Google voulait un seul interlocuteur et il l’a trouvé. Le Collectif Canadien de Journalisme (CCJ) distribuera les 100 millions de dollars versés par le géant aux médias en vertu de l’exemption obtenue face à la Loi sur les nouvelles en ligne (anciennement projet de loi C-18).
Le collectif est formé de représentants de 12 médias indépendants qui couvrent, entre autres, l’actualité québécoise (francophone et anglophone), communautaire, autochtone et des communautés noires.
On y retrouve le média indépendant québécois Pivot, la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec et l’Association canadienne des usagers et stations de la télévision communautaire (CACTUS).
Avant que Google prenne cette décision, les plus petits médias du pays étaient tout sauf rassurés. Le géant numérique a évalué quelques propositions de collectifs, dont une qui, du point de vue de ces médias, leur faisait peu de place.
«La structure proposée risquait de favoriser davantage les grandes organisations, au détriment des plus petites organisations comme la nôtre», disait René Chiasson, coprésident de Réseau.Presse dans un courriel.
Certains acteurs s’inquiétaient aussi de la place du privé dans cette proposition.
Celle choisie par Google, en revanche, réjouit Réseau.Presse. «Nous sommes particulièrement heureux de constater que [le collectif] est constitué d’organisations qui représentent des médias locaux, tout comme les journaux membres de Réseau.Presse, et que nous partageons plusieurs des mêmes défis et enjeux au sein de l’espace médiatique canadien», déclare René Chiasson dans une nouvelle réponse écrite à Francopresse (Réseau.Presse est l’éditeur de Francopresse, NDLR).
«Nous sommes impatients de collaborer avec le nouveau collectif et de discuter des enjeux spécifiques auxquels sont confrontés les médias en situation minoritaire linguistique.»
L’importance de consulter les minorités linguistiques
«Notre principal souci est que le collectif ne consulte pas les médias de langue officielle en situation minoritaire», exprime de son côté la directrice générale de l’Association des journaux régionaux du Québec (AJRQ), Ilka de Laat, qui représente les journaux anglophones.
Même si elle se dit heureuse de voir un groupe formé de petits médias et de médias indépendants, la directrice remarque qu’il ne compte aucun représentant officiel des médias de langue officielle en situation minoritaire.
«Nous sentons souvent que ces médias ne sont pas à la table de plusieurs discussions qui ont lieu à l’échelle nationale», souligne-t-elle.
Persuadée que le CCJ sera juste à l’égard des membres de l’AJRQ, elle rappelle que ce processus avec Google reste nouveau et qu’il faut se rappeler d’inclure les médias de langues minoritaires dans les discussions.
«Il n’y a pas vraiment de définition claire de comment ils vont représenter les minorités linguistiques officielles. Je pense que c’est notre seule inquiétude en ce moment», conclut-elle.
Un collectif éphémère
«Nous sommes convaincus que leur approche est la plus conforme [aux] principes [de sélection] et qu’elle favorisera la diversité de l’écosystème canadien de l’information», a écrit Google dans un communiqué, au sujet du collectif choisi.
Les principes en question sont les suivants : une diversité de la représentation, une structure de gouvernance rigoureuse, un niveau élevé de transparence et l’assurance que le plus de financement possible ira aux entreprises de nouvelles.
Le choix du CCJ est seulement valide pour la période d’exemption à la Loi sur les nouvelles en ligne négociée par Google avec le gouvernement fédéral, c’est-à-dire cinq ans.
Après cela, Google pourra demander un renouvèlement de l’exemption et possiblement choisir un nouveau collectif pour distribuer les 100 millions de dollars.
Un collectif inclusif
Le président de l’entreprise médiatique autochtone Dadan Sivunivut, Jean LaRose, est administrateur par intérim au CCJ. «Nous avons travaillé très fort pour présenter une approche qui, à notre avis, était inclusive, transparente, et qui [avait] un niveau d’imputabilité très élevé», assure-t-il.
D’après lui, c’est d’ailleurs ce qui distinguait la proposition du CCJ des autres groupes qui sont passés sous les yeux de Google. «Le niveau d’imputabilité, mais aussi l’inclusion de tous les médias.»
«Notre but ultime est de s’assurer qu’une fois qu’on va être au courant de tous ceux qui se sont joints à l’initiative de Google, qu’on fasse des représentations et qu’on incorpore les groupes francophones hors Québec en même temps aussi.»
Lorsque la structure de gouvernance avancée par le collectif sera acceptée, elle pourra être rendue publique et «tout le monde va voir qu’elle […] donne à tous, du plus petit au plus gros, une voix égale», dit-il.
«Pour nous, c’est important que les nouveaux joueurs, les petits joueurs et les médias plus établis aient tous une voix équivalente.»
Ceci devrait rassurer les plus petits médias qui craignaient que Google choisisse un modèle de gouvernance qui ne garantirait pas d’équité à leur égard.
Médias d’Info Canada s’était proposé de recevoir et distribuer le chèque de Google. L’organisation avait même conclu une entente avec l’Association canadienne des radiodiffuseurs et CBC/Radio-Canada, qui soutenaient alors sa candidature.
Francopresse a contacté News Media Canada pour ses commentaires, mais n’a pas reçu de réponse avant l’heure de tombée.
Des critères inchangés
Néanmoins, Ilka de Laat rappelle que les critères d’admissibilité aux fonds régis par la loi demeurent les mêmes. Certains «disqualifient nos plus petits journaux», alerte-t-elle.
Pour être admissibles à une indemnisation, les médias doivent notamment employer l’équivalent d’au moins deux journalistes à temps plein. Cette exigence désavantage particulièrement les plus petites structures.
«Avec l’érosion de la publicité [notamment], plusieurs médias communautaires ont dû modifier leurs modèles d’affaires et, dans certains cas, éliminer des postes de journalistes à temps plein», souligne René Chiasson. «Plusieurs d’entre eux n’ont plus deux journalistes.»
Parmi les 98 médias communautaires de langue officielle en situation minoritaire, 96 % ne répondent pas aux critères d’admissibilité, estime le Consortium des médias communautaires.
Ariane Joazard-Bélizaire, porte-parole du Cabinet de la ministre du Patrimoine canadien, indique dans un courriel que les employés embauchés dans le cadre de l’Initiative de journalisme local (IJL) peuvent être pris en compte.
Avec l’IJL, la proportion de médias communautaires inadmissibles passe de 96 % à 85 %.