La sècheresse qui frappe l’Ouest canadien a des impacts importants sur les cultures et les élevages. Que ce soit en Saskatchewan, en Alberta ou au Manitoba, agriculteurs et éleveurs font face à de multiples défis et doivent s’adapter.
Marine Ernoult – Francopresse
Des fruits rabougris, des feuilles desséchées, les 6 000 arbres fruitiers de Dean et Sylvia Kreutzer souffrent de la sècheresse et de la chaleur extrême qui frappent l’Ouest canadien cet été.
Le verger biologique du couple, situé dans une vallée de la Saskatchewan, au nord de Regina, manque cruellement d’eau. Les abricotiers, pommiers et cerisiers plantés il y a plus de vingt ans ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. «On ne va probablement ramasser que 10 % de notre récolte habituelle, on a dû abandonner certains de nos arbres, lâche Dean Kreutzer amer. La seule raison pour laquelle certains fruits ont poussé, c’est qu’on a eu deux orages, sans cela tout serait mort.»
Entre le 18 juin et le 18 juillet, le centre de la Saskatchewan, tout comme le sud de la Colombie-Britannique, a connu 16 jours consécutifs sans précipitations. Selon David Sauchyn, directeur du Collectif des Prairies pour les recherches en adaptation (PARC), une large zone des Prairies touchée par la sècheresse a reçu moins de la moitié des précipitations normalement attendues.
«Cela provoque un manque d’humidité problématique dans le sol, explique le scientifique. Les orages estivaux sont si courts que la majorité l’eau s’écoule et s’évapore dans les jours suivants.»
Pertes de rendements de 50 %
Dans le sud-ouest de la Saskatchewan, les 400 acres de légumes, céréales et pois cultivés de façon biologique par Solange Campagne sont également brulés par la chaleur. En date du 18 juillet, cette partie de la province a connu plus de deux semaines consécutives de températures supérieures à 25 degrés Celsius.
La propriétaire d’une ferme à Willow Bunch, en Saskatchewan, s’attend à «beaucoup de pertes». Aux records de chaleur ne s’ajoutent, là aussi, que de faibles précipitations. D’après l’agricultrice, moins de 25 millimètres de pluie sont tombés depuis mai, un niveau largement insuffisant pour amener les plantes à maturation. «Nous n’avons pas de réserve pour faire face à cette sècheresse, car il n’a pas assez plu l’automne passé, on a besoin de pluie douce pour recharger les sols», témoigne-t-elle.
Les producteurs de grandes cultures ne sont pas épargnés par la vague de chaleur sans précédent. À Delmas, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, Martin Prince a déjà «fait le deuil de ses rendements». Le Fransaskois estime qu’ils vont probablement diminuer de 30 à 50 % selon le type de culture.
«Le colza et le canola ont été affectés au moment de la floraison, leurs fleurs jaunes ont blanchi et les cosses ne se sont pas formées», raconte le propriétaire de plus de 3 200 acres. «De toute façon, un rendement de 100 % n’existe pas dans nos régions, il faut toujours se préparer à des évènements extrêmes», relativise-t-il.
De même, Gilles Sylvain, qui exploite 2 100 acres à Girouxville, au nord-ouest de l’Alberta, table sur une baisse d’un tiers de ses rendements. Malgré des débuts prometteurs au moment des semis, la chaleur et la pénurie d’eau ont eu raison de ses espoirs «d’une récolte normale».
Selon le Franco–Albertain, il est tombé à peine 38 millimètres d’eau depuis la mi-juin, alors que ses plants en ont besoin de trois à quatre fois plus.
Des troupeaux sont à risque
Le temps sec et les températures anormalement élevées inquiètent tout autant les éleveurs du Manitoba. «C’est la pire année qu’on ait jamais vu, on n’a presque pas eu de neige l’hiver dernier, et moins de 50 millimètres de pluie sont tombés [entre le début juin et la mi-juillet]», partage Christel Lanthier, propriétaire avec son mari de la Ferme Fiola dans le Sud-est de la province, à Sainte-Geneviève. Malgré un puits dans la nappe aquifère, l’agricultrice s’inquiète pour la première fois de l’approvisionnement en eau.
Ses 20 brebis, qui ont l’habitude de pâturer dans des zones marécageuses à l’herbe juteuse, doivent se contenter de pousses sèches et jaunies.
«On va surement devoir leur donner du fourrage dès le mois d’aout, alors qu’on commence normalement en novembre», rapporte la Franco-Manitobaine. Pour nourrir ses bêtes, elle compte sur la maigre production de foin de la ferme, le tiers d’une récolte normale.
