Nous voilà avec une crise d’inflation et d’instabilité politique. Le moment idéal pour repenser la globalisation qui s’accélère, fragilise les États et bouscule les hiérarchies.
À cet effet, il faut comprendre comment s’est construite la mondialisation de l’économie — mue par le profit et l’exploitation du travail — et non la mondialisation humaniste qui, depuis Kant et Condorcet, est inévitable et doit être considérée comme un progrès historique.
1945…
L’après-guerre marque les «Trente Glorieuses». Cette période de croissance, de plein emploi et de pouvoir d’achat prendra fin en 1971. Les États-Unis accusent alors un déficit commercial et la banque centrale abuse de la création monétaire, provoquant une inflation et une dévaluation de la monnaie nationale. L’inquiétude gagne alors les États et provoque une fuite devant le dollar.
Face à cette situation, le président R. Nixon annonce la fin de la convertibilité du dollar en or, l’imposition d’une taxe sur les importations et le blocage des prix et des salaires. Il demande également à ses partenaires de revaloriser leur monnaie en contrepartie de concessions commerciales. Mais les pays laissent leur devise flotter pour ralentir le dollar. Les accords de Bretton Woods signés en 1944 pour établir un ordre monétaire grâce au FMI et relancer l’économie avec la BIRD sont fissurés et verront le choc pétrolier de 1973 y mettre fin en 1976 (les accords de la Jamaïque).
Fin de l’abondance…
À partir de cette date, l’architecture mondiale va radicalement changer. La fin des accords de Bretton Woods annule les parités fixes et la valeur des monnaies flotte en fonction du marché. L’instabilité monétaire sonne le glas du plein emploi. Une forte dévaluation du dollar de plus de 7% s’ajoute également à l’incertitude économique.
Jusqu’en 1973, le keynésianisme posait que l’État joue un rôle dans la relance budgétaire pour contrer l’inflation et le chômage. Celui-ci est dû à un manque de demande qui nécessite une baisse des impôts, des taxes, des taux d’intérêt, une augmentation des dépenses, ainsi qu’une baisse des taux de change des monnaies. Or, pour lutter contre l’inflation, il faut réduire la demande en augmentant les impôts et les taux d’intérêt, en diminuant les dépenses et en augmentant les taux de change. Visiblement, Keynes n’avait pas prévu un modèle économique dans lequel ces deux problématiques, chômage et inflation, subsisteraient.
Pour la première fois, l’inflation n’est pas due à une demande excessive, mais à l’augmentation des coûts liés aux chocs pétroliers. Les politiques économiques s’orientent alors vers une baisse des dépenses publiques et des privatisations. Pour combattre l’inflation, il faut limiter les coûts du travail, améliorer la productivité et l’innovation, augmenter la compétitivité. Ces mesures conduisent au retrait des États et à l’autorégulation du marché. Les deux premiers pays à s’engager dans cette voie sont les États-Unis sous Ronald Reagan, qui déclara que «l’État n’est pas la solution, c’est le problème», et le Royaume-Uni avec Margaret Thatcher. La lutte contre l’inflation devint ainsi la priorité. En 1980, l’inflation était de 10% au Canada.
Les pouvoirs des instances de régulation
En complément des États, de nouvelles institutions ont été ajoutées à l’organigramme mondial pour réguler l’économie. Songeons au FMI chargé de soutenir les États, avec pour contreparties le contrôle du déficit, la baisse des dépenses et la concurrence. La crise financière de 2008 a montré que le FMI peut avoir un effet sur la gestion d’un pays, la Grèce par exemple. Les efforts demandés furent difficiles, mais la Grèce fut sauvée de la faillite. L’OMC joue également un rôle dans le commerce mondial, mais l’institution décline au profit d’accords de libre-échange. Des acteurs privés et non gouvernementaux exercent aussi une influence sur la gouvernance économique. Voyant la mondialisation comme un vaste marché, certains sont favorables à une dérégulation, d’autres veulent corriger les effets délétères de la mondialisation et du capitalisme.
Trente ans après la Fin de l’histoire et le dernier homme (1992), le théoricien politique américain, Francis Fukuyama, constate que si l’accélération de la mondialisation suite à la chute du mur de Berlin en 1989 et à l’effondrement de l’URSS en 1991 signe la victoire du libéralisme, en revanche le cosmopolitisme imaginé par Kant au 18e siècle reste inachevé. Les politiques ultralibérales des années 1980, marquées par le retrait des États, ont entraîné une croissance grâce à l’ouverture des marchés. La transformation économique mondiale s’accélère en 2001 avec l’entrée de la Chine dans l’OMC. Des pays en développement (Inde, Brésil, Afrique du Sud) deviennent des puissances économiques.
L’instabilité économique découlant de ces politiques a cependant engendré par la suite des crises profondes : krach boursier en 1987, crise mexicaine en 1994, crise asiatique en 1997 qui s’étend en Russie et en Amérique latine, bulle Internet en 2000, crise des subprimes en 2008. À chaque fois le FMI est intervenu pour secourir des États endettés.
Mais ces politiques d’ajustement structurel ont affaibli certains pays et creusé les inégalités. Les pays plus puissants gardent une logique interventionniste via le G7 ou le G20 qui représente plus de 90% du PIB mondial. Cette gouvernance a permis une vision plus globale avec des problématiques différenciées. Alors qu’à l’origine seule l’économie était abordée, des sujets comme l’environnement et le réchauffement climatique sont maintenant traités par le G20.
Là où naissent les inégalités
Toutefois, l’élargissement à 20 membres ne facilite pas une convergence des politiques sur le réchauffement climatique, un sujet que les États-Unis et la Chine, les deux gros pollueurs de la planète, ne souhaitent pas aborder. La croissance doit être défendue quelles qu’en soient les conséquences. Afin d’éviter une crise comme celle de 2008, le G20 a proposé un contrôle accru des acteurs financiers et a lancé une politique anti-paradis fiscaux. Les États-Unis et le Royaume-Uni qui se sentaient pénalisés s’y sont toutefois opposés.
Une gouvernance mondiale comme le G20, gérée par les plus puissants, avec des divergences aussi importantes, reste utopique. Pour être efficiente, elle devrait intégrer d’autres acteurs comme les ONG et des associations au rayonnement mondial afin de modifier le prisme des visions économiques actuelles.
Notre modèle économique global, basé sur la compétitivité et la concurrence acharnée entre États, ne peut qu’empêcher des valeurs saines pour la mondialisation comme la diminution des inégalités et de la pauvreté, le respect du droit et la promotion de la démocratie. Mais comment pourrait-il en être autrement sachant que les États sont à la fois juge et partie, avec des intérêts divergents?
La période d’inflation et d’instabilité que nous connaissons peut-elle créer un électrochoc pour une mondialisation incluant tous les acteurs légitimes et pas seulement économiques?