Charlie Mballa a décidé de nous partager un texte qui, même s’il ne conte pas l’Afrique, prend en considération les différentes communautés ethnoculturelles et francophones de l’Alberta.
Bien que la reconnaissance juridique des droits soit un premier pas essentiel, le hiatus entre cette reconnaissance formelle et l’exercice actif et efficace de ces droits reste significatif. À l’approche des élections fédérales pressenties et vu ce qui a des allures d’une saison électorale dans les provinces canadiennes (2024-2025), une réflexion s’impose sur l’importance de l’engagement citoyen, lequel n’est pas simplement une nécessité démocratique, mais un impératif de survie pour les communautés culturelles, surtout francophones, dans l’Ouest canadien.
Entre le droit et la pratique
Les cadres juridiques, à l’instar de la Loi sur les langues officielles, offrent un socle de droits pour les minorités linguistiques, garantissant, en principe, des mesures positives pour les communautés francophones : droit à l’instruction dans la langue de la minorité francophone, droit d’interagir avec le gouvernement dans cette langue, droit à un soutien au développement communautaire, etc.
Cependant, l’existence de ces droits sur le papier ne garantit pas nécessairement leur exercice dans la pratique. Les politiques linguistiques, particulièrement lorsqu’elles relèvent de la bonne volonté du gouvernement en place, nécessitent un engagement communautaire accru pour transformer ces droits en pouvoir d’influence. Des indicateurs, tels que la participation aux décisions, la représentativité des résultats des discussions politiques et la capacité d’agir sur le suivi de la mise en œuvre des décisions, deviennent cruciaux pour évaluer l’effectivité de cet exercice.
Deux initiatives encourageantes, à titre illustratif. La première concerne la réforme sur les langues officielles, entre autres les rôles reconnus aux communautés culturelles : la consultation, la sensibilisation et l’éducation, soit des marqueurs de volonté politique visant à inclure les minorités linguistiques dans le processus de prise de décision. La deuxième touche au Conseil de la première ministre sur le multiculturalisme. Annoncé le 14 avril 2023 par la première ministre Danielle Smith, ce conseil, composé d’une trentaine de membres issus de divers horizons culturels, a pour mission de conseiller le gouvernement sur les meilleures pratiques pour soutenir et inspirer les communautés multiculturelles, tout en favorisant des échanges éducatifs et culturels.
Bien que ces deux exemples témoignent des progrès réels en termes de gouvernance inclusive, les acteurs impliqués dans les processus décisionnels y afférents doivent s’imposer un devoir de vigilance pour ne pas tomber dans le piège de la représentation symbolique, voire cosmétique.
En effet, le simple fait d’être invité à la table des négociations ne garantit pas une véritable influence. Souvent, les organisations culturelles se retrouvent dans des rôles consultatifs qui, malgré leur importance, n’aboutissent pas nécessairement à des décisions ayant un impact significatif sur leurs intérêts.
Parfois, dans les discussions engagées, il n’est pas rare que les gouvernements se contentent d’orienter les échanges vers des sujets d’intérêt limité et sans grand enjeu politique, au grand dam des priorités des communautés. D’où l’importance pour les représentant.e.s des communautés de se positionner en titulaires d’une expertise incontournable pour les élu.e.s et les responsables des politiques publiques et d’imposer leur légitimité dans les dossiers qui les concernent directement, même en dehors des cadres institutionnels formels.
En ce sens, la solidarité entre communautés culturelles peut s’avérer être un levier de poids. En Alberta, des événements comme le Mois de la francophonie permettent non seulement de célébrer la culture francophone, mais aussi de rassembler les membres de la communauté autour de leurs droits et de leurs intérêts communs.
Des réseaux et des alliances, tant au niveau national qu’international, permettent aux organisations francophones de se doter d’une voix plus forte et plus audacieuse dans les arènes politiques. En se fédérant autour d’intérêts communs, ces communautés peuvent non seulement renforcer leur visibilité, mais aussi garantir leur capacité d’influence. Par des alliances stratégiques, elles peuvent créer une force collective capable de pousser pour des changements politiques en s’appuyant sur un soutien élargi et d’une compréhension mutuelle des enjeux pertinents.
De l’engagement social à l’engagement politique
Pour que les droits soient pleinement exercés, il est essentiel que les communautés francophones adoptent une approche proactive de l’engagement politique. Ce faisant, la participation accrue aux processus électoraux est inéluctable, avec davantage de candidat.e.s francophones s’engageant en politique pour représenter les intérêts de leur communauté.
La formation de futurs leaders francophones, en particulier parmi les jeunes, est également cruciale pour assurer une relève capable de défendre ces droits avec détermination. L’éducation civique est un outil clé dans ce processus. En formant les jeunes aux enjeux politiques, aux droits linguistiques et aux méthodes de défense de leurs droits, les communautés francophones peuvent s’assurer que les générations futures auront les compétences nécessaires pour revendiquer leur place dans la société canadienne.
L’instauration de conseils de quartier, expérimentés au Québec depuis plusieurs années déjà, ou la création de comités communautaires pourraient également offrir des espaces de dialogue où les citoyen.ne.s peuvent échanger sur leurs besoins et leurs priorités. Ces plateformes pourraient autant favoriser une meilleure compréhension des enjeux que permettre aux membres des communautés de définir collectivement leurs valeurs et leurs attentes en faisant de leurs élu.e.s locaux ou provinciaux leurs porte-flambeaux.
À travers de tels forums de discussion, les francophones de l’Ouest canadien pourraient renforcer leur pouvoir d’influence en structurant leurs demandes autour d’objectifs communs, facilitant ainsi la création de réseaux d’entraide et de représentation.
Le nerf de la guerre…
L’accès à des ressources suffisantes est essentiel pour que les communautés culturelles en situation minoritaires puissent réellement exercer leurs droits. La présence de financements stables et de ressources humaines qualifiées est indispensable pour maintenir et développer les initiatives communautaires. Une collaboration étroite avec les gouvernements provinciaux et fédéral est indispensable pour garantir des investissements continus dans les programmes et les infrastructures qui permettent aux communautés de s’épanouir dans leur langue et leur culture.
Qu’elles soient éducatives, culturelles ou sociales, les communautés doivent bénéficier d’un soutien adéquat leur permettant d’offrir des services de qualité à leurs membres. Revendiquer un accès équitable au financement public dans un contexte d’allocations asymétriques des ressources fait partie des dossiers clés.
C’est dire qu’après la revendication des droits, le temps est venu pour les communautés culturelles de passer à l’étape de l’identification de leurs leviers politiques. Cette transition est la condition pour transformer les droits reconnus en actions concrètes et en une influence durable dans la société. Leur voix dans les politiques qui les concernent en dépend!