«En principe on le vend, mais cette année ce n’est pas possible», regrette-t-elle. La situation est telle, que le couple envisage de vendre certains moutons, alors qu’ils espéraient agrandir leur exploitation l’an prochain.
Plus à l’ouest du Manitoba, près de Pipestone, Melissa Atchison a déjà dû retirer ses 800 vaches laitières des pâturages. Elle doit utiliser les céréales destinées à la vente pour nourrir ses bêtes.
L’agricultrice, dont 100 acres de seigle ont séché sur pied, estime ses baisses de rendement à 50 % cette année. «C’est certainement trop tard pour nos cultures, on va devoir acheter plus de fourrage qu’on en a jamais acheté, reconnait-elle. On espère juste qu’il pleuve pour que nos animaux puissent retourner dans les prés.» Également vice-présidente de l’Association des producteurs de bœufs du Manitoba (CCIA), elle s’inquiète pour l’ensemble de ses confrères : «C’est sans précédent, certains éleveurs n’ont pas assez d’eau et de nourriture pour le reste de l’été, leur stress est immense, ils vont devoir abattre leurs troupeaux».
Des impacts de plus en plus graves
Les agriculteurs interrogés l’assurent, le climat des Prairies a toujours été sec et imprévisible. Mais cette dernière décennie, ils observent une multiplication des évènements météorologiques extrêmes dont des étés très froids, avec du gel en plein mois de juillet, ou encore des pluies diluviennes à l’automne et au printemps. «L’hiver, les températures n’ont jamais été aussi fluctuantes, des arbres sauvages meurent parce qu’ils se réveillent à 7 ° Celsius avant d’être frappés par du moins 40 le lendemain», se désole Dean Kreutzer.
David Sauchyn de PARC confirme les observations des fermiers. «Dans un climat globalement plus chaud, on s’attend à ce que les évènements extrêmes soient plus fréquents et sévères avec des impacts plus graves», expose le professeur qui enseigne à l’Université de Regina.
Autrement dit, à l’avenir, les sècheresses seront plus intenses et les pluies plus abondantes. Aux yeux de l’expert, le dérèglement du climat pourrait toutefois représenter une chance. «Le montant annuel de précipitations augmentera et la période hors gel s’allongera, ce qui sera bénéfique pour la croissance des plantes, affirme-t-il. Si les fermiers sont capables de s’adapter à l’instabilité accrue du climat, ils pourront tirer avantage d’un climat plus chaud et plus humide.»
Des aides pas forcément adaptées
Sécuriser l’accès à l’eau et économiser les ressources disponibles représente l’autre enjeu crucial. Aucun des exploitants contactés ne dispose d’un système d’irrigation, ceux-ci demeurant dépendants des pluies. «C’est très couteux et compliqué à mettre en place», nuance Martin Prince.
Surtout, David Sauchyn prévient : «Si les conditions climatiques défavorables durent plusieurs années, il devra y avoir une adaptation de l’intégralité du secteur agricole et une intervention forte des gouvernements provinciaux et fédéraux.» Le chercheur plaide en faveur de plans de sauvetage et de relance agricole massifs.
En attendant, les agriculteurs couverts par une assurance récolte provinciale pourront être indemnisés à la suite des dommages subis cet été. Au niveau fédéral, Financement agricole Canada (FAC) a annoncé un programme de soutien en vue de réduire la pression financière avec un accès accru au crédit à court terme, des reports de paiement de capital, ou encore une modification du calendrier de remboursement des prêts.
«Ce n’est pas suffisant, il faut avoir des réserves financières pour faire face à une sècheresse comme celle-ci et si ça dure plus de deux ans, ce n’est pas viable», observe Solange Campagne en Saskatchewan. «Les prêts ne sont pas forcément adaptés, on n’est pas en mesure de les rembourser si les saisons difficiles s’enchainent, poursuit Dean Kreutzer. Quand on perd des arbres fruitiers, il faut attendre vingt ans avant d’avoir à nouveau une production.»
Quelle que soit la taille de leur exploitation et leur vision de l’agriculture, les fermiers se disent confiants quant à leur avenir dans l’Ouest. «On est jeunes et un peu fous, on continuera», assure avec confiance Christel Lanthier. Un optimisme que partage Martin Prince : «Il y aura toujours des défis et jamais de rendements garantis, mais je serai toujours là pour ensemencer, c’est notre responsabilité de gérer les risques.»