Les fêtes de fin d’année sont l’occasion d’échanger en famille les histoires du passé. Gilbert Lachat en a une passionnante ! Ce Franco-Albertain résidant dans le sud de Bonnie Doon, à Edmonton, a participé par ses talents de forgeur à la découverte de l’une des plus grandes avancées de la physique moderne.
Monsieur Lachat est un homme pointilleux. Lorsqu’il narre des histoires, il s’attache à ne pas oublier certains détails. Pourtant, en l’écoutant, le temps semble s’arrêter. Pas étonnant d’apprendre que ce natif suisse a commencé sa carrière comme mécanicien de précision dans le domaine de l’horlogerie.
«Un projet spécial, international», se remémore Gilbert Lachat. Lorsqu’il entend ces mots en 1995, l’homme est désormais chef de l’atelier de physique de l’Université de l’Alberta, un lieu où l’on fabrique les instruments nécessaires à la recherche.
De l’autre côté de l’Atlantique, le projet de l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) se concrétise : fabriquer le Grand collisionneur de hadrons (aussi appelé LHC). En d’autres termes : construire le plus grand et le plus puissant accélérateur de particules au monde. Un anneau de 27 kilomètres de circonférence, formé de milliers d’aimants supraconducteurs, aujourd’hui enterré à cheval sur la frontière franco-suisse.
La fabrication des pièces nécessaires à sa construction est dispersée à travers le monde. La production de plaques de cuivre bien spécifiques est attribuée au Canada et à l’Allemagne. Chacun devra produire 812 plaques, l’équivalent de 150 tonnes de cuivre.
Gilbert Lachat est né en suisse, il a commencé sa carrière comme mécanicien de précision.
Crédit : Courtoisie
«Le directeur du projet pour le Canada se trouvait à Vancouver, beaucoup de gens travaillaient sur ce projet à Ottawa et Toronto, mais les plaques de cuivre nécessaires devaient être fabriquées à Edmonton», dit Gilbert.
En 1996, 25 plaques de cuivre arrivent dans les locaux de l’Université de l’Alberta, afin de réaliser des prototypes. Gilbert et son équipe constatent très vite la difficulté de les travailler comme souhaité par le CERN. Ils en déduisent qu’une aléseuse horizontale de 28 tonnes est nécessaire. Elle sera commandée en 1997 à l’entreprise japonaise Toshiba pour une somme avoisinant les 700 000 dollars.
La production ne fut pas simple. «Nous avions toutes sortes de problèmes», se souvient-il. Les plaques de cuivre arrivées des États-Unis sont courbées. De quoi rendre la tâche de l’équipe impossible. «La tolérance pour chaque plaque était de 5 centièmes de millimètre», précise Gilbert. Le problème est résolu, puis en vient un autre. «Le cuivre pur est l’un des matériaux les plus difficiles à manier, le matériel de découpe s’use très rapidement». L’achat et l’utilisation d’une plaquette en diamant sauveront la mise de l’atelier.
En 2001, après 6 ans de dur labeur, la production touche à son terme. Les plaques sont fixement entreposées dans des caisses en bois, «bien protégées l’une de l’autre, car d’une valeur inestimable». Transportées en camion à Vancouver, elles sont lavées dans des bains, assemblées en module, entreposées dans des caisses en acier pour éviter l’oxydation, et partent en bateau jusqu’en Europe.
À lire aussi : La passion des institutions scolaires d’Abigail Lawrence
Le Grand collisionneur de hadrons (LHC) est mis en service à l’été 2008. Considéré comme le plus grand dispositif expérimental jamais construit pour valider des théories physiques, il représente un coût total de 8,2 milliards de dollars canadiens. Les plaques de cuivre de Gilbert servent à absorber les particules projetées à grande vitesse après la collision. Les capteurs du LHC permettent de récupérer des milliards de données. «Certains chercheurs doivent certainement encore aujourd’hui travailler sur la première expérience», s’amuse Gilbert.
Depuis sa mise en circulation, le LHC a permis de grandes avancées scientifiques. L’existence du fameux «Rayon X» a été confirmée, tout comme celle du boson de Higgs, «la particule de Dieu». Cette dernière découverte a permis en 2013 au Britannique Peter Higgs d’obtenir le prix Nobel de physique. Elle serait, pour simplifier, à l’origine du fait que la matière soit porteuse d’une masse ou non. Cela ouvre ainsi la voie à de nouvelles expérimentations notamment autour de la matière noire.
Gilbert est conscient d’avoir ajouté une pierre à l’édifice de ces grandes découvertes. Il jouit, ainsi, d’une belle histoire à raconter. Aujourd’hui à la retraite, il n’arrête pas pour autant d’exercer ses talents manuels. Dans l’atelier de son garage à Edmonton, aidé de sa fraiseuse, et s’intéressant désormais au travail du bois, il n’hésite pas à rendre service à son entourage parfois à la demande d’objets de toutes sortes.
Cet article fut publié dans l’édition du 17 décembre 2020 en page 15.
Les f�tes de fin dann�e sont loccasion d�changer en famille les histoires du pass�. Gilbert Lachat en a une passionnante ! Ce Franco-Albertain r�sidant dans le sud de Bonnie Doon, � Edmonton, a particip� par ses talents de forgeur � la d�couverte de lune des plus grandes avanc�es de la physique moderne.��
Monsieur Lachat est un homme pointilleux. Lorsquil narre des histoires, il sattache � ne pas oublier certains d�tails. Pourtant, en l�coutant, le temps semble sarr�ter. Pas �tonnant dapprendre que ce natif suisse a commenc� sa carri�re comme m�canicien de pr�cision dans le domaine de lhorlogerie.�
�Un projet sp�cial, international�, se rem�more Gilbert Lachat. Lorsquil entend ces mots en 1995, lhomme est d�sormais chef de latelier de physique de lUniversit� de lAlberta, un lieu o� lon fabrique les instruments n�cessaires � la recherche.�
De lautre c�t� de lAtlantique, le projet de lorganisation europ�enne pour la recherche nucl�aire (CERN) se concr�tise�: fabriquer le Grand collisionneur de hadrons (aussi appel� LHC). En dautres termes�: construire le plus grand et le plus puissant acc�l�rateur de particules au monde. Un anneau de 27 kilom�tres de circonf�rence, form� de milliers daimants supraconducteurs, aujourdhui enterr� � cheval sur la fronti�re franco-suisse.�
La fabrication des pi�ces n�cessaires � sa construction est dispers�e � travers le monde. La production de plaques de cuivre bien sp�cifiques est attribu�e au Canada et � lAllemagne. Chacun devra produire 812 plaques, l�quivalent de 150 tonnes de cuivre.�
Gilbert Lachat est n� en suisse, il a commenc� sa carri�re comme m�canicien de pr�cision.
Cr�dit : Courtoisie
�Le directeur du projet pour le Canada se trouvait � Vancouver, beaucoup de gens travaillaient sur ce projet � Ottawa et Toronto, mais les plaques de cuivre n�cessaires devaient �tre fabriqu�es � Edmonton�, dit Gilbert.
