grande Prairie», fait valoir le député de la circonscription d’Edmonton-Highlands-Norwood.
La ville de Lloydminster, située à la frontière entre l’Alberta et la Saskatchewan, a par exemple enregistré un taux de croissance de 27,2% au cours de la dernière année, indique Rentals.ca.
Réticence et chamaillage
Néanmoins, l’idée d’un plafonnement trouve peu d’écho chez les Conservateurs unis. Depuis son dépôt, le projet de loi du NPD a été critiqué à plusieurs reprises par le ministre des Personnes âgées et des Services communautaires et sociaux, Jason Nixon, qui a réitéré sa position le 16 mai, lors d’une conférence de presse : «Le problème avec le plafonnement […], c’est qu’on va peut-être voir un soulagement de courte durée au début, mais au final, on pourra constater plus d’évictions, de sans-abris et moins de construction de logements qu’en ce moment». Le Parti conservateur uni (PCU) a finalement voté contre le projet de loi le 23 avril dernier.
Janis Irwin, de son côté, critique la rhétorique «répétitive» de son adversaire, estimant qu’elle est non seulement «obsolète», mais qu’elle ne propose pas de «solution concrète». «Le défi que nous rencontrons avec ce gouvernement, c’est qu’ils répètent qu’ils ne sont pas intéressés par un plafonnement des loyers. Ma réponse est : «Alors que faites-vous?» […] Les plafonds de loyers ne sont qu’une partie de la solution pour répondre à la crise du logement», explique-t-elle.
D’après le PCU, l’alternative la plus réaliste pour se sortir de la crise actuelle est de construire davantage de logements en accroissant notamment «leur vitesse de construction». Le ministère de Nixon a annoncé 75 millions de dollars pour subventionner quarante-huit fournisseurs de logements communautaires et aider 110 000 Albertains à se loger.
Le PCU avait aussi annoncé, dans son plus récent budget, vouloir élargir le programme d’aide à la location pour les personnes à faible revenu afin de soutenir 550 ménages supplémentaires, portant le total à 12 700. Des investissements qui sont jugés «insuffisants» par le NPD.
Des appréhensions avérées?
Le Parti conservateur uni n’est pas seul à s’opposer à un plafonnement temporaire des loyers. L’Association des propriétaires résidentiels de l’Alberta (ARLA) se positionne également «à l’encontre» de toute forme de contrôle sur le loyer, bien qu’elle ait refusé de fournir des explications détaillées à cet égard à la rédaction.
Janis Irwin exprime sa perplexité face à cette résistance. Elle a du mal à comprendre pourquoi certaines instances albertaines se montrent aussi réticentes à instaurer un système de régulation des loyers, alors que d’autres juridictions canadiennes le font «de manière efficace».
«Vancouver et Toronto sont deux villes où il y a un contrôle des loyers et ce n’est pas problématique», exprime-t-elle. En effet, plusieurs provinces canadiennes, dont l’Ontario, le Manitoba et la Colombie-Britannique, ont mis en place des mécanismes pour éviter que les locataires se retrouvent avec des augmentations excessives. Au Québec, bien qu’il n’y ait pas de plafond fixe, les locataires ont également la possibilité de négocier les augmentations chaque année avec les propriétaires.
D’après Jason Nixon, il serait malhonnête de prendre les villes ontariennes et britanno-colombiennes en exemple en ce qui concerne le plafonnement puisqu’elles affichent «les plus hauts loyers au pays». «Ça démontre bien que le contrôle de loyer ne fonctionne pas», insiste-t-il. À l’inverse, les grandes villes albertaines, elles, continuent d’afficher des taux mensuels «abordables», argumente-t-il.
Les villes de l’Ontario et de la Colombie-Britannique occupent en effet les quatorze premières places du classement national pour les loyers, avec une moyenne de près de 2 756$ par mois pour un logement de deux chambres. Calgary et Edmonton arrivent respectivement aux 23e et 31e rangs de ce même classement, avec des prix moyens de 2 100$ et de 1 654$ pour des logis similaires.
Par contre, les villes de Nanaimo, Montréal et Winnipeg se classent à proximité des métropoles albertaines (entre les 19e et 30e rangs) malgré qu’elles exercent, à l’inverse, un certain plafonnement sur le loyer.
Des échos des Franco-Albertains
Pour Benoit Frison, la question est claire, «ce n’est certainement pas le gouvernement de Danielle Smith» qui va instaurer un système permettant d’éviter les «gigantesques augmentations que l’on subit en ce moment». Pourtant, le besoin se fait «de plus en plus» ressentir, mentionne-t-il. À Red Deer, certains logements qui valaient 500$, il y a encore quelques années, se retrouvent affichés au double et même au triple de ce prix, témoigne, quant à elle, Sophie Simard.
Celle qui travaille comme agente de liaison communautaire pour Francophonie Albertaine Plurielle (FRAP) remarque avoir de plus en plus de difficultés à aider sa clientèle à se trouver un toit. «Je suis sur Kijiji, Marketplace, Zumper pour essayer d’aider les gens, mais quand il y a un appartement, ça reste jamais longtemps affiché», témoigne-t-elle.
Récemment, une mère qu’elle a l’habitude de côtoyer a même vu son loyer augmenter de plus de 300$. «Elle me disait : «Sophie, je n’ai aucune idée de comment je vais faire pour survivre»», se remémore la travailleuse communautaire.
À Calgary et Edmonton, les augmentations de loyer sont également fréquentes et élevées. Les populations vulnérables en sont directement impactées, ce qui exerce une pression sur le logement abordable, raconte Fanny Demarteau, une navigatrice communautaire qui travaille pour la Fédération des aînés franco-albertains (FAFA). Elle fait d’ailleurs remarquer que la majorité des établissements réservés aux personnes âgées ont actuellement des «listes d’attente».
«Dans mon rôle, j’essaie d’améliorer la situation des aînés et trouver des solutions», explique-t-elle. Les demandes pour le programme de soutien au loyer sont fréquentes et offrent bien un certain «répit», mais il n’y a pas «grand-chose d’autre» à faire contre l’augmentation des loyers. «Il n’y a pas de loi qui régit ça», rappelle-t-elle.
Les personnes âgées, qui comptent majoritairement sur le Régime de pension du Canada pour payer leur loyer, se retrouvent donc souvent à «la merci» des propriétaires. Même des augmentations jugées plutôt basses par le commun des mortels peuvent avoir des effets dévastateurs. «L’année dernière, on m’a augmenté de 8% et cette année de 9%. D’après mes calculs, ça m’amène à environ 80$ de plus par mois», analyse Louis Pominville, un résident de la villa Jean-Toupin à Calgary.
«Ça m’affecte beaucoup parce que mon revenu, lui, n’a pas augmenté d’aucune façon. On est dans le trou», témoigne-t-il. Avec une pension annuelle qui se chiffre à environ 26 000$ et un loyer qui dépasse désormais la barre des 10 000$, la marge d’erreur est assez basse. «Ce n’est pas possible de vivre avec ça», lance enfin cet aîné avec l’espoir que ses paroles trouveront écho.
Glossaire : Indûment : À tort