LES CHOIX D’ÉTIENNE HACHÉ, CHRONIQUEUR DEPUIS TOUJOURS DANS LE JOURNAL
John Dewey (1859-1952), le grand pédagogue américain, aimait dire que l’école est le lieu par excellence d’expression de la vie. Mais ce n’est pas toujours rose pour autant. Lorsque des élèves ne réussissent pas toujours, que d’autres ne s’entendent pas avec leurs enseignant.e.s, que certains enfants sont bons partout, sauf dans une matière en particulier ou encore que certains adolescents rencontrent des difficultés d’intégration et d’adaptation à un groupe ou dans un espace social, le premier pas à franchir comme société et comme pédagogue, c’est d’admettre que l’école n’est pas le paradis sur terre. La vie de classe peut facilement devenir invivable, ingérable et forcément épuisante. D’où, sans doute, les difficultés chroniques de recrutement d’enseignant.e.s. Pour cette édition Florilège 2024, mon choix s’est d’abord porté sur cette contribution de la journaliste du Franco Gabrielle Audet-Michaud (Des régions encore en manque d’enseignants, un article paru dans l’édition du 5 octobre 2023) qui fait justement état de ces difficultés de recrutement, ainsi que du décrochage des jeunes enseignant.e.s, notamment dans certaines régions éloignées de l’Alberta. Du reste, cette triste réalité ne doit pas faire oublier toutefois que la majorité des enseignant.e.s aiment leur métier. Non seulement les enseignant.e.s aiment ce qu’ils font, mais ils cherchent constamment des solutions afin que la relation pédagogique puisse se dérouler dans le respect de l’apprenant.e, et ce, avec écoute et dans un dialogue franc et sincère. C’est du moins le message qui ressort du document en image (La vérité et la réconciliation chez les jeunes, article paru le 19 octobre 2023 et proposé en galeries photos ci-dessous) produit par les conseils scolaires FrancoSud et Centre-Nord. Du reste, la nécessité de concilier ces deux perspectives, l’exigence devenue immensément sacrificielle du métier de pédagogue et l’idée de création et d’inventivité qu’offre l’école, un défi permanent demeure. Un défi qui nécessite assurément davantage de ressources et d’enseignant.e.s.
IJL-RÉSEAU.PRESS-LE FRANCO
De manière générale, la directrice générale adjointe des ressources humaines pour le Conseil scolaire FrancoSud, Lyne Bacon, se dit assez satisfaite du recrutement effectué dans leurs écoles. «Habituellement, on a beaucoup de [candidatures] pour les postes d’enseignants», affirme-t-elle. Pourtant, elle admet constater une différence notable dans la capacité à pourvoir les postes situés à l’extérieur de la métropole calgarienne.
À la mi-septembre, quatre postes étaient encore vacants au sein du FrancoSud, dont deux postes d’enseignants à Brooks et Medicine Hat. Cette situation met en lumière une réalité préoccupante qui persiste dans la province. Les plus petites communautés rencontrent davantage de difficultés à recruter et à retenir des enseignants francophones qualifiés. La situation est de même en ce qui a trait aux postes spécialisés comme les orthophonistes et les psychologues.
«On pourrait généraliser et dire qu’il y a un plus grand attrait pour la ville de Calgary et les alentours, mais ce sont aussi certains types de poste qui sont plus difficiles à pourvoir. Les postes d’enseignants spécialisés dans les sciences de haut niveau, les postes d’enseignants de musique, […] les postes de spécialistes, ce ne sont pas les plus faciles à combler même en ville, alors encore moins en région», nuance Lyne Bacon.
Une situation quelque peu similaire se dessine au Conseil scolaire Centre-Nord (CSCN), qui couvre la grande région d’Edmonton. En effet, le recrutement de personnel enseignant demeure stable, mais «[…] nous éprouvons plus de défis quant aux postes spécialisés comme les orthophonistes et psychologues. Par contre, ce défi n’est pas unique au CSCN ou au domaine de l’éducation», signale le CSCN par courriel.
Du côté du Conseil scolaire du Nord-Ouest (CSNO), qui chapeaute les écoles de Falher, de Grande Prairie et de Peace River, la situation continue également d’être «difficile» en termes de recrutement. Ces communautés font face à la même problématique : leur éloignement par rapport au centre urbain le plus proche, en l’occurrence la ville d’Edmonton, complexifie le recrutement. «Il reste toujours un poste d’enseignement vacant et nous avons très peu de candidatures locales, provinciales ou même nationales […], ce qui nous oblige à recruter à l’international», affirme Rachelle Bergeron, qui coordonne les communications et le marketing pour le CSNO.
Cette situation est répandue dans plusieurs autres régions de la province, confie pour sa part le président de l’Association des enseignants et des enseignantes francophones de l’Alberta (AEEFA), Stéfane Kreiner. «D’après les discussions que j’ai eues, ça ne semble pas être une situation unique. En général, au niveau provincial, c’est très difficile de recruter en région», mentionne-t-il.
Depuis son lancement au début de l’année 2023, le portail Enseigner en Alberta, qui cherche à faciliter le recrutement dans les écoles francophones, porte ses fruits. Selon Lyne Bacon, plusieurs enseignants qui viennent de l’extérieur de l’Alberta, et même de l’international, démontrent de l’intérêt pour l’enseignement dans la province. «En date du 11 septembre, on avait [comptabilisé] 15 000 visiteurs sur le site web. 421 candidatures ont été soumises à travers la plateforme depuis son lancement», affirme-t-elle.
L’effet domino
Encore plus préoccupant, certaines écoles se retrouvent sans aucun enseignant suppléant, ce qui exerce une pression additionnelle sur le système. «Ça veut dire que lorsqu’il y a des enseignants qui sont malades, on n’a personne de certifié qui peut venir les remplacer. On ne parle pas seulement de deux régions dans la province qui sont touchées, c’est quatre ou cinq écoles qui ont zéro suppléant», illustre Stéfane.
Selon lui, ce contexte contraint certains établissements scolaires à faire appel à des parents pour venir remplacer les enseignants qui sont malades ou qui doivent s’absenter. Des solutions à l’interne sont aussi envisagées au quotidien, mais posent leurs propres défis. «On prend des enseignants en pause, on combine des classes, etc. Ça fonctionne à court terme, mais la réalité, c’est qu’on a besoin d’enseignants certifiés dans ces régions-là pour le bien de tous», décrit le président de l’AEEFA.
Surtout que lorsque les enseignants à temps plein doivent eux-mêmes gérer les remplacements, ils manquent de temps pour préparer leurs leçons et élaborer le plan de leur journée. C’est la qualité de l’enseignement elle-même qui se retrouve donc à être ébranlée. «Quand on nous ajoute des choses au fur et à mesure que l’année progresse, quand on doit faire des remplacements plutôt que se concentrer sur notre planification, ça affecte notre travail. Les élèves en sont affectés aussi. C’est un effet domino», soutient le Stéfane Kreiner.
Poussés à bout, de nombreux professionnels de l’éducation choisissent de quitter la profession, ce qui aggrave encore davantage la pénurie d’enseignants, ajoute le président. «Comme syndicat, on sait qu’environ 50% des jeunes enseignants quittent la profession au cours de leurs cinq premières années de carrière. Et quand on discute avec les personnes qui quittent la profession, les conditions en salle de classe sont l’une des raisons les plus citées.»
Glossaire – Ébranlé : rendu moins solide, fragile