En 1996, 25 plaques de cuivre arrivent dans les locaux de lUniversit� de lAlberta, afin de r�aliser des prototypes. Gilbert et son �quipe constatent tr�s vite la difficult� de les travailler comme souhait� par le CERN. Ils en d�duisent quune al�seuse horizontale de 28 tonnes est n�cessaire. Elle sera command�e en 1997 � lentreprise japonaise Toshiba pour une somme avoisinant les 700 000�dollars.�
La production ne fut pas simple. �Nous avions toutes sortes de probl�mes�, se souvient-il. Les plaques de cuivre arriv�es des �tats-Unis sont courb�es. De quoi rendre la t�che de l�quipe impossible. �La tol�rance pour chaque plaque �tait de 5 centi�mes de millim�tre�, pr�cise Gilbert. Le probl�me est r�solu, puis en vient un autre. �Le cuivre pur est lun des mat�riaux les plus difficiles � manier, le mat�riel de d�coupe suse tr�s rapidement�. Lachat et lutilisation dune plaquette en diamant sauveront la mise de latelier.�
En 2001, apr�s 6 ans de dur labeur, la production touche � son terme. Les plaques sont fixement entrepos�es dans des caisses en bois, �bien prot�g�es lune de lautre, car dune valeur inestimable�. Transport�es en camion � Vancouver, elles sont lav�es dans des bains, assembl�es en module, entrepos�es dans des caisses en acier pour �viter loxydation, et partent en bateau jusquen Europe.�
� lire aussi : La passion des institutions scolaires dAbigail Lawrence
Le Grand collisionneur de hadrons (LHC) est mis en service � l�t�2008. Consid�r� comme le plus grand dispositif exp�rimental jamais construit pour valider des th�ories physiques, il repr�sente un co�t total de 8,2 milliards de dollars canadiens. Les plaques de cuivre de Gilbert servent � absorber les particules projet�es � grande vitesse apr�s la collision. Les capteurs du LHC permettent de r�cup�rer des milliards de donn�es. �Certains chercheurs doivent certainement encore aujourdhui travailler sur la premi�re exp�rience�, samuse Gilbert.
Depuis sa mise en circulation, le LHC a permis de grandes avanc�es scientifiques. Lexistence du fameux �Rayon X� a �t� confirm�e, tout comme celle du boson de Higgs, �la particule de Dieu�. Cette derni�re d�couverte a permis en 2013 au Britannique Peter Higgs dobtenir le prix Nobel de physique. Elle serait, pour simplifier, � lorigine du fait que la mati�re soit porteuse dune masse ou non. Cela ouvre ainsi la voie � de nouvelles exp�rimentations notamment autour de la mati�re noire.
Gilbert est conscient davoir ajout� une pierre � l�difice de ces grandes d�couvertes. Il jouit, ainsi, dune belle histoire � raconter. Aujourdhui � la retraite, il narr�te pas pour autant dexercer ses talents manuels. Dans latelier de son garage � Edmonton, aid� de sa fraiseuse, et sint�ressant d�sormais au travail du bois, il nh�site pas � rendre service � son entourage parfois � la demande dobjets de toutes sortes.
Cet article fut publi� dans l�dition du 17 d�cembre 2020 en page 15.
Le projet de loi C-6 (pour bannir les th�rapies de conversion) a �t� adopt� le 22 juin 2021. Cependant, 61% des d�put�.es Albertain.es et 93% des d�put�.es de la Saskatchewan ont vot� contre le projet. Bien que le projet de loi ait �t� adopt�, je ne peux memp�cher de penser � mes proches qui ont subi des th�rapies de conversion et qui se sentent vuln�rables face au vote de ces �lu.es. Je compte parmi ces proches mon ami St�phane Youdom qui a partag� avec g�n�rosit� son t�moignage pour cet article.
�manuel, communaut� Tik Tok
Les je�nes impos�s pour faire sortir � le diable qui habitait en lui � lont men� par deux fois tout droit � lh�pital. Pr�sentement, le projet de loi C-6 visant � interdire les th�rapies de conversion fait son chemin au Parlement du Canada. St�phane Youdom, francophone ayant r�sid� 8 ans en Alberta, raconte comment plusieurs pasteurs ont tent� de changer son orientation sexuelle.��
� Quand je me suis �croul� � lh�pital, le pasteur ma dit que c�tait de ma faute �, explique St�phane. � ce moment, cela faisait trois semaines que lhomme d�glise lui avait prescrit un r�gime alimentaire drastique : un verre dun lait, un autre de jus dorange, par jour.
La rh�torique est souvent la m�me. � Dieu ma cr�� et le d�mon veut me d�truire �. Une solution pour sen sortir : � me battre contre ce d�mon qui est en moi �. Il saccroche � cet espoir. � Je vaux la peine d�tre sauv� �.
La deuxi�me tentative nest gu�re plus efficace. Apr�s une semaine de je�ne et de pri�res, il perd � nouveau connaissance. Retour � lh�pital. � cette �poque, en 2009, St�phane vivait en Allemagne, � Kaiserslautern o� il �tudiait. Traversant des troubles identitaires, il s�tait tourn� vers l�glise. Depuis sa tendre enfance au Cameroun, St�phane a toujours baign� dans lunivers religieux.
� Le d�mon �tait trop fort �, explique le pasteur � St�phane. Lhomme d�glise lui demande de se tourner vers un centre sp�cialis�. Le co�t est de 7800 euros. St�phane qui vit avec 380 euros par mois d�cide dorganiser une collecte de fonds. Il est mis en contact avec un pasteur qui, � Paris, pourra laider dans cette d�marche.
� Il minvite chez lui pour une soir�e de pri�res �, se souvient-il, la voix serr�e. St�phane souhaite sinstaller dans la cuisine, mais le pasteur insiste pour prier dans la chambre. Il parvient � refuser.
Au bout de quelques minutes de pri�res, St�phane affirme que le pasteur lui caresse la jambe. Le visiteur lui demande virulemment darr�ter. Le pasteur se confond alors en excuses. � Il me dit quil est homosexuel, quil nest toujours pas gu�ri. Il a insinu� que c�tait de ma faute �, t�moigne celui qui d�cide alors de quitter lappartement et dabandonner son projet de collecte de fonds.
St�phane Youdom est n� au Cameroun � Douala, dans � un univers tr�s cod� par les traditions et la religion �. Tr�s jeune d�j�, il sint�resse aux poup�es, aux jupes, aux talons hauts. Une attitude jug�e anormale par beaucoup dhommes de son entourage. Il raconte avoir souvent subi des punitions pour cela. Au Cameroun, lhomosexualit� est interdite depuis 1972.
Alors quil raconte son histoire, quelque chose lui vient � lesprit. Son extr�me mal�tre qui la men� � sa premi�re th�rapie de conversion intervient quelques ann�es apr�s des �v�nements marquants dans son pays dorigine.
Le 25 d�cembre 2005, larchev�que Simon-Victor Tony� Bakot d�nonce publiquement � lhomosexualit� comme un complot contre la famille et le mariage �. Quelques mots, puis quelques actes. D�but 2006, trois journaux nationaux (La M�t�o,�LAnecdote�et�Nouvelle Afrique)�publient une liste de personnes qui, selon eux, sont homosexuelles.
Au Cameroun, lhomosexualit� est passible de 5 ans demprisonnement et 200 000 francs damende (environ 450 CAD). Les pers�cutions � leur encontre, allant de lintimidation au meurtre, sont courantes depuis 2006. Cest sous ce contexte que St�phane Youdom vivra sa deuxi�me th�rapie de conversion.
En janvier 2010, toujours en Allemagne, il d�voile son orientation sexuelle � � une connaissance �, tout en lui demandant de garder le secret. � Mais cette personne a eu peur et la dit � tout le monde �. Sa famille lappelle. � Je me retrouve donc au Cameroun pour subir une th�rapie de conversion l� bas aussi �.
Dans la maison de ses parents, un groupe de pasteurs laccueille. Cette fois encore, je�nes et pri�res dictent son quotidien. Sa famille d�cide de laccompagner dans cette �preuve en suivant le m�me rythme.
� Cest un sentiment comme d�tre lobotomis� �, raconte-t-il. � Tout ce que je ressentais ou pensais �tait invalid�, car, pour eux, j�tais habit� par un d�mon �. Deux semaines apr�s le d�but de cette th�rapie, le pasteur lui annonce, droit dans les yeux : � St�phane est gu�ri �.
� Je le regarde et je sens quil ny a aucun changement en moi. Mais je sais que je ne suis pas en s�curit�. Je ne suis plus ma�tre de ce que j�tais. Je connaissais le pouvoir de ce pasteur. Ma vie �tait menac�e donc je joue le jeu et je retourne en Allemagne. �
� son retour, St�phane sombre � nouveau dans une d�pression. Il passe � lacte une nouvelle fois, sa cinqui�me tentative de suicide depuis 2006. � Je me sentais mal dans ma peau, je navais plus envie de vivre �. De lh�pital, il est intern� en psychiatrie. Une renaissance&
L�-bas, il est accompagn� par des professionnels de la sant�. � Un accompagnement qui a du sens �, dit-il aujourdhui. Il rencontre dautres patients qui ont aussi subi des th�rapies de conversion. � Je comprends que mes exp�riences sont valides. Quelques semaines plus tard, je sors de mon �tat suicidaire �.
