le Samedi 27 avril 2024
le Mardi 5 septembre 2023 7:00 Campus Saint-Jean

Mais vers où s’en va le Campus Saint-Jean?

Après une année remplie de tumulte au Campus Saint-Jean, une autre brique s’est effondrée sur la tête de la communauté au cours de l’été. Photo : Courtoisie
Après une année remplie de tumulte au Campus Saint-Jean, une autre brique s’est effondrée sur la tête de la communauté au cours de l’été. Photo : Courtoisie
(IJL - RÉSEAU.PRESSE - LE FRANCO) - Après une année remplie de tumulte au Campus Saint-Jean, une autre brique s’est effondrée sur la tête de la communauté au cours de l’été. Selon les informations recueillies par la rédaction, la salle historique de la faculté, qui abritait de précieux artéfacts appartenant à la communauté franco-albertaine, a été démantelée sans qu’aucune consultation officielle n’ait eu lieu. Cette action s’inscrit dans une tendance générale qui alimente les craintes de plusieurs membres du personnel et des organismes francophones. Certains affirment que le Campus est sur la voie de perdre son identité distincte, d’autres estiment que l’on assiste à une forme d’effacement délibérée. Tous espèrent que le dialogue puisse être rétabli avec l’administration.
Mais vers où s’en va le Campus Saint-Jean?
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Photo montage de la salle-musée ayant circulé parmi des membres du personnel en juin dernier. Photo : Courtoisie

Juin dernier. Une photo commence à circuler entre certains membres du personnel du Campus Saint-Jean. On y voit la salle historique de la faculté dépourvue de tous les objets qui, pendant des années durant, l’avaient ornées. Confusion, étonnement, déception, les sentiments sont nombreux. Et une fois, le choc initial du dépouillement encaissé, les interrogations commencent à fuser de toutes parts parmi la communauté. Où se trouvent les objets? Pourquoi ont-ils été déplacés?

Il y a à peine un an, sous l’ancienne administration, cette salle était pourtant sur la voie d’être homologuée en tant que musée au sein de l’Université de l’Alberta, a appris la rédaction. Ce revirement spectaculaire est donc difficilement explicable.

«La salle de ce musée a été interdite d’accès pendant plusieurs mois. Des choses se sont passées à l’insu de la communauté et à l’insu même du personnel de la faculté. […] Pour plusieurs d’entre nous, cela correspond à un effacement», confie un premier professeur qui a requis l’anonymat.

Tout comme une dizaine d’employés, d’anciens employés et d’autres individus avec lesquels la rédaction a pu s’entretenir, cette personne craint les représailles qui pourraient découler de son témoignage. Certaines sources font même part de leur inquiétude quant à la perspective de devoir «déménager au Campus Nord» si l’on découvre qu’ils ont parlé au journal et réfèrent à d’anciens collègues qui auraient été «encouragés» à quitter Saint-Jean après avoir exprimé leur désaccord envers des décisions de l’administration actuelle. 

La culture de l’omertà à laquelle s’est heurtée la rédaction en débutant son reportage en dit long sur l’environnement dans lequel baignent les employés du Campus Saint-Jean, confie une autre source. «Quand tu as des professionnels, des adultes qui ont un poste garanti et permanent, qui ont peur de parler, ça démontre vraiment le genre d’environnement qui a été mis en place.»

Un second professeur d’expérience, qui a pour sa part décidé de prendre sa retraite prématurément en raison de son manque de confiance envers l’administration, en rajoute. «Ça fait quelques années que je me demande «est-ce qu’on [ne] veut pas que ça implose?» Au lieu de couper les vivres ou de réduire le budget, on encourage les professeurs à quitter, [pour que] les étudiants finissent par quitter et tout ça finisse par mourir de sa belle mort.» Ces premiers témoignages ont fait boule de neige. Les langues se sont finalement déliées auprès de la rédaction en espérant voir les «choses évoluer», et ce, malgré les craintes.

«On a posé des questions, on a écrit au doyen et à la rectrice pour demander des rencontres. Ç’a été refusé dans les deux cas», mentionne Claudette Roy. Photo : Photo : Archives – Le Franco

La salle historique a été dépouillée de tous ses artéfacts au cours des derniers mois. Photo : Courtoisie

À la recherche des artéfacts

Selon les informations recueillies, le bureau du doyen a refusé de divulguer, tout au long de l’été, l’endroit exact où ont été déplacés les objets qui se trouvaient dans la salle historique. «Il n’a pas jugé bon de répondre aux demandes de rencontre que les leaders d’une association provinciale de la minorité francophone de l’Alberta lui ont adressées», explique un membre du personnel en faisant référence à la demande que la Société historique francophone de l’Alberta (SHFA) a envoyée au bureau du doyen.

