le Vendredi 13 décembre 2024
le Jeudi 1 février 2024 12:00 Chronique «Pan d'Afrique»

Faire mieux, c’est prendre l’Afrique au sérieux

Le continent africain, avec la plus grande zone de libre-échange au monde, est un marché en pleine croissance qui abritera la population la plus jeune de tous les continents.
Le continent africain, avec la plus grande zone de libre-échange au monde, est un marché en pleine croissance qui abritera la population la plus jeune de tous les continents.
Si le Canada s’est voulu «de retour» sur la scène mondiale, selon la promesse faite par Justin Trudeau en 2015, on peut se demander ce qu’il en est à l’égard de l’Afrique.
Faire mieux, c’est prendre l’Afrique au sérieux
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Titulaire d’un doctorat de sciences politiques de l’Université Paris-Panthéon-Assas (Paris II), Charlie Mballa est professeur adjoint en science politique au Campus Saint-Jean (CSJ) de l’Université de l’Alberta où il enseigne depuis 2017. (Pour en savoir plus sur Charlie Mballa : lefranco.ab.ca.)

Bien que cette dernière ne soit explicitement nommée ni dans la lettre de mandat du ministre du Développement international et ministre responsable de l’Agence de développement économique du Pacifique Canada ni dans celle de la ministre des Affaires étrangères, les priorités diplomatiques du Canada à l’égard du continent africain sont décelables dans des sources aussi variées que la politique d’aide internationale féministe, les déclarations gouvernementales (du premier ministre et des membres de son gouvernement responsables des questions de coopération pour le développement) et les politiques gouvernementales qui transparaissent dans les différentes mesures présentées dans les plateformes et sites gouvernementaux. 

Pour certains, le Canada serait plutôt de «retour… à la maison», pour reprendre Guillaume St-Pierre (Le Journal de Montréal, 30 septembre 2023). Pour d’autres, le Canada n’aurait peut-être pas perdu une élection pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU en 2020 s’il avait eu une meilleure considération pour le continent africain. On n’est pas loin de l’évaluation de la performance globale de la politique étrangère de Justin Trudeau de 2018 à 2022 faite par la Carleton University l’année d’avant. 

Les performances canadiennes en ressortent toutes en baisse, dans la plupart des cas, malgré une légère amélioration en 2021 pour ce qui est de l’environnement et des changements climatiques. Parmi les sept domaines de politique étrangère analysés, la diplomatie est l’enfant pauvre, avec la pire des notes (D-) en 2022, alors que le développement et le commerce, deux domaines reliés aux enjeux africains, ont des résultats tout aussi peu élogieux, la performance canadienne étant plutôt déclinante d’une année à l’autre. 

Pourtant, à en croire un récent bilan des actions à l’égard des pays africains, le Canada essaie d’apprendre de ses erreurs.

Canada-Afriques : relations et enjeux

Représentant plus du quart des membres de l’ONU, l’Afrique comptera, d’ici 2050, 2,53 milliards d’habitants et une personne sur quatre dans le monde vivra en Afrique subsaharienne. Le continent africain, avec la plus grande zone de libre-échange au monde, est un marché en pleine croissance qui abritera la population la plus jeune de tous les continents. 

L’Afrique est un acteur international et représente le centre de gravité des enjeux mondiaux. Sa capacité d’attraction est phénoménale. Elle est courtisée par tout type de puissances et de plus en plus par les pays émergents au moment où ses relations avec l’Europe sont en recul, bien que les États membres de l’Union européenne demeurent encore ses premiers partenaires commerciaux et bailleurs de fonds. Les relations Canada-Afriques, pour leur part, sont restées pendant longtemps très paradoxales.

Caractérisées par une diplomatie sinon d’absence, du moins de retrait, les politiques canadiennes contrastent avec un engouement pour les affaires avec les Afriques. Le Canada semble avoir laissé ses entreprises dicter sa stratégie africaine, si l’on considère que la moitié des entreprises présentes, notamment en Afrique francophone, occupent essentiellement le terrain minier. 

Conséquence : d’une réputation de pays admiré dans le monde pour sa générosité, son pacifisme, sa politique orientée vers les principes d’égalité et de justice, les opérateurs et acteurs miniers canadiens sont loin d’être des ardents défenseurs de cette image condescendante d’un Canada irréprochable, longtemps ancrée dans l’imaginaire des étrangers et des Canadiens eux-mêmes. Au contraire, certains acteurs miniers semblent avoir forgé une autre image, notamment au niveau international, soit celle d’un Canada qui ne voit les Afriques que comme un continent «à fric».

Assistons-nous à l’émergence d’une conscience africaine dans la politique étrangère canadienne?  

L’aide au développement, la démocratie, la paix et la sécurité, ainsi que les liens commerciaux et économiques sont présentés par le gouvernement canadien comme les axes prioritaires de sa politique africaine. 

Ces axes sont greffés sur la politique d’aide internationale féministe. Quelques pays s’inscrivent dans la «géographie prioritaire» de cette politique (que nous désignons «pays du champ» pour les besoins du texte par opposition à «pays hors champ»). S’y retrouve un certain nombre de pays francophones : Bénin, Burkina Faso, Mali, RDC, Sénégal. Quelques pays anglophones en font également partie, Éthiopie, Ghana, Soudan du Sud et Tanzanie, ainsi qu’un pays lusophone (le Mozambique). 