Lespoir canadien�
En 2012, la famille de St�phane quitte le Cameroun pour sinstaller au Canada. Il les rejoint la m�me ann�e avec beaucoup despoirs concernant ce pays qui a l�galis� le mariage homosexuel en 2005. Lhomosexualit� est accept�e, mais lhomophobie existe bel et bien. Il t�moigne s�tre d�j� fait agresser � Edmonton pour son style vestimentaire eff�min�.
Concernant la loi C-6 qui poursuit son chemin l�gislatif au parlement, St�phane est ferme sur ses positions. � Il �tait temps. Parfois, on prend pour acquis le bon sens. Mais si une loi nest pas vot�e, les choses peuvent changer en un court laps de temps. �
Il en profite pour revenir sur les arguments des opposants � cette loi, pr�nant la libert� de religion. � La libert� de religion est une libert� individuelle, la th�rapie de conversion nest plus une question de libert�, cest une question de manque de respect � lhumanit� �. Le 14 mai 2020, lorsque la Ville de Calgary a proclam� linterdiction des th�rapies de conversion, St�phane a pris la parole pour t�moigner. Aujourdhui, St�phane vit � Montr�al. Sereinement, il continue de vivre en tentant deffacer les fant�mes du pass�.
Lassociation�Generous Space Ministries, situ�e en Ontario, m�ne une recherche communautaire afin de cr�er un soutien complet pour les �survivants� des th�rapies de conversion. Le 12 avril, Generous Space Ministries lancera une s�rie dentretiens individuels, des groupes de discussion et une enqu�te en ligne pour recueillir des donn�es.
Ces derni�res seront analys�es et utilis�es pour concevoir un programme continue de soutien. Un r�seau de praticien th�rapeutique devrait notamment �tre cr�� et partag� avec la communaut�.�De nombreuses personnes LGBTQ/2S nont jamais �t� identifi�es ou reconnues quelles avaient subi des th�rapies de conversion�, explique Jordan Sullivan, coordonnateur du projet. Lorganisation recherche des informations dans trois domaines : ce qui a �t� utile pour se r�tablir, les obstacles ou les d�fis rencontr�s, et le type de ressources et de soutien n�cessaires.
Vous pouvez contacter Generous Space Ministries � info@generousspace.ca
Le Franco lance un appel aux t�moignes
Vous avez v�cu des th�rapies de conversion et vous souhaitez t�moigner de votre r�alit�? Envoyez un courriel �redaction@lefranco.ab.ca
Cet article fut publi� dans l�dition du 1er avril 2021 en page 12
Le projet de loi C-6 (pour bannir les thérapies de conversion) a été adopté le 22 juin 2021. Cependant, 61% des député.es Albertain.es et 93% des député.es de la Saskatchewan ont voté contre le projet. Bien que le projet de loi ait été adopté, je ne peux m’empêcher de penser à mes proches qui ont subi des thérapies de conversion et qui se sentent vulnérables face au vote de ces élu.es. Je compte parmi ces proches mon ami Stéphane Youdom qui a partagé avec générosité son témoignage pour cet article.
Émanuel, communauté Tik Tok
Les jeûnes imposés pour faire sortir « le diable qui habitait en lui » l’ont mené par deux fois tout droit à l’hôpital. Présentement, le projet de loi C-6 visant à interdire les thérapies de conversion fait son chemin au Parlement du Canada. Stéphane Youdom, francophone ayant résidé 8 ans en Alberta, raconte comment plusieurs pasteurs ont tenté de changer son orientation sexuelle.
« Quand je me suis écroulé à l’hôpital, le pasteur m’a dit que c’était de ma faute », explique Stéphane. À ce moment, cela faisait trois semaines que l’homme d’Église lui avait prescrit un régime alimentaire drastique : un verre d’un lait, un autre de jus d’orange, par jour.
La rhétorique est souvent la même. « Dieu m’a créé et le démon veut me détruire ». Une solution pour s’en sortir : « me battre contre ce démon qui est en moi ». Il s’accroche à cet espoir. « Je vaux la peine d’être sauvé ».
La deuxième tentative n’est guère plus efficace. Après une semaine de jeûne et de prières, il perd à nouveau connaissance. Retour à l’hôpital. À cette époque, en 2009, Stéphane vivait en Allemagne, à Kaiserslautern où il étudiait. Traversant des troubles identitaires, il s’était tourné vers l’Église. Depuis sa tendre enfance au Cameroun, Stéphane a toujours baigné dans l’univers religieux.
« Le démon était trop fort », explique le pasteur à Stéphane. L’homme d’Église lui demande de se tourner vers un centre spécialisé. Le coût est de 7800 euros. Stéphane qui vit avec 380 euros par mois décide d’organiser une collecte de fonds. Il est mis en contact avec un pasteur qui, à Paris, pourra l’aider dans cette démarche.
« Il m’invite chez lui pour une soirée de prières », se souvient-il, la voix serrée. Stéphane souhaite s’installer dans la cuisine, mais le pasteur insiste pour prier dans la chambre. Il parvient à refuser.
Au bout de quelques minutes de prières, Stéphane affirme que le pasteur lui caresse la jambe. Le visiteur lui demande virulemment d’arrêter. Le pasteur se confond alors en excuses. « Il me dit qu’il est homosexuel, qu’il n’est toujours pas guéri. Il a insinué que c’était de ma faute », témoigne celui qui décide alors de quitter l’appartement et d’abandonner son projet de collecte de fonds.
Stéphane Youdom est né au Cameroun à Douala, dans « un univers très codé par les traditions et la religion ». Très jeune déjà, il s’intéresse aux poupées, aux jupes, aux talons hauts. Une attitude jugée anormale par beaucoup d’hommes de son entourage. Il raconte avoir souvent subi des punitions pour cela. Au Cameroun, l’homosexualité est interdite depuis 1972.
Alors qu’il raconte son histoire, quelque chose lui vient à l’esprit. Son extrême malêtre qui l’a mené à sa première thérapie de conversion intervient quelques années après des évènements marquants dans son pays d’origine.
Le 25 décembre 2005, l’archevêque Simon-Victor Tonyé Bakot dénonce publiquement « l’homosexualité comme un complot contre la famille et le mariage ». Quelques mots, puis quelques actes. Début 2006, trois journaux nationaux (La Météo, L’Anecdote et Nouvelle Afrique) publient une liste de personnes qui, selon eux, sont homosexuelles.
Au Cameroun, l’homosexualité est passible de 5 ans d’emprisonnement et 200 000 francs d’amende (environ 450 CAD). Les persécutions à leur encontre, allant de l’intimidation au meurtre, sont courantes depuis 2006. C’est sous ce contexte que Stéphane Youdom vivra sa deuxième thérapie de conversion.
En janvier 2010, toujours en Allemagne, il dévoile son orientation sexuelle à « une connaissance », tout en lui demandant de garder le secret. « Mais cette personne a eu peur et l’a dit à tout le monde ». Sa famille l’appelle. « Je me retrouve donc au Cameroun pour subir une thérapie de conversion là bas aussi ».
Dans la maison de ses parents, un groupe de pasteurs l’accueille. Cette fois encore, jeûnes et prières dictent son quotidien. Sa famille décide de l’accompagner dans cette épreuve en suivant le même rythme.
« C’est un sentiment comme d’être lobotomisé », raconte-t-il. « Tout ce que je ressentais ou pensais était invalidé, car, pour eux, j’étais habité par un démon ». Deux semaines après le début de cette thérapie, le pasteur lui annonce, droit dans les yeux : « Stéphane est guéri ».