Ces allégations ont été corroborées par plusieurs autres sources qui ont parlé à la rédaction, ainsi que par la SHFA elle-même, qui a été impliquée dès les débuts de cette affaire. «On a posé des questions, on a écrit au doyen et à la rectrice pour demander des rencontres. Ç’a été refusé dans les deux cas», mentionne sa présidente, Claudette Roy.

Selon elle, les artéfacts contenus dans la salle historique étaient variés, mais témoignent tous, à leur manière, des 115 ans d’existence de Saint-Jean. Y figuraient notamment des pièces originales, des objets liés au culte, ainsi que des souvenirs des troupes de théâtre, des chorales et des équipes sportives.

La disparition de ces objets à elle seule est douloureuse pour la présidente de la SHFA. Mais elle s’inquiète aussi, par le fait même, que la francophonie albertaine soit en train de perdre une partie essentielle de son patrimoine et de son histoire. 

«Notre communauté a très peu de lieux de mémoire, s’inquiète-t-elle. Pour nous autres, ce n’est pas juste la disparition de la salle historique, mais c’est l’identité de Saint-Jean elle-même qui en est changée parce que le Campus [est] un lieu de mémoire pour plusieurs générations. […] Pour ma famille, ces trois générations de souvenirs […] qu’on a balayé du revers de la main», ajoute-t-elle.

Une quatrième source, qui a déjà fait partie de l’administration du Campus, fait également échos à ses réflexions. «Ça me rend extrêmement triste. J’ai toujours considéré que le Campus Saint-Jean était un des lieux de mémoire les plus importants de la communauté franco-albertaine. C’est là où on peut retracer l’évolution de l’enseignement et [des] luttes de la communauté pour conserver le français et ses traditions», mentionne-t-il. Alors qu’un professeur se questionne sur l’existence d’une communauté d’accueil et de référence si on en efface finalement la mémoire. 

La perplexité observée par la rédaction face au changement radical du rôle de cette salle vouée à devenir de simples bureaux semble générale.  «Il y avait tellement d’autres alternatives. On aurait pu déplacer [la salle] dans un espace plus petit, on aurait pu réfléchir à toutes sortes d’autres transformations pour s’assurer de conserver le patrimoine», ajoute, pour sa part, un autre ancien administrateur, qui ajoute sa voix aux cinq autres sources précédemment mentionnées.

Une enseigne indiquait de laisser la porte de la salle historique verrouillée en tout temps depuis qu’elle a été vidée. Photo : Courtoisie

La communauté n’a pas eu son mot à dire

Au-delà de la perte des objets et du patrimoine, ce qui ajoute encore plus l’insulte à l’injure pour Claudette Roy, c’est le fait qu’aucune consultation officielle n’ait été organisée entre l’administration, la communauté, les professeurs et le reste des «parties prenantes» pour décider du sort de la salle historique. «Le refus de la rencontre, le refus de vouloir comprendre et d’écouter, c’est vraiment ce qui choque et est insultant pour nous», s’indigne-t-elle. 

Le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), Pierre Asselin, partage en partie cette opinion. Selon lui, l’absence de consultation de l’administration du Campus concernant la salle historique va à l’encontre du concept même de communauté sur lequel repose l’institution.

 

«Une université francophone en situation minoritaire comme celle de Saint-Jean doit respecter son mandat d’enseignement et de recherche, mais ne doit pas oublier le troisième aspect qui la fait vivre : la communauté. Si le Campus veut servir la communauté francophone, cette communauté doit se sentir respectée dans cette institution», affirme Pierre Asselin. Photo : Courtoisie

«Une université francophone en situation minoritaire comme celle de Saint-Jean doit respecter son mandat d’enseignement et de recherche, mais ne doit pas oublier le troisième aspect qui la fait vivre : la communauté. Si le Campus veut servir la communauté francophone, cette communauté doit se sentir respectée dans cette institution», affirme-t-il.

L’ancien doyen du Campus, Pierre-Yves Mocquais, affirme, lui aussi, ne pas comprendre pourquoi il n’y a pas eu de consultation avec la communauté franco-albertaine «pour qu’elle puisse juger elle-même de l’avenir de son patrimoine».

L’ensemble des membres du personnel à qui s’est adressée la rédaction du journal tient des propos similaires. Or, selon eux, ce n’est pas la première fois que la nouvelle administration du Campus Saint-Jean manque de transparence. «On sent un effort de mettre la communauté francophone de côté», affirme le professeur d’expérience qui a décidé de tirer sa révérence. 

Jason Carey, le doyen du Campus Saint-Jean dans la tourmente. Photo : Courtoisie

Comme sur l’édition papier, retrouvez la position de Jason Carey, le doyen du Campus Saint-Jean et celles d’autres interlocuteurs de la francophonie : Discours discordant au Campus Saint-Jean

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