Bien que l’évaluation d’une politique publique doive s’inscrire sur un long cycle, un aperçu des mesures prises au cours des derniers mois aide à mesurer comment le gouvernement canadien s’efforce de renverser la tendance et de relier «les babines et les bottines».

Partant de quelques déclarations des pouvoirs publics, dont celle du premier ministre prononcée en mai dernier à l’occasion de la Journée de l’Afrique. Justin Trudeau affirmait alors sa volonté de soutenir le continent africain, y compris les efforts d’insertion de ce dernier dans la gouvernance mondiale.

Qu’en est-il de la matérialisation de cette volonté, notamment sur le plan de la coopération multilatérale et bilatérale? L’année 2023 a été, en effet, l’année du premier Dialogue sur la politique commerciale (DPC) entre le Canada et la Commission de l’Union africaine. D’où l’intérêt d’une série de consultations entreprises auprès des Canadiens, du 20 mai au 31 juillet 2023, sur une proposition de stratégie de coopération économique avec l’Afrique. 

Au cours de l’année, il a aussi été question pour le gouvernement et ses partenaires de l’Union africaine (UA) de lancer le processus d’élaboration de la Stratégie de coopération économique Canada-Afrique, incluant les différentes façons dont le Canada peut continuer à soutenir la croissance et l’intégration économiques inclusives en Afrique. Dans cette lignée, le ministre du Développement international Harjit S. Sajjan a annoncé la signature d’une lettre d’intention visant à établir un dialogue sur les politiques de développement entre le Canada et la Commission de l’Union africaine.

On se souviendra par ailleurs que c’est en 2023 que la ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise et du Développement économique, Mary Ng, avait annoncé que le Canada appuyait la démarche de l’UA en vue d’obtenir le statut d’observateur auprès de l’OMC. Le Canada s’est également tenu aux côtés des pays africains alors qu’en septembre 2023, Justin Trudeau réitérait l’appui du Canada à l’égard de l’adhésion de l’UA au G20. 

Sur le plan bilatéral, les interventions canadiennes se concentrent sur quatre axes prioritaires : aide au développement, démocratie, paix et sécurité, liens commerciaux et économiques. La vision canadienne de l’aide au développement repose sur le mariage entre promotion de l’égalité des genres, renforcement du pouvoir des femmes et des filles et lutte contre la pauvreté. 

Dans le cadre de sa coopération bilatérale, la dignité humaine, la croissance au service de tous et la gouvernance inclusive, trois composantes de la politique d’aide internationale féministe, sous-tendent le programme de développement bilatéral du Canada dans les pays comme la Tanzanie (pays du champ). Dans la même veine, le Malawi (pays hors champ) et le Mozambique (pays du champ) se sont retrouvés parmi les bénéficiaires d’un projet visant à «renforcer le pouvoir des femmes et des filles du Commonwealth» issues de communautés défavorisées. 

Fruit d’une entente de subvention entre le Commonwealth of Learning (ACE), une organisation intergouvernementale de promotion et du développement de l’enseignement à distance, et le gouvernement canadien, par l’entremise du ministère du Développement international, ce projet prévoit un financement allant jusqu’en 2025. 

Des signes positifs sont également observables en matière de paix et de sécurité. Selon l’information officielle du gouvernement, le Canada compte actuellement 47 militaires, policiers et policières déployés dans l’ensemble du système des Nations Unies, notamment dans le cadre de missions de maintien de la paix dans deux pays du champ, RDC et Soudan du Sud, en ce qui est de l’Afrique. 

Pour faire partie de la solution face aux menaces qui pèsent sur la stabilité du continent, le Canada est resté engagé dans les démarches pour la paix et la sécurité en Afrique. Une délégation canadienne s’est ainsi rendue à Dakar dans le cadre du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique (27 et 28 novembre 2023) à l’occasion duquel un financement de 14,86 millions de dollars avait été annoncé pour des projets visant à renforcer les efforts de paix et de sécurité en Afrique subsaharienne.  

Quant aux deux derniers axes prioritaires (l’aide humanitaire et la démocratie), la première est destinée tant aux pays du champ (RDC, Éthiopie, Soudan du Sud) qu’aux pays hors champ (RCA, Tchad, Kenya, Somalie, Soudan) pour un montant de 216 millions de dollars, dont 165 millions de dollars annoncés par le gouvernement pour 2023.  

En matière de démocratie, le Canada s’est efforcé de rester présent sur le terrain de la gouvernance en Afrique. Conformément à sa politique féministe, une délégation canadienne s’est rendue à la conférence Women Deliver 2023 organisée à Kigali, au Rwanda, pour discuter de l’égalité des genres, du renforcement du pouvoir des femmes, des mariages et des unions d’enfants précoces et forcées, de la santé et des droits sexuels et reproductifs, ainsi que de l’autonomie corporelle des femmes et des filles. Sur ce dossier, il existe un engagement historique sur 10 ans pris par le Canada en 2019, avec l’objectif d’atteindre une moyenne de 1,4 milliard de dollars en financement par année d’ici 2023-2024, afin de soutenir la santé des femmes, des enfants et des adolescents partout dans le monde.  

C’est dire que le retour du Canada sur la scène internationale, pour être pris au sérieux, devra intégrer le continent africain dans son itinéraire sous peine de faire fausse route. 

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