« Je le regarde et je sens qu’il n’y a aucun changement en moi. Mais je sais que je ne suis pas en sécurité. Je ne suis plus maître de ce que j’étais. Je connaissais le pouvoir de ce pasteur. Ma vie était menacée donc je joue le jeu et je retourne en Allemagne. »
À son retour, Stéphane sombre à nouveau dans une dépression. Il passe à l’acte une nouvelle fois, sa cinquième tentative de suicide depuis 2006. « Je me sentais mal dans ma peau, je n’avais plus envie de vivre ». De l’hôpital, il est interné en psychiatrie. Une renaissance…
Là-bas, il est accompagné par des professionnels de la santé. « Un accompagnement qui a du sens », dit-il aujourd’hui. Il rencontre d’autres patients qui ont aussi subi des thérapies de conversion. « Je comprends que mes expériences sont valides. Quelques semaines plus tard, je sors de mon état suicidaire ».
L’espoir canadien
En 2012, la famille de Stéphane quitte le Cameroun pour s’installer au Canada. Il les rejoint la même année avec beaucoup d’espoirs concernant ce pays qui a légalisé le mariage homosexuel en 2005. L’homosexualité est acceptée, mais l’homophobie existe bel et bien. Il témoigne s’être déjà fait agresser à Edmonton pour son style vestimentaire efféminé.
Concernant la loi C-6 qui poursuit son chemin législatif au parlement, Stéphane est ferme sur ses positions. « Il était temps. Parfois, on prend pour acquis le bon sens. Mais si une loi n’est pas votée, les choses peuvent changer en un court laps de temps. »
Il en profite pour revenir sur les arguments des opposants à cette loi, prônant la liberté de religion. « La liberté de religion est une liberté individuelle, la thérapie de conversion n’est plus une question de liberté, c’est une question de manque de respect à l’humanité ». Le 14 mai 2020, lorsque la Ville de Calgary a proclamé l’interdiction des thérapies de conversion, Stéphane a pris la parole pour témoigner. Aujourd’hui, Stéphane vit à Montréal. Sereinement, il continue de vivre en tentant d’effacer les fantômes du passé.
L’association Generous Space Ministries, située en Ontario, mène une recherche communautaire afin de créer un soutien complet pour les «survivants» des thérapies de conversion. Le 12 avril, Generous Space Ministries lancera une série d’entretiens individuels, des groupes de discussion et une enquête en ligne pour recueillir des données.
Ces dernières seront analysées et utilisées pour concevoir un programme continue de soutien. Un réseau de praticien thérapeutique devrait notamment être créé et partagé avec la communauté.«De nombreuses personnes LGBTQ/2S n’ont jamais été identifiées ou reconnues qu’elles avaient subi des thérapies de conversion», explique Jordan Sullivan, coordonnateur du projet. L’organisation recherche des informations dans trois domaines : ce qui a été utile pour se rétablir, les obstacles ou les défis rencontrés, et le type de ressources et de soutien nécessaires.
Vous pouvez contacter Generous Space Ministries à info@generousspace.ca
Le Franco lance un appel aux témoignes
Vous avez vécu des thérapies de conversion et vous souhaitez témoigner de votre réalité? Envoyez un courriel à redaction@lefranco.ab.ca
Cet article fut publié dans l’édition du 1er avril 2021 en page 12
Le gouvernement de l’Alberta sort l’artillerie lourde. En août 2020, l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) attaquait en justice la province et l’Université de l’Alberta concernant le sous-financement du Campus Saint-Jean. Pour la seule période d’août 2020 à fin mars 2021, le gouvernement de l’Alberta a consacré 1,5 million de dollars à sa défense dans ce dossier.
« Le gouvernement provincial sort les gros canons », analyse Stéphanie Chouinard, professeure spécialisée en droits linguistiques au Collège militaire royal du Canada. Considérant les moyens « beaucoup moindres » auxquels ont normalement accès les organismes communautaires, elle affirme que cette somme est « intimidante ».
Les spécialistes restent prudents dans leurs propos. En effet, les comparaisons sont quasiment inexistantes. Dans ce genre d’affaires, face à des minorités, les gouvernements recourent habituellement à une expertise juridique interne. Ils sont défendus par le bureau du procureur général et ne publient pas le montant ainsi dépensé.
« C’est un chiffre surprenant sur une période de 7 mois, commente quant à lui, Justin Kingston, le président de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta. Il y a quelqu’un qui charge 166 000 dollars chaque mois ». Ce quelqu’un qui assurera la défense du gouvernement est le cabinet d’avocats McLennan Ross.
La firme est notamment connue pour avoir plaidé pour la Couronne dans l’affaire l’opposant à Gilles Caron, un camionneur contestant sa contravention écrite seulement en anglais. En 2015, la Cour suprême avait donné raison à la province : aucun élément historique n’empêche l’Alberta de se déclarer unilingue sur le plan législatif. À l’époque, l’avocate francophone Teresa Haykowsky plaidait la cause pour la province.
Dans cette même affaire, Gilles Caron était lui défendu par le cabinet PowerLaw. C’est ce dernier qui représentera l’ACFA dans le dossier judiciaire concernant les finances du Campus Saint-Jean. PowerLaw travaille aux côtés de l’ACFA sur le dossier de l’éducation postsecondaire depuis plusieurs années déjà, affirme Isabelle Laurin, la directrice de l’organisme. Habitué à défendre les minorités linguistiques, PowerLaw avait obtenu en avril dernier un jugement favorable de la Cour suprême concernant l’équivalence de l’éducation en Colombie-Britannique.
« Le dossier me semble assez compliqué », dit le directeur de l’Observatoire international des droits linguistiques, Érik Labelle. Le professeur à l’Université de Moncton rappelle que le coût d’un procès dépend de plusieurs facteurs, dont la complexité des questions juridiques soulevées. « Si on traite de questions nouvelles ou inédites, plus les débats vont être complexes et vont exiger du temps et des ressources », dit-il.
Face à la province et l’Université, l’ACFA compte deux principaux axes d’argumentation. Le premier est le respect de l’entente signée en 1977 entre l’Université de l’Alberta, la province et les Oblats. Ayant récupéré la responsabilité des Oblats dans ce contrat, l’ACFA souhaite faire respecter la clause selon laquelle le Campus Saint-Jean, tout juste cédé à l’époque, « sera maintenu, amélioré et étendu ».
« La nécessité de former des enseignants de langue française » est également une notion de cette entente tripartite. C’est précisément ce sur point que l’ACFA invoque l’article 23 de la Charte canadienne. Comment assurer une éducation en français alors que le seul établissement formateur n’a pas les moyens nécessaires pour former assez d’enseignants ?
La défense de l’ACFA
L’organisme franco-albertain garde la somme qu’elle compte dépenser dans cette affaire confidentielle. Elle pourra cependant compter sur deux sources de financement : le Programme fédéral de contestation judiciaire et l’argent des dons récoltés durant la campagne « Sauvons Saint-Jean ». Jusqu’à présent, la levée de fonds a permis de réunir 15 000 dollars mais l’ACFA dit n’avoir pas encore «pleinement activé la campagne».
Cet argument place ainsi l’éducation postsecondaire dans l’équation. « Ça serait du jamais vu », commente Érik Labelle. Jusqu’alors, la Cour suprême a toujours interprété la Charte canadienne comme conférant des obligations d’équivalence (entre le système anglophone et francophone) pour l’éducation aux primaire et secondaire.
Selon lui, l’argent dépensé par la province servira à commander des études externes qui appuieront les arguments du gouvernement. Dans ce cas, plus d’argent signifie plus de documents pertinents à présenter aux juges, donc un argumentaire de meilleure qualité.
« Un montant comme celui-là témoigne de l’intention de défendre ce dossier-là », selon Érik Labelle.
« L’argent que vous payez en impôts sert à lutter contre les droits des minorités linguistiques », a réagi, en anglais, sur Twitter la présidente de l’ACFA. Cette somme représente un peu plus que celle demandée par l’ACFA pour combler les besoins du Campus Saint-Jean à la rentrée dernière : entre 1 et 1,3 million.
Pour la présidente de l’ACFA, la somme dépensée par la province « est peut-être une indication que la province a peur des répercussions de notre action juridique. Parce que si on gagne, surtout sur l’article 23, ça aurait des répercussions pas mal importantes pour le financement du postsecondaire pour les minorités linguistiques. Ce n’est pas un million pour une année qu’on va chercher. C’est un financement sur la durée pour assurer sa pérennité », conclut-elle.
