Ce concept, de plus en plus présent dans la rhétorique politique et universitaire, est perçu comme un vecteur potentiel de transformation de l’ordre mondial. L’expansion des BRICS, passant de cinq à onze membres (incluant trois pays africains) lors du sommet de Johannesburg en août 2023, suscite fascination et questionnements sur ses impacts pour les dynamiques Sud-Sud, en particulier en Afrique.
Elle offre une occasion d’explorer les enjeux géopolitiques et régionaux, ainsi que les défis et opportunités pour les pays africains. Analyser l’ampleur de cette expansion revient à examiner son potentiel de redéfinition des équilibres mondiaux et les perspectives de coopération bénéfique, dans un contexte où l’Afrique cherche à diversifier ses partenariats internationaux.
Des BRICS aux BRICS+ : par-delà la quantophrénie
En 2006, les ministres de quatre pays se rencontrent pour préparer la formation du groupe BRIC, basé sur une idée de Jim O’Neill, ancien économiste en chef chez Goldman Sachs. Il souhaitait un rôle accru pour le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine dans l’économie mondiale. À ce moment, l’Afrique du Sud n’était pas incluse, mais elle rejoint le groupe en 2010, formant ainsi les BRICS.
Quatorze ans plus tard, le bilan de l’Afrique du Sud au sein des BRICS est mitigé. Les observateurs indulgents notent que son pouvoir de négociation a augmenté. Le pays est devenu un acteur diplomatique clé sur des sujets mondiaux, participant à des discussions habituellement réservées aux clubs oligarchiques. En matière d’intégration régionale, l’Afrique du Sud est leader, classée première en intégration des infrastructures sur le continent grâce à ses excellentes connexions aériennes, selon l’Indice de l’intégration régionale en Afrique (IIRA).
Cependant, les analystes intransigeants estiment que l’Afrique du Sud, malgré son appartenance aux BRICS, reste une petite économie. Entre 2010 et 2019, ses performances ont décliné, se situant en dessous de la moyenne de l’OCDE dans plusieurs indicateurs. La Banque mondiale la classe comme le pays le plus inégalitaire au monde, se plaçant au premier rang parmi 164 pays en termes d’inégalités.
L’arrivée de six nouveaux membres (Argentine, Arabie Saoudite, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie, Iran) pourrait-elle résoudre les défis stratégiques et structurels de l’Afrique au sein des BRICS? Cela reste incertain, mais cet élargissement pourrait offrir de nouvelles opportunités et poser aussi de nouveaux défis.
L’élargissement des BRICS: impacts immédiats et différés
Le partenariat entre les BRICS et l’Afrique a-t-il produit une «croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif» espérés par les organisateurs du sommet de 2023? Il nous suffit d’envisager deux types de scénario en guise de réponse, vu le caractère récent de l’élargissement.
Le scénario optimiste
Le sommet de 2023 a offert à l’Afrique une opportunité de renforcer son leadership sur des enjeux globaux. Au sein des BRICS même, l’Égypte et l’Éthiopie pourraient, avec l’Afrique du Sud, obtenir un droit de veto, bien que les mécanismes de décision des BRICS élargis restent encore nébuleux. Ce droit garantirait une égalité politique, absente des institutions financières traditionnelles (FMI, Banque mondiale), augmentant leur poids politique et leur capacité à défendre les intérêts africains. On peut aussi anticiper un rééquilibrage des relations avec les puissances traditionnelles (États-Unis, Union européenne), avec l’Afrique jouant un rôle de médiatrice entre les BRICS et d’autres blocs économiques.
Sur le plan bilatéral, les trois pays africains pourraient renforcer leur collaboration avec les géants des BRICS, notamment en matière d’investissements, de partenariats commerciaux, et de transferts de technologies et savoirs, avec la Chine et l’Inde comme leaders technologiques. Les possibilités de partenariats (économiques, commerciaux) pourront favoriser l’ouverture de nouveaux marchés et des investissements étrangers. La Chine, déjà très présente en Afrique (ayant construit le siège de l’Union africaine en Éthiopie) a investi massivement dans des projets d’infrastructure via son initiative de la nouvelle route de la soie.
Si ce scénario peut se résumer en une approche basée sur la solidarité et l’entraide entre pays en développement, avec pour bénéfices des initiatives de partage des meilleures pratiques en matière de développement durable, de santé publique et d’éducation, il reste que l’élargissement des BRICS a son côté cour, mais aussi son côté jardin…
Le scénario pessimiste
Ce scénario souligne les angles morts de l’élargissement. Économiquement, les bons résultats pourraient être attribués aux nouveaux membres et les résultats excellents à l’élargissement. L’exemple de l’Afrique du Sud, parfois accusée de réduire les performances des BRICS, montre la difficulté d’intégrer des économies très diverses. D’un autre point de vue, l’élargissement accentue l’hétérogénéité des valeurs au sein du groupe, mêlant des pays démocratiques (Brésil, Inde, Afrique du Sud) à des régimes autoritaires (Chine, Russie). Certains nouveaux membres, critiqués pour leur réticence à adopter les valeurs démocratiques occidentales, renforcent le pessimisme. Les divisions internes, notamment sur la réforme du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), menacent l’lunité apparente du groupe puisque certains, comme la Chine et la Russie, y voient davantage l’augmentation des membres permanents et donc la perte de leur droit de veto.
Sur les autres grands enjeux planétaires, l’élargissement sinon du front antioccidental du moins du bloc des abstentionnistes au sein des instances onusiennes est prévisible. Comme l’avait démontré l’Afrique du Sud auparavant dans la guerre russo-ukrainienne, à l’égard de laquelle le pays adopte une position de neutralité, les dirigeants des trois pays africains des BRICS élargis pourraient se contenter de prendre position pour la paix et non pour un camp.
Le continent africain arrivera-t-il à déshabiller Pierre sans habiller Paul?
Certains craignent que l’élargissement des BRICS ne signe l’acte de naissance d’un nouveau néocolonialisme, cette fois asiatique. La domination de la Chine et l’influence de l’Inde au sein des BRICS+ pourraient accélérer cette mutation.
La concurrence entre les membres pour l’accès aux ressources naturelles africaines pourrait exacerber les conflits locaux et régionaux, comme observé dans des pays riches en ressources où les intérêts étrangers divergent. De plus, les accords de coopération et les investissements des BRICS+ risquent d’accroître la dépendance économique et politique des pays africains envers ces puissances émergentes.
Étant donné leur pouvoir de négociation limité, les pays africains devront renforcer leur capacité à prendre des décisions indépendantes et à défendre les intérêts de leur population, notamment en matière de politique économique et de développement. La (re)négociation des conditions des prêts et investissements est un exemple où les puissances dominantes imposent certaines politiques économiques et sociales, réduisant ainsi la marge de manœuvre des gouvernements africains. La pertinence et les perspectives de l’Afrique dans le Sud global pourraient ainsi s’y jouer!
Glossaire – Intransigeant : Qui se refuse à toute concession sur le plan des principes