le Dimanche 19 janvier 2025
le Lundi 30 Décembre 2024 13:03 Chronique «esprit critique»

La dénatalité

Tous les experts s’accordent maintenant pour dire que nous sommes effectivement entrés dans «l’ère de la dépopulatio». Photo : Freepik.com
Tous les experts s’accordent maintenant pour dire que nous sommes effectivement entrés dans «l’ère de la dépopulatio». Photo : Freepik.com
Le 20 novembre, c’était la journée de l’enfance. De nombreux experts en ont profité pour alerter de nouveau sur le risque d’une «bombe démographique», soit la baisse de la natalité. Sujet social, familial, écologique, politique, économique… Sujet de préoccupation mondial également puisque près des deux tiers de la planète ne contribuent plus ou que très faiblement au renouvellement des générations.
La dénatalité
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Aux pays engagés dans le modèle de développement de l’anthropocène (inaugurée par le révolution industrielle aux 18e et 19e siècles) et qui présentent des taux très faibles de fécondité (citons l’Europe, le Japon, les États-Unis et le Canada), d’autres pays se sont maintenant greffés à cette tendance, et ce, de façon plus accélérée que les premiers : c’est notamment le cas en Asie avec la Turquie, l’Iran et la Corée du Sud, ainsi qu’en Amérique du Sud, principalement en Colombie et au Brésil. Tous ces pays à très faible fécondité, auxquels on peut ajouter la Russie, totalisent près de 40 % de la population mondiale. 

Si l’on inclut maintenant les pays qui présentent un niveau de fécondité (entre 1,7 et 2,1), soit le sud de l’Amérique latine et les périphéries chinoises, ou encore l’Inde et l’Asie du Sud-Est, ce sont près des deux tiers de la population mondiale — à l’exception de l’Afrique subsaharienne où persistent encore d’importantes zones de natalité (4,5) —, qui participent de cette tendance à la baisse.

Retour aux années 1960

Ce contraste est assez saisissant par comparaison avec l’inquiétude de la fin des années 1960, période où se développe la pensée écologique et où certains présidaient déjà 13 milliards d’individus vers la fin de l’an 2000. Qui ne se souvient pas du fameux livre de l’américain Paul Ehrlich, La bombe P. Sept milliards d’hommes en l’an 2000 (1968) ? Cet ouvrage fit sensation à l’époque, bien que la vision apocalyptique de l’auteur et ses propositions radicales — notamment celle de stériliser les femmes contre leur gré — s’avérèrent avec le temps inexactes et infondées. 

Il n’en demeure pas moins que c’est sur cet ouvrage que s’appuieront les auteurs du premier Rapport du club de Rome (ou Rapport Meadows : Les limites à la croissance…, 1972), ainsi que des écologistes renommés tels que le légendaire Jacques-Yves Cousteau qui, en 1991, déclarait dans Le Courrier de l’UNESCO : «C’est terrible à dire. Il faut que la population mondiale se stabilise et pour cela, il faudrait éliminer 350 000 (humains) par jour». Certes, de 7 milliards en 2012, la planète compte aujourd’hui 8 milliards d’humains — depuis le 15 novembre 2022 pour être exacte. Toujours selon les chiffres des Nations Unies, la population mondiale atteindra 8,5 milliards vers 2030, pour passer par la suite à 9,7 milliards en 2050 et 10,4 autour de 2100.

Une tendance irréversible

Mais, comme le soulignent bon nombre de démographes et de chercheurs, dont deux universitaires canadiens, Darrell Bricker et John Ibbitson (Planète Vide, 2020), ou encore l’économiste Nicholas Eberstadt, ces chiffres indiquent bel et bien que le taux moyen de la population mondiale ralenti considérablement. En clair, tous les experts s’accordent maintenant pour dire que nous sommes effectivement entrés dans «l’ère de la dépopulatio» (cf. les dossiers de Courrier international, Nos 1527, 6-12 février 2020, p. 26 sq, et 1746, 18-24 avril 2024, p. 26 sq).

La corrélation entre le niveau de développement économique et la baisse de la fécondité s’explique de plusieurs façons : 1- par l’expansion du modèle de la famille nucléaire à fécondité faible ou modérée, qui est la résultante des avancées globales en matière de droits des femmes en ce qui concerne l’éducation et le droit à une existence sociale en dehors du foyer ; 2- par le développement et le financement de produits et de services en matière de santé et de reproduction (la contraception et l’interruption volontaire de grossesse par exemple) ; 3- par la scolarisation des jeunes filles, ainsi qu’en raison de l’urbanisation, un facteur important qui limite l’accès au logement pour les familles nombreuses et l’emploi pour les jeunes ; 4- enfin, un autre facteur, celui de la convergence des modes de consommation et l’homogénéisation des comportements dans les médias et dans la publicité.

La pseudo-théorie du «grand remplacement»

Tous ces facteurs ont conduit, notamment en France et aux États-Unis, à parler de «grand remplacement». C’est la thèse qui fut introduite en 2010 par l’écrivain français d’extrême-droite Renaud Camus. Après le narratif du spectre de l’explosion démographique, c’est maintenant le discours de l’effondrement civilisationnel qui s’installe progressivement. En cette période marquée par de forts sentiments d’angoisse civilisationnelle et de perte d’identité, il peut être tentant de céder aux fantasmes et à la démagogie sur un sujet aussi sérieux que celui-ci. Mais les chiffres sont là pour faire la part des choses et rétablir des vérités.

En France, selon l’INSEA, 33% des enfants nés en 2023 étaient issus d’au moins un parent de l’immigration. Au Canada, les enfants issus de l’immigration pourraient représenter entre 39 % et 49 % de la population totale d’enfants en 2036. Or, la baisse de la natalité a beau être compensé pas des politiques immigrationnistes, celle-ci ne suffiront pas sans doute à la freiner. Avis, donc, à tous ceux qui font croire à des théories complotiste et farfelues fondées davantage sur des impressions que sur de vraies données démographiques. 

À eux comme aux hommes et aux leaders politiques en général, la philosophe Elizabeth Badinter (Messieurs, encore un effort…, 2024) tient ce message : «Aujourd’hui, on s’intéresse plus aux remèdes qu’aux causes profondes. Certes, on invoque les incertitudes économiques, la peur du futur ou la naissance plus tardive […], mais on feint d’ignorer l’évolution profonde des mentalités, de nos valeurs et de nos priorités». Pour l’exprimer autrement : si nous ne pouvons passer outre le problème (keynésien) de la demande intérieure, qui se fait sentir en contexte de baisse démographique, ce n’est pas non plus par des injonctions moyenâgeuses (du genre : «faites des enfants») que nous résoudrons le problème de la natalité (lire Courrier internationale, No 1618, 4-9 novembre 2021). 

Notre modèle d’économie de marché et la consommation que celle-ci encourage nécessitent assurément que soient repensées et mises en place des politiques respectueuses de l’environnement et vouées à la sauvegarde des ressources. Ce souci doit être pris en compte afin de mieux répondre aux angoisses de celles et ceux qui considèrent qu’il ne vaut pas la peine d’élever des enfants dans le monde tel qu’il est. Mais nous devons dans le même temps veiller à offrir de meilleures conditions aux femmes et aux parents qui font le choix de féconder et d’élever des enfants (garderies, écoles, logements, salaires, inflation, emplois). C’est une nécessité absolue. 

Glossaire – Féconder : Rendre capable de reproduction (un élément vivant femelle) en (lui) apportant l’élément mâle nécessaire