Contacté, le gouvernement de l’Alberta n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Cest une premi�re en Alberta. Ce vendredi 22 janvier, les juges de la Cour du Banc de la Reine et les membres du barreau ont �t� invit�s � une assembl�e pour pr�senter les am�liorations dacc�s � la justice en fran�ais. Depuis trois ans, sous limpulsion de Mary Moreau, nomm�e juge en chef en 2017, de nombreux progr�s ont �t� r�alis�s � ce chapitre dans la province.
� Il y a un aspect historique. C�tait encourageant � r�agit Justin Kingston, pr�sident de lAssociation des Juristes francophones de lAlberta (AJEFA). � Il y a certainement du progr�s qui se fait comparativement � il y a 5 ou 10 ans �, ajoute celui qui a assist� � lassembl�e vendredi midi.�
La juge en chef Mary Moreau en poste depuis 2017 fait progresser le fran�ais � la Cour du Banc de la Reine. Cr�dit : courtoisie, Cour du Banc de la Reine
Plus de 70 juges et avocats �taient pr�sents � cette assembl�e � huis clos qui se tiendra d�sormais chaque ann�e. � �a d�montre quil y a un int�r�t � pouvoir pratiquer en fran�ais devant les tribunaux ou m�me de donner lacc�s � nos clients � la justice en fran�ais �, dit Kim Arial, avocate francophone en droit criminel, elle aussi pr�sente � la rencontre. Car oui, � cest une chose davoir un droit, et cen est une autre davoir acc�s � un droit �, ajoute-t-elle.�
� Larticle 530 du Code criminel indique que tout accus� a le droit dobtenir un proc�s dans sa langue, quelle soit langlais ou le fran�ais. Cet article poss�de un sous-alin�a qui dit aussi que le tribunal doit informer laccus� de ce droit �. Cest pr�cis�ment sur ce point que certaines incoh�rences existent.�
En atteste laffaire Vaillancourt, de 2019. Originaire du Qu�bec, Vincent Vaillancourt �tait accus� de plusieurs chefs daccusation. Il navait �t� inform� de la possibilit� dun proc�s en fran�ais quapr�s un an de proc�dure et les conseils de quatre avocats diff�rents. La Cour du Banc de la Reine avait alors mis plus dun an � organiser un nouveau proc�s. Le d�lai raisonnable avant un proc�s avait �t� d�pass� et lhomme f�t acquitt�.�
Cest notamment pour �viter ce genre de dysfonctionnements que la Cour a pris des mesures. � Cest lune des principales causes �, commente G�rard L�vesque, qui ne n�glige pas pour autant linfluence de Mary Moreau, francophone nomm�e juge en chef de la province en 2017.
Julie Laliberte, conseill�re juridique de la Cour du Banc de la Reine et conseill�re pour le fran�ais et les services dinterpr�tation. Cr�dit photo : Courtoisie Cour du Banc de la Reine
Peu apr�s son entr�e en poste, la Cour du Banc de la Reine a cr�� un Comit� directeur sur lemploi du fran�ais et des services dinterpr�te, puis a rendu disponibles plusieurs informations en fran�ais sur son site internet. Dautres mesures sen sont suivies.
Selon Justin Kingston, la juge en chef a dit pendant lassembl�e que les mesures prises ont fait augmenter le nombre de proc�s en fran�ais dans la province. Mary Moreau affirme que 12 proc�s en fran�ais ont eu lieu en 2020 (8 juges sont capables de tenir des proc�s en fran�ais � la Cour du Banc de la Reine).
� Cest une bouff�e dair frais, �a fait une grande diff�rence par rapport � ce qui �tait fait avant �, indique G�rard L�vesque, avocat qui a pass� de nombreuses ann�es � tenter de rendre la justice �galitaire pour les francophones de la province. Des exemples de d�faillances, il dit en avoir constat� de nombreuses tout au long de sa carri�re.�
Il se rappelle notamment dune affaire datant de 2011. � l�poque, son client habite Red Deer, mais est accus� � Calgary. � Il devait signer un formulaire de d�signation dun avocat pr�vue par le Code criminel (art. 650.01) afin que je puisse le repr�senter pour de courtes rencontres de quelques minutes seulement �. G�rard demande le formulaire en fran�ais au comptoir de la Cour. � Ils mont dit non, on na pas �a ici �. Son client et lui ont d� renoncer, � � contrecSur, � notre droit � une version fran�aise ou bilingue du formulaire �. Dans la m�me affaire, lorsque G�rard L�vesque a indiqu� au juge que son client souhaitait un proc�s en fran�ais, la Couronne a inform� le juge quelle retirait laccusation…�
Depuis le mois de d�cembre, la juge Loparco pr�side le Comit� sur lemploi du fran�ais et services dinterpr�tes. Cr�dit: Courtoisie Cour du Banc de la Reine
Ma�tre L�vesque est du genre tenace. Pour �viter que cette situation se reproduise, il a communiqu� avec le minist�re : � Pour leur dire que cette attitude de ne pas reconna�tre le fran�ais doit changer �. Le minist�re lui a confirm� que les formulaires gratuits en fran�ais ne sont pas disponibles. � Faites vous-m�me la formule si vous tenez � lavoir en fran�ais �, lui aurait-on r�pondu.�
Lavocat se prend au jeu, produit son propre formulaire en fran�ais. Alors quil se pr�sente au tribunal de Fort McMurray pour une nouvelle affaire, � au comptoir, ils mont dit : on na jamais vu cette formule-l�. Do� vient-elle ? Non, on naccepte pas �, affirme G�rard. Ce dernier a d� multiplier les d�marches administratives pour que son formulaire en fran�ais soit accept�. � �a montre que le minist�re, les hauts fonctionnaires n�taient pas du tout int�ress�s aux services en fran�ais et � les promouvoir �.
Aujourdhui, ce formulaire gratuit en fran�ais est bien disponible. Il fait partie des mesures mises en place ces deux derni�res ann�es. Cependant, dautres d�fis attendent encore les juristes albertains pour faire avancer la justice en fran�ais. Prochainement, linstauration dune nouvelle loi sur les divorces permettra des proc�dures en fran�ais, ce qui est toujours impossible en Alberta � ce jour.
Pour Justin Kingston, pr�sident de lAJEFA, le plus important r�side dans la sensibilisation des avocats et des juges anglophones aux droits linguistiques. Pour r�pondre � ce besoin, la Cour du Banc de la Reine offre pr�sentement des formations en fran�ais � 38 juges.
Des mesures concr�tes
Peu apr�s lentr�e en fonction de la juge en chef, un Comit� sur lemploi du fran�ais et services dinterpr�tes a �t� cr��. Ce comit� a pour r�le de conseiller le Comit� ex�cutif de la Cour du Banc de la Reine sur des questions touchant les droits linguistiques.�
Le 1er juin 2018, une nouvelle proc�dure a �t� �tablie afin dassurer que tout accus� soit syst�matiquement inform� des droits. Cette proc�dure pr�voit notamment des avis �crits et affich�s, des questions pos�es oralement lors des proc�dures et un enregistrement sonore bilingue qui annonce le droit � un proc�s en fran�ais.
La formule (CC2) a �t� modifi�e pour inclure la mention : � Je comprends que je peux faire une demande dun proc�s en anglais ou en fran�ais, ou dun proc�s bilingue. �
Dans ce contexte du coronavirus, les ordonnances directrices de la Cour ont �t� �mises par la Cour du Banc de la Reine dans les deux langues officielles. Du contenu web en fran�ais a �t� ajout� sur le site de la Cour qui dit travailler pr�sentement sur plusieurs autres id�es de contenu web en fran�ais.�
La Cour a r�cemment adopt� une politique et des protocoles associ�s pour g�rer les questions reli�es � lemploi du fran�ais dans les proc�dures. Ce projet pilote dun an a pour objectif de simplifier les proc�dures en fran�ais et bilingues. Un avocat bilingue interne sera responsable de la coordination et de la mise en Suvre des mesures adopt�es. Une partie importante de ce projet est lintroduction dun nouvel avis pour les demandes daudience en fran�ais.
