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le Mardi 4 juillet 2023 12:32 Environnement

Réchauffement climatique : le golfe du Saint-Laurent ne gèlera plus

Entre le réchauffement de ses eaux et la perte de sa glace, le golfe du Saint-Laurent subit de profonds changements. Photo : Marine Ernoult
Entre le réchauffement de ses eaux et la perte de sa glace, le golfe du Saint-Laurent subit de profonds changements. Photo : Marine Ernoult
FRANCOPRESSE – Année après année, la température des eaux du golfe du Saint-Laurent bat de nouveaux records. En surface, l’absence de glace est de plus en plus fréquente en hiver et pourrait, avec le réchauffement climatique, devenir la norme d’ici 100 ans.
Réchauffement climatique : le golfe du Saint-Laurent ne gèlera plus
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Carte du golfe du Saint-Laurent. Photo : Ministère du Développement durable, de l’Environnement de la Faune et des Parcs du Québec

Dans les profondeurs du golfe du Saint-Laurent, le mercure ne cesse de grimper. Il suffit de se plonger dans les chiffres pour mesurer l’ampleur des bouleversements.

Selon des données de Pêches et Océans Canada, la température de l’eau à 300 mètres de profondeur a atteint 7,1 °C de plus en moyenne sur l’ensemble du golfe en 2022. Il s’agit d’un record depuis le début des relevés en 1915.

«C’est sans précédent. À partir de 2009, dernière année la plus froide, tout s’est mis à monter, constate Peter Galbraith, océanographe à l’Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada. Depuis 2015, on bat des records centenaires. Chaque année est plus chaude que l’année d’avant.»

Les courants océaniques sont responsables de la situation. À l’entrée du golfe, au détroit de Cabot, au large de Terre-Neuve, les eaux des courants du Labrador et du Gulf Stream se mélangent et sont aspirées vers les profondeurs.

Denis Chabot est chercheur en écophysiologie pour Pêches et Océans Canada. Photo : Courtoisie

Courants océaniques déréglés

Ces dernières années, les chercheurs ont remarqué que l’apport d’eau froide et bien oxygénée du Labrador diminue, au profit d’une eau plus chaude, plus salée et moins oxygénée provenant du Gulf Stream. Autrement dit, il y a plus d’eau chaude dans le mélange pénétrant dans le golfe du Saint-Laurent.

Plusieurs hypothèses expliqueraient cette tendance. L’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère pourrait bouleverser le parcours des vents et perturber la trajectoire des courants marins.

«La circulation du Gulf Stream serait ainsi modifiée. Il se dirigerait un peu plus au nord qu’avant, avec une influence directe sur l’eau qui entre dans le Saint-Laurent», soutient Peter Galbraith.

D’autres études avancent plutôt que le courant du Labrador aurait connu une diminution de son amplitude et de sa force au large de Terre-Neuve.

«Il bifurquerait ou se séparerait en plusieurs courants sur le long chemin qu’il parcourt avant de parvenir au détroit de Cabot», détaille Denis Chabot, chercheur en écophysiologie pour Pêches et Océans Canada.

Aucun retour en arrière des températures n’est en vue d’ici les cinq prochaines années. «On sait que le golfe va continuer à se réchauffer», relève le spécialiste.

Les trois couches du golfe

Les eaux du golfe du Saint-Laurent se divisent en trois couches. En surface, l’eau se réchauffe au même rythme que l’air ambiant avec de très forts écarts de températures selon les années. La couche intermédiaire froide, comprise entre 30 et 120 mètres de profondeur, est proche de 0 °C et est également sensible aux variations saisonnières. Il y a enfin une couche profonde, qui va jusqu’à 500 mètres. C’est là que les bouleversements sont sans précédent.

Peter Galbraith est océanographe à l’Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada. Photo : Courtoisie

Recul spectaculaire

Les chiffres s’affolent également à la surface. De mai à novembre 2022, les scientifiques ont enregistré une hausse record de la température des eaux de surface de  par rapport à la normale.

Le recul spectaculaire de la glace participe notamment au réchauffement des eaux de surface en hiver. 

«Cette année, nous avons eu la sixième année avec le plus faible volume de glace enregistré dans l’histoire récente du golfe», souligne Peter Galbraith.

Durant la dernière semaine de février, les océanographes ont relevé 20 km3 de glace dans le golfe du Saint-Laurent, contre 60 km3 en temps normal pour la même période.

Sur les quatorze dernières années, les scientifiques ont recensé quatre hivers sans glace ou presque : en 2010, 2011, 2013 et 2021. Avant cela, il faut remonter à 1958 pour trouver un golfe libre de glace.

Le réchauffement climatique, qui contribue de plus en plus à faire grimper la température de l’air au-dessus des eaux, est mis en cause. D’après les mesures de Pêches et Océans Canada, les saisons sans glace correspondent à des hivers où la température de l’air est supérieure de 2,5 °C à la moyenne climatologique de 1991-2020.

Effets des tempêtes posttropicales

Peter Galbraith explique que, dans le golfe du Saint-Laurent, les températures de l’air extérieur ont augmenté presque deux fois plus vite en hiver qu’en été. Elles ont grimpé de 2,2 °C durant la saison hivernale au cours des cent dernières années, contre 1,2 °C pendant la période estivale.

«Il y aura toujours des variations interannuelles, mais il y a une tendance lourde. On va avoir des hivers de plus en plus doux, prévient l’océanographe. Dans 100 ans, les hivers avec un couvert de glace vont devenir l’exception plutôt que la règle.» Bref, l’absence de glace deviendra la nouvelle normalité.

Un autre enjeu préoccupe Pêches et Océans Canada : la multiplication des tempêtes posttropicales. Depuis 2019, le golfe en a déjà essuyé deux, Dorian et Fiona. En septembre dernier, Fiona a déferlé dans l’Est du Canada avec des rafales à 125 km/h et des vagues de plus de 10 mètres.

«Ces évènements d’une intensité exceptionnelle bouleversent encore plus les conditions du golfe et brassent fortement l’eau», décrit Peter Galbraith.

Autrement dit, la couche de surface, chaude, se mélange à la couche intermédiaire froide, juste en dessous. «Les eaux supérieures souffrent d’un gros coup de froid, alors que celles plus bas se réchauffent anormalement», poursuit le chercheur.

L’accumulation de ces tristes records menace la vie marine qui s’adapte mal à une eau plus chaude.