FRANCOPRESSE
«On recevait des cendres qui tombaient du ciel. On voyait la boucane. C’était impressionnant. La respiration n’était pas agréable», décrit avec désolation la résidente de Jasper et directrice de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) locale, Emilie Langlais.
Le lundi 22 juillet, elle et ses deux enfants, fuyant les flammes, se retrouvent coincés dans la voiture familiale. «Juste pour faire un kilomètre, ça nous a pris 4 heures. C’était tellement congestionné de voitures, il y avait une seule sortie pour toute la ville», raconte-t-elle.
Un peu plus tôt dans la journée, l’après-midi joviale à la rivière avait pris une tournure inattendue. «Nous étions au lac, comme chaque jour de forte chaleur. Dans l’après-midi, nous avions entendu qu’un feu avait pris dans l’est de la ville. On a d’abord attendu.»
En constatant le ballet incessant des hélicoptères dans le ciel, elle décide alors prudemment de rentrer chez elle avec ses enfants… dans l’est de la ville.
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Évacuation compliquée
Vers 21 h 30, les autorités envoient une première alerte sur les téléphones des gens du secteur. Une heure plus tard, c’est l’ordre d’évacuation.
«À ce moment, nous étions prêts à partir», explique Emilie Langlais. Elle et ses enfants finissent la nuit dans la voiture, sur l’aire de stationnement de la Royal Canadian Legion, Branch 266, à Valemount, 100 km à l’ouest de Jasper.
Bonne nouvelle, la mère de famille apprendra le samedi suivant que sa maison, pourtant située dans un secteur détruit, a été épargnée des flammes.
Myriam Turgeon, elle, n’a pas attendu l’ordre d’évacuation pour quitter la ville. Elle constate la progression des feux allumés quelques jours plus tôt, dès le lundi matin, en escaladant les montagnes environnantes en tant que guide de montagne, auprès de quatre touristes.
«Ça commençait à être boucaneux, ils étaient inquiets», se rappelle-t-elle. Elle les rassure au maximum : «Les feux sont courants dans la région, […] ça va bien aller.»
En terminant l’expédition, elle se souvient des paroles d’un résident lorsqu’elle avait déménagé à Jasper, il y a deux ans : «Un jour, Jasper va bruler. De toute façon, quand ça arrive, on n’est jamais prêt.»
Plus tard dans la journée, les trois feux en cours sont en phase d’être éteints. Mais l’espoir est de courte durée. En soirée, chez elle, elle entend un