C’est une première en Alberta. Ce vendredi 22 janvier, les juges de la Cour du Banc de la Reine et les membres du barreau ont été invités à une assemblée pour présenter les améliorations d’accès à la justice en français. Depuis trois ans, sous l’impulsion de Mary Moreau, nommée juge en chef en 2017, de nombreux progrès ont été réalisés à ce chapitre dans la province.
« Il y a un aspect historique. C’était encourageant » réagit Justin Kingston, président de l’Association des Juristes francophones de l’Alberta (AJEFA). « Il y a certainement du progrès qui se fait comparativement à il y a 5 ou 10 ans », ajoute celui qui a assisté à l’assemblée vendredi midi.
La juge en chef Mary Moreau en poste depuis 2017 fait progresser le français à la Cour du Banc de la Reine. Crédit : courtoisie, Cour du Banc de la Reine
Plus de 70 juges et avocats étaient présents à cette assemblée à huis clos qui se tiendra désormais chaque année. « Ça démontre qu’il y a un intérêt à pouvoir pratiquer en français devant les tribunaux ou même de donner l’accès à nos clients à la justice en français », dit Kim Arial, avocate francophone en droit criminel, elle aussi présente à la rencontre. Car oui, « c’est une chose d’avoir un droit, et c’en est une autre d’avoir accès à un droit », ajoute-t-elle.
« L’article 530 du Code criminel indique que tout accusé a le droit d’obtenir un procès dans sa langue, qu’elle soit l’anglais ou le français. Cet article possède un sous-alinéa qui dit aussi que le tribunal doit informer l’accusé de ce droit ». C’est précisément sur ce point que certaines incohérences existent.
En atteste l’affaire Vaillancourt, de 2019. Originaire du Québec, Vincent Vaillancourt était accusé de plusieurs chefs d’accusation. Il n’avait été informé de la possibilité d’un procès en français qu’après un an de procédure et les conseils de quatre avocats différents. La Cour du Banc de la Reine avait alors mis plus d’un an à organiser un nouveau procès. Le délai raisonnable avant un procès avait été dépassé et l’homme fût acquitté.
C’est notamment pour éviter ce genre de dysfonctionnements que la Cour a pris des mesures. « C’est l’une des principales causes », commente Gérard Lévesque, qui ne néglige pas pour autant l’influence de Mary Moreau, francophone nommée juge en chef de la province en 2017.
Julie Laliberte, conseillère juridique de la Cour du Banc de la Reine et conseillère pour le français et les services d’interprétation. Crédit photo : Courtoisie Cour du Banc de la Reine
Peu après son entrée en poste, la Cour du Banc de la Reine a créé un Comité directeur sur l’emploi du français et des services d’interprète, puis a rendu disponibles plusieurs informations en français sur son site internet. D’autres mesures s’en sont suivies.
Selon Justin Kingston, la juge en chef a dit pendant l’assemblée que les mesures prises ont fait augmenter le nombre de procès en français dans la province. Mary Moreau affirme que 12 procès en français ont eu lieu en 2020 (8 juges sont capables de tenir des procès en français à la Cour du Banc de la Reine).
« C’est une bouffée d’air frais, ça fait une grande différence par rapport à ce qui était fait avant », indique Gérard Lévesque, avocat qui a passé de nombreuses années à tenter de rendre la justice égalitaire pour les francophones de la province. Des exemples de défaillances, il dit en avoir constaté de nombreuses tout au long de sa carrière.
Il se rappelle notamment d’une affaire datant de 2011. À l’époque, son client habite Red Deer, mais est accusé à Calgary. « Il devait signer un formulaire de désignation d’un avocat prévue par le Code criminel (art. 650.01) afin que je puisse le représenter pour de courtes rencontres de quelques minutes seulement ». Gérard demande le formulaire en français au comptoir de la Cour. « Ils m’ont dit non, on n’a pas ça ici ». Son client et lui ont dû renoncer, « à contrecœur, à notre droit à une version française ou bilingue du formulaire ». Dans la même affaire, lorsque Gérard Lévesque a indiqué au juge que son client souhaitait un procès en français, la Couronne a informé le juge qu’elle retirait l’accusation…
Depuis le mois de décembre, la juge Loparco préside le Comité sur l’emploi du français et services d’interprètes. Crédit: Courtoisie Cour du Banc de la Reine
Maître Lévesque est du genre tenace. Pour éviter que cette situation se reproduise, il a communiqué avec le ministère : « Pour leur dire que cette attitude de ne pas reconnaître le français doit changer ». Le ministère lui a confirmé que les formulaires gratuits en français ne sont pas disponibles. « Faites vous-même la formule si vous tenez à l’avoir en français », lui aurait-on répondu.
L’avocat se prend au jeu, produit son propre formulaire en français. Alors qu’il se présente au tribunal de Fort McMurray pour une nouvelle affaire, « au comptoir, ils m’ont dit : “on n’a jamais vu cette formule-là. D’où vient-elle ? Non, on n’accepte pas” », affirme Gérard. Ce dernier a dû multiplier les démarches administratives pour que son formulaire en français soit accepté. « Ça montre que le ministère, les hauts fonctionnaires n’étaient pas du tout intéressés aux services en français et à les promouvoir ».
Aujourd’hui, ce formulaire gratuit en français est bien disponible. Il fait partie des mesures mises en place ces deux dernières années. Cependant, d’autres défis attendent encore les juristes albertains pour faire avancer la justice en français. Prochainement, l’instauration d’une nouvelle loi sur les divorces permettra des procédures en français, ce qui est toujours impossible en Alberta à ce jour.
Pour Justin Kingston, président de l’AJEFA, le plus important réside dans la sensibilisation des avocats et des juges anglophones aux droits linguistiques. Pour répondre à ce besoin, la Cour du Banc de la Reine offre présentement des formations en français à 38 juges.
Des mesures concrètes
Peu après l’entrée en fonction de la juge en chef, un Comité sur l’emploi du français et services d’interprètes a été créé. Ce comité a pour rôle de conseiller le Comité exécutif de la Cour du Banc de la Reine sur des questions touchant les droits linguistiques.
Le 1er juin 2018, une nouvelle procédure a été établie afin d’assurer que tout accusé soit systématiquement informé des droits. Cette procédure prévoit notamment des avis écrits et affichés, des questions posées oralement lors des procédures et un enregistrement sonore bilingue qui annonce le droit à un procès en français.
La formule (CC2) a été modifiée pour inclure la mention : « Je comprends que je peux faire une demande d’un procès en anglais ou en français, ou d’un procès bilingue. »
Dans ce contexte du coronavirus, les ordonnances directrices de la Cour ont été émises par la Cour du Banc de la Reine dans les deux langues officielles. Du contenu web en français a été ajouté sur le site de la Cour qui dit travailler présentement sur plusieurs autres idées de contenu web en français.
La Cour a récemment adopté une politique et des protocoles associés pour gérer les questions reliées à l’emploi du français dans les procédures. Ce projet pilote d’un an a pour objectif de simplifier les procédures en français et bilingues. Un avocat bilingue interne sera responsable de la coordination et de la mise en œuvre des mesures adoptées. Une partie importante de ce projet est l’introduction d’un nouvel avis pour les demandes d’audience en français.
Il avait survécu à un accident d’avion en 1988. « On l’a presque perdu cette année-là, mais c’était trop tôt », indique Lucie. C’est 33 ans plus tard qu’elle doit définitivement faire ses au revoir à son père emporté par la COVID-19 ce 5 janvier. À Edmonton, Jacques Bernier était un radiologue francophone renommé. Engagé, généreux, il laisse derrière lui sa contribution à la fondation du club Jean Patoine.
« S’il y a un trait qui m’a toujours frappé chez lui, c’était sa générosité d’esprit. Il était très ouvert, recevait tout le monde, un homme de famille très dévoué, un homme de conviction », se souvient Hervé Durocher, président de l’ACFA de 1975 à 1977, aujourd’hui avocat à la retraite. Les deux hommes s’étaient rencontrés sur le comité exécutif de l’ACFA.
En 1970, les deux hommes avaient participé ensemble à la création d’une antenne du club Richelieu pour les jeunes francophones d’Edmonton. À l’époque, ils étaient une vingtaine, dont le père Jean Patoine qui cédera son nom au club lors de son changement de nom en 2001. Jacques Bernier a occupé à deux reprises la présidence du club. D’abord de 1972 à 73, puis de 1992 à 1999. « Il a été là dès le début, jusqu’à la fin, il a toujours été membre », raconte monsieur Durocher.
Le club Jean Patoine fêtait l’année dernière ses 50 ans. Sa mission est toujours la même : aider la jeunesse par la fraternité, ou par des fonds. Depuis sa création, plus d’un million de dollars sous forme de bourses ont été attribués à des étudiants du Campus Saint-Jean grâce au fonds commémoratif Jean Patoine. « Jacques a été le premier signataire de ce fond », affirme Ken Shields, président actuel du club, qui regrette cet homme « aimé de tous et qui aimait beaucoup la vie ».
Jacques Bernier a vécu sa propre jeunesse à Lambton, un petit village au sud de Québec. Il étudie la médecine à l’Université de Laval avant de s’engager dans l’armée. Il est déployé trois ans en Allemagne où naîtra Hélène en 1959, l’une des six enfants de son union avec Claire, une infirmière qu’il avait rencontrée quelques années plus tôt, la femme de sa vie. Comme pour perpétuer une tradition familiale, tous leurs enfants ont fait une carrière dans le domaine médical.
De retour au Canada, à Kingston en Ontario, il se spécialise en radiologie. « Il voulait être chirurgien, mais l’armée avait besoin de radiologues à cette époque », se rappelle l’une de ses filles, Lucie Bernier-Lycka, qui avait assisté à sa graduation.
Pour effectuer ces dernières années de service dans l’armée, Jacques est affecté à Edmonton en 1965. Lui et sa grande famille vivent quatre ans sur la base militaire. Une fois civil, il s’installe à côté de la paroisse Saint-Joachim, pour laquelle lui et sa femme ont donné beaucoup de leur temps. Jacques Bernier passe deux ans au Cross Cancer Institute et lance son entreprise de radiologie Mason Bernier and Associates. Aujourd’hui, l’entreprise s’appelle Insight Medical. Ces 220 salariés génèrent un chiffre d’affaires annuel de près de 90 millions de dollars canadien.
Éric Préville, président de la Fondation franco-albertaine et lui aussi radiologue, a travaillé 35 ans à ses côtés. « Jacques était toujours un type généreux, très accueillant, très apprécié par ses collègues de travail et ses employés, il les connaissait par leur nom, il s’intéressait à leur famille, il avait toujours un bon mot à dire », se souvient-il. Cette générosité, Lucie, la fille de Jacques, n’en doutait pas. D’autant plus en ouvrant la boîte aux lettres de son père quelques jours après son décès. « J’ai découvert qu’il parrainait un enfant au Philippines. Il donnait de l’argent tous les mois pour ces études ».
Lucie se rappellera longtemps du Noël 1988 que son père avait passé à l’hôpital. En décembre de cette année, une équipe de radiologues s’envole vers des villages excentrés de l’Alberta. En plein vol, le moteur s’arrête. Quatre personnes sont à l’intérieur dont Jacques Bernier. L’avion s’écrase, aucun mort, mais tous sont gravement blessés. Ils parviennent alors à appeler les secours avec la radio de l’appareil, étrangement restée intacte selon Lucie.
« Les secours arrivent, mais ne peuvent évacuer que deux personnes. Ils ont laissé mon père à l’arrière de l’avion. En plein hiver, dans le froid, il entendait les cris des loups juste à côté ». Malgré les douleurs aux jambes et au dos laissées par cet accident, Jacques prenait plaisir à raconter cette histoire à ses arrières petits enfants.
C’est d’ailleurs à Pigeon Lake où il possédait une maison, des parcelles au bord du lac, deux bateaux et un quad, que Jacques aimait passer du temps avec eux. Une résidence où les séjours familiaux et entre amis étaient fréquents, à tel point que ses proches la surnommèrent « Bernierville ». « C’était un homme très généreux, insiste Hervé Durocher, il n’hésitait jamais à partager ce qu’il avait ».
L’année dernière, le radiologue de 90 ans à la retraite depuis une dizaine d’années assistait encore une fois à une téléconférence internationale de radiologie. « Il souhaitait s’informer, m’avait-il dit. Il était très à l’aise avec la technologie. Après ça, il m’avait dit “ce COVID là, c’est une terrible maladie qui fait beaucoup de dégâts au corps ‘’ », se souvient Lucie.
Jacques Bernier laisse en deuil plusieurs familles, celle qui l’a fondé avec sa femme décédée en 2012, surtout, mais aussi celle du corps médical ainsi que la grande famille des francophones d’Edmonton.
Il avait surv�cu � un accident davion en 1988. � On la presque perdu cette ann�e-l�, mais c�tait trop t�t �, indique Lucie. Cest 33 ans plus tard quelle doit d�finitivement faire ses au revoir � son p�re emport� par la COVID-19 ce 5 janvier. � Edmonton, Jacques Bernier �tait un radiologue francophone renomm�. Engag�, g�n�reux, il laisse derri�re lui sa contribution � la fondation du club Jean Patoine.
� Sil y a un trait qui ma toujours frapp� chez lui, c�tait sa g�n�rosit� desprit. Il �tait tr�s ouvert, recevait tout le monde, un homme de famille tr�s d�vou�, un homme de conviction �, se souvient Herv� Durocher, pr�sident de lACFA de 1975 � 1977, aujourdhui avocat � la retraite. Les deux hommes s�taient rencontr�s sur le comit� ex�cutif de lACFA.
En 1970, les deux hommes avaient particip� ensemble � la cr�ation dune antenne du club Richelieu pour les jeunes francophones dEdmonton. � l�poque, ils �taient une vingtaine, dont le p�re Jean Patoine qui c�dera son nom au club lors de son changement de nom en 2001. Jacques Bernier a occup� � deux reprises la pr�sidence du club. Dabord de 1972 � 73, puis de 1992 � 1999. � Il a �t� l� d�s le d�but, jusqu� la fin, il a toujours �t� membre �, raconte monsieur Durocher.
Le club Jean Patoine f�tait lann�e derni�re ses 50 ans. Sa mission est toujours la m�me : aider la jeunesse par la fraternit�, ou par des fonds. Depuis sa cr�ation, plus dun million de dollars sous forme de bourses ont �t� attribu�s � des �tudiants du Campus Saint-Jean gr�ce au fonds comm�moratif Jean Patoine. � Jacques a �t� le premier signataire de ce fond �, affirme Ken Shields, pr�sident actuel du club, qui regrette cet homme � aim� de tous et qui aimait beaucoup la vie �.
Jacques Bernier a v�cu sa propre jeunesse � Lambton, un petit village au sud de Qu�bec. Il �tudie la m�decine � lUniversit� de Laval�avant de sengager dans larm�e. Il est d�ploy� trois ans en Allemagne o� na�tra H�l�ne en 1959, lune des six enfants de son union avec Claire, une infirmi�re quil avait rencontr�e quelques ann�es plus t�t, la femme de sa vie. Comme pour perp�tuer une tradition familiale, tous leurs enfants ont fait une carri�re dans le domaine m�dical.
De retour au Canada, � Kingston en Ontario, il se sp�cialise en radiologie. � Il voulait �tre chirurgien, mais larm�e avait besoin de radiologues � cette �poque �, se rappelle lune de ses filles, Lucie Bernier-Lycka, qui avait assist� � sa graduation.
