DOSSIER SPÉCIAL
Le Campus Saint-Jean, entre continuité et transformations
Depuis 1908, le Campus Saint-Jean continue d’être un pilier important de la francophonie albertaine. Ce dossier explore les enjeux et dynamiques que traversent actuellement l’institution, et plus largement, le milieu universitaire en Alberta. De la formation en ligne à l’intégration des nouveaux arrivants sur le marché du travail grâce à un programme offert au Campus, en passant par le recours judiciaire toujours en cours entre l’ACFA, l’Université de l’Alberta et le gouvernement provincial, plusieurs volets sont mis en lumière (retrouvez 5 articles dans nos pages).
IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Le doyen du Campus Saint-Jean, Jason Carey. Photo : Courtoisie
«[Je ne peux pas donner] de détails sur ce qui se passe. Je ne suis pas au courant. [Ça se passe] entre les avocats des trois parties impliquées», mentionne, d’entrée de jeu, le doyen du Campus Saint-Jean (CSJ) Jason Carey.
Pour rappel, en août 2020, l’ACFA avait intenté une poursuite judiciaire contre le gouvernement et l’Université de l’Alberta, estimant que le CSJ était sous-financé depuis des années. L’organisme s’appuyait sur l’entente de 1976, signée à l’époque par les pères Oblats pour vendre le Campus Saint-Jean et qui engageait les parties à soutenir son développement, ainsi que sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à l’instruction en français.
Dès le départ, le gouvernement provincial et l’Université ont contesté ces arguments. Ils affirmaient qu’aucune obligation de financement particulier ne les liait au CSJ. L’Alberta allait même plus loin en soutenant que certaines clauses de l’entente de 1976 étaient nulles, les intentions des signataires étant jugées trop floues pour être interprétées clairement.
En septembre 2020, la Cour du Banc du Roi avait autorisé l’ACFA à aller de l’avant en rejetant la tentative des défendeurs de faire annuler les arguments liés à l’article 23. Depuis, peu d’informations ont été rendues publiques et le dossier suit toujours son cours devant les tribunaux sans qu’aucune résolution n’ait encore été trouvée.
Le doyen affirme cependant aujourd’hui ne pas comprendre la « raison d’être de cette poursuite» qui, selon lui, nuit à la réputation du Campus Saint-Jean. «Ça nous fait du tort du point de vue de notre réputation […] les rumeurs que le Campus va fermer, qu’on a des problèmes financiers. […] Ça nous fait perdre des candidats», déplore-t-il.
À ses yeux, l’enjeu du financement est moins préoccupant que ce que laisse entendre l’ACFA. «Les questions de dire que le Campus est sous-financé par l’Université ou par [d’autres entités] ne sont pas vraies. […] Comme je le dis toujours, c’est l’Université qui a sauvé le Campus. Sans [elle], il aurait fermé, il y a longtemps», soutient-il.
Il reconnaît toutefois que, comme tous les établissements postsecondaires, le CSJ aimerait disposer de ressources supplémentaires. Il souligne que même l’Université de l’Alberta – dont dépend le campus francophone – est la plus sous-financée par étudiant de toute la province. «Oui, c’est un enjeu réel […], [mais] l’Université s’assure quand même qu’on puisse payer nos gens et maintenir nos programmes. Elle nous donne de l’argent chaque année pour qu’on ne ferme pas nos portes […]. On opère très bien.»
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Relations houleuses
Près de cinq ans après le début de la poursuite, Jason Carey décrit les relations avec l’ACFA comme tendues et dit espérer un retour à la normale pour le bien «de la francophonie». «Moi, je voudrais que la poursuite s’arrête et [eux] ne sont pas ouverts à la conversation. On ne peut pas vraiment avoir de relation [de proximité] avec un organisme qui nous poursuit», ajoute-t-il en précisant que, selon lui, l’action juridique vise également le CSJ en tant que partie intégrante de l’Université de l’Alberta.
Si le cœur de la poursuite intentée par l’ACFA repose sur l’entente signée en 1976, dont l’organisme affirme être aujourd’hui l’héritière contractuelle des pères Oblats, le doyen, pour sa part, remet en question cette interprétation. Il s’interroge sur la légitimité de l’ACFA à intervenir sur des enjeux découlant de cette entente. «L’ACFA fait un travail extrêmement important, […] mais la question légale des pères Oblats, selon moi, ce n’est même pas dans [son] mandat de faire ça», affirme-t-il.
De son côté, l’ACFA maintient fermement sa position. Elle rappelle, au contraire, qu’elle est l’entité à qui «a été délégué le rôle des Oblats dans l’entente». «[I]l est de notre devoir de nous assurer que l’entente de 1976, qui vise notamment l’amélioration et l’expansion du Campus Saint-Jean, soit pleinement respectée et que le Campus Saint-Jean puisse pleinement remplir son mandat», affirme sa présidente, Nathalie Lachance, dans une communication écrite transmise après plusieurs relances. L’ACFA a décliné les demandes d’entrevue de la rédaction.
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Nathalie Lachance, présidente de l’ACFA provinciale. Photo : Courtoisie
L’organisme porte-parole de la francophonie albertaine mentionne également demeurer engagé dans sa démarche judiciaire contre le gouvernement de l’Alberta et l’Université de l’Alberta, et ce, malgré une récente hausse du financement. «L’éducation postsecondaire en français est un pilier fondamental pour l’avenir de notre communauté. Nous sommes ravis que des financements récents viennent répondre à certains besoins du Campus Saint-Jean, notamment en termes de rénovation», précise Nathalie Lachance.
En 2024, le CSJ a reçu une enveloppe de 8,1 millions de dollars pour entamer un projet de rénovation sur trois ans, financé conjointement par les gouvernements provincial et fédéral dans le cadre de l’Entente Canada-Alberta relative à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde.
Jason Carey espère, pour sa part, que la croissance de la population étudiante contribuera à assurer la stabilité du CSJ. «La meilleure façon d’aider le Campus, c’est en augmentant sa population étudiante. Ce sont eux, [les étudiants], qui vont démontrer la viabilité du CSJ, sa raison d’être, et on sait que ça vient avec du financement», conclut-il.
La rédaction a contacté d’autres entités impliquées dans le dossier, mais aucune n’a souhaité commenter la situation. Le gouvernement de l’Alberta a également décliné les demandes répétées d’entrevue, indiquant qu’il serait «inapproprié de faire quelconque commentaire» en raison du processus judiciaire en cours.
Glossaire – Résolution : Conclusion, règlement