Les fêtes de fin d’année sont l’occasion d’échanger en famille les histoires du passé. Gilbert Lachat en a une passionnante ! Ce Franco-Albertain résidant dans le sud de Bonnie Doon, à Edmonton, a participé par ses talents de forgeur à la découverte de l’une des plus grandes avancées de la physique moderne.
Monsieur Lachat est un homme pointilleux. Lorsqu’il narre des histoires, il s’attache à ne pas oublier certains détails. Pourtant, en l’écoutant, le temps semble s’arrêter. Pas étonnant d’apprendre que ce natif suisse a commencé sa carrière comme mécanicien de précision dans le domaine de l’horlogerie.
«Un projet spécial, international», se remémore Gilbert Lachat. Lorsqu’il entend ces mots en 1995, l’homme est désormais chef de l’atelier de physique de l’Université de l’Alberta, un lieu où l’on fabrique les instruments nécessaires à la recherche.
Le plus puissant accélérateur de particules
De l’autre côté de l’Atlantique, le projet de l’organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) se concrétise : fabriquer le Grand collisionneur de hadrons (aussi appelé LHC). En d’autres termes : construire le plus grand et le plus puissant accélérateur de particules au monde. Un anneau de 27 kilomètres de circonférence, formé de milliers d’aimants supraconducteurs, aujourd’hui enterré à cheval sur la frontière franco-suisse.
La fabrication des pièces nécessaires à sa construction est dispersée à travers le monde. La production de plaques de cuivre bien spécifiques est attribuée au Canada et à l’Allemagne. Chacun devra produire 812 plaques, l’équivalent de 150 tonnes de cuivre.
«Le directeur du projet pour le Canada se trouvait à Vancouver, beaucoup de gens travaillaient sur ce projet à Ottawa et Toronto, mais les plaques de cuivre nécessaires devaient être fabriquées à Edmonton», dit Gilbert.
Dur labeur
En 1996, 25 plaques de cuivre arrivent dans les locaux de l’Université de l’Alberta, afin de réaliser des prototypes. Gilbert et son équipe constatent très vite la difficulté de les travailler comme souhaité par le CERN. Ils en déduisent qu’une aléseuse horizontale de 28 tonnes est nécessaire. Elle sera commandée en 1997 à l’entreprise japonaise Toshiba pour une somme avoisinant les 700 000 dollars.
La production ne fut pas simple. «Nous avions toutes sortes de problèmes», se souvient-il. Les plaques de cuivre arrivées des États-Unis sont courbées. De quoi rendre la tâche de l’équipe impossible. «La tolérance pour chaque plaque était de 5 centièmes de millimètre», précise Gilbert. Le problème est résolu, puis en vient un autre. «Le cuivre pur est l’un des matériaux les plus difficiles à manier, le matériel de découpe s’use très rapidement». L’achat et l’utilisation d’une plaquette en diamant sauveront la mise de l’atelier.
En 2001, après 6 ans de dur labeur, la production touche à son terme. Les plaques sont fixement entreposées dans des caisses en bois, «bien protégées l’une de l’autre, car d’une valeur inestimable». Transportées en camion à Vancouver, elles sont lavées dans des bains, assemblées en module, entreposées dans des caisses en acier pour éviter l’oxydation, et partent en bateau jusqu’en Europe.
À lire aussi : La passion des institutions scolaires d’Abigail Lawrence
Le rayon X, la particule de Dieu…
Le Grand collisionneur de hadrons (LHC) est mis en service à l’été 2008. Considéré comme le plus grand dispositif expérimental jamais construit pour valider des théories physiques, il représente un coût total de 8,2 milliards de dollars canadiens. Les plaques de cuivre de Gilbert servent à absorber les particules projetées à grande vitesse après la collision. Les capteurs du LHC permettent de récupérer des milliards de données. «Certains chercheurs doivent certainement encore aujourd’hui travailler sur la première expérience», s’amuse Gilbert.
Depuis sa mise en circulation, le LHC a permis de grandes avancées scientifiques. L’existence du fameux «Rayon X» a été confirmée, tout comme celle du boson de Higgs, «la particule de Dieu». Cette dernière découverte a permis en 2013 au Britannique Peter Higgs d’obtenir le prix Nobel de physique. Elle serait, pour simplifier, à l’origine du fait que la matière soit porteuse d’une masse ou non. Cela ouvre ainsi la voie à de nouvelles expérimentations notamment autour de la matière noire.
Gilbert est conscient d’avoir ajouté une pierre à l’édifice de ces grandes découvertes. Il jouit, ainsi, d’une belle histoire à raconter. Aujourd’hui à la retraite, il n’arrête pas pour autant d’exercer ses talents manuels. Dans l’atelier de son garage à Edmonton, aidé de sa fraiseuse, et s’intéressant désormais au travail du bois, il n’hésite pas à rendre service à son entourage parfois à la demande d’objets de toutes sortes.
Cet article fut publié dans l’édition du 17 décembre 2020 en page 15.