Pour effectuer ces derni�res ann�es de service dans larm�e, Jacques est affect� � Edmonton en 1965. Lui et sa grande famille vivent quatre ans sur la base militaire. Une fois civil, il sinstalle � c�t� de la paroisse Saint-Joachim, pour laquelle lui et sa femme ont donn� beaucoup de leur temps. Jacques Bernier passe deux ans au�Cross Cancer Institute�et lance son entreprise de radiologie Mason Bernier and Associates. Aujourdhui, lentreprise sappelle Insight Medical. Ces 220 salari�s g�n�rent un chiffre daffaires annuel de pr�s de 90 millions de dollars canadien.
�ric Pr�ville, pr�sident de la Fondation franco-albertaine et lui aussi radiologue, a travaill� 35 ans � ses c�t�s. � Jacques �tait toujours un type g�n�reux, tr�s accueillant, tr�s appr�ci� par ses coll�gues de travail et ses employ�s, il les connaissait par leur nom, il sint�ressait � leur famille, il avait toujours un bon mot � dire �, se souvient-il. Cette g�n�rosit�, Lucie, la fille de Jacques, nen doutait pas. Dautant plus en ouvrant la bo�te aux lettres de son p�re quelques jours apr�s son d�c�s. � Jai d�couvert quil parrainait un enfant au Philippines. Il donnait de largent tous les mois pour ces �tudes �.
Lucie se rappellera longtemps du No�l 1988 que son p�re avait pass� � lh�pital. En d�cembre de cette ann�e, une �quipe de radiologues senvole vers des villages excentr�s de lAlberta. En plein vol, le moteur sarr�te. Quatre personnes sont � lint�rieur dont Jacques Bernier. Lavion s�crase, aucun mort, mais tous sont gravement bless�s. Ils parviennent alors � appeler les secours avec la radio de lappareil, �trangement rest�e intacte selon Lucie.
� Les secours arrivent, mais ne peuvent �vacuer que deux personnes. Ils ont laiss� mon p�re � larri�re de lavion. En plein hiver, dans le froid, il entendait les cris des loups juste � c�t� �. Malgr� les douleurs aux jambes et au dos laiss�es par cet accident, Jacques prenait plaisir � raconter cette histoire � ses arri�res petits enfants.
Cest dailleurs � Pigeon Lake o� il poss�dait une maison, des parcelles au bord du lac, deux bateaux et un quad, que Jacques aimait passer du temps avec eux. Une r�sidence o� les s�jours familiaux et entre amis �taient fr�quents, � tel point que ses proches la surnomm�rent � Bernierville �. � C�tait un homme tr�s g�n�reux, insiste Herv� Durocher, il nh�sitait jamais � partager ce quil avait �.
Lann�e derni�re, le radiologue de 90 ans � la retraite depuis une dizaine dann�es assistait encore une fois � une t�l�conf�rence internationale de radiologie. � Il souhaitait sinformer, mavait-il dit. Il �tait tr�s � laise avec la technologie. Apr�s �a, il mavait dit ce COVID l�, cest une terrible maladie qui fait beaucoup de d�g�ts au corps �, se souvient Lucie.
Jacques Bernier laisse en deuil plusieurs familles, celle qui la fond� avec sa femme d�c�d�e en 2012, surtout, mais aussi celle du corps m�dical ainsi que la grande famille des francophones dEdmonton.
Une vue magnifique sur la ville, une avocate pétillante, et un chien extraordinaire. Pas si mal comme cadre pour passer un vendredi matin dans une ville à l’arrêt. Sous le confinement, même le tribunal est en télétravail! Kim Arial défend désormais ses clients, accusés de délits passibles de plusieurs années de prison, derrière l’écran de son ordinateur…
En plein cœur du centre-ville, au 11e étage de la Ford Tower, une signalisation indique « Arial Law ». Au bout du couloir, une porte vitrée, fermée. Il est neuf heures, l’heure du rendez-vous. Après quelques secondes d’attente, une petite boule de poils jaillit d’un des bureaux. Il s’avance et aboie, enragé. Sa maîtresse l’entend. Téléphone à l’oreille, elle ouvre l’accès à son monde d’avocate confinée.
Le Yorkshire s’appelle Broadway. « C’est une star ici ! », dit-elle. Bien avant le confinement, Kim avait pris l’habitude d’amener son animal de compagnie sur son lieu de travail. « Quand les clients entrent dans ce bureau, c’est stressant comme réalité. Ils sont accusés de quelque chose de criminel. Broadway les aide à se détendre quelques instants ».
L’avocate francophone native d’Ottawa lui a même appris ce qu’était un meurtre. Comme si elle tenait une arme, elle pointe ses deux doigts vers l’animal et dit « binng ! ». La canaille tombe à terre, avant de se relever, remuant la queue.
Broadway fait partie des êtres affectés par ce confinement. « Mon assistante lui donnait des friandises, mais aujourd’hui elle travaille depuis son domicile », dit-elle, juste avant de taper sa main dans la patte de son compagnon.
Les deux avocats qui partagent habituellement les locaux avec elle ont, eux aussi, décidé de travailler de chez eux. Quant à Kim, elle a fait le choix de continuer à venir sur place. « Mon chum occupe le bureau de l’appartement, mais de toute façon je préfère être autour de mes dossiers », revendique-t-elle.
Ce vendredi 1er mai, son principal dossier est celui d’une personne poursuivie pour un vol qualifié en possession d’une arme. « Mon client vient de se faire arrêter à Yellowknife. Il est détenu ici à Calgary », explique cette diplômée de l’Université d’Ottawa. Ce matin, le juge devait statuer sur sa remise en liberté provisoire, en attendant que l’affaire soit jugée sur le fond.
Maître Arial doit élaborer un dossier appuyé par des garantis. Difficile à constituer quand les le contexte change si brutalement. « C’est super compliqué. Les Territoires du Nord-Ouest ne laissent plus rentrer les non-résidents. Je vais demander un report afin de mieux étudier cela », annonce l’avocate expérimentée de 7 années au barreau.
L’audience se fera par téléconférence. « Aujourd’hui, c’est ma première fois par vidéo », explique-t-elle. À 10 heures, Maître Arial se tient prête, droite sur son siège, face à son écran LG 12 pouces. Elle clique sur son application Webex, opérationnelle uniquement pour la salle 306 du Palais de Justice. À l’image, huit sessions de caméras connectées.
Sur l’une d’entre elles, un agent nettoie le box des accusés avec du désinfectant. Le client de Kim y fait son entrée quelques secondes plus tard. Seul le juge, en haut, au centre de l’écran est physiquement au tribunal. Le rendez-vous débute. Comme dans le réel, les échanges respectent le protocole. La demande de l’avocate est directement acceptée, l’audience est remise à vendredi prochain.
Mi-mars, les tribunaux se sont adaptés aux mesures de confinement. À Calgary, le public, les témoins, les avocats et les procureurs ne peuvent plus se rendre au Palais de Justice. La cadence des procès a diminué. Seuls ceux des personnes détenues ont encore lieu, tous les autres ont été reportés de dix semaines. Ceux nécessitant la présence de témoins ont également été remis à plus tard.
La Justice tourne au ralenti. Selon l’avocate, si la situation se prolonge, « ça va engorger tout le système ». Les risques seraient réels : « Les procureurs abandonneraient certains dossiers. Les délais raisonnables pour juger les affaires seraient dépassés ». Maître Arial affirme que la police retient actuellement les accusations dans l’objectif de ne « pas faire rentrer trop de gens ». Elle cite l’exemple d’un de ses clients s’étant présenté, de lui-même, à un poste de police. « On lui a répondu de rentrer chez lui et de revenir à la mi-mai ».
La COVID-19, « ça change tout, dit l’avocate. Le lundi 16 mars, on nous a dit de ne plus aller au Palais de Justice. Au début, je ne pouvais pas travailler parce que j’étais en train de comprendre ce qu’il se passait. Entre avocats, nous nous sommes organisés pour que, chaque jour, un seul d’entre nous aille déposer les dossiers de tous les autres ».
Depuis, les plaidoiries sont faites par téléphone. Coutumière des journées rythmées du Palais de Justice, Kim éprouve moins de plaisir à défendre ses clients à distance. « On a l’habitude de se regarder dans les yeux. En plus, je suis francophone, alors j’interagis avec mes mains », dit-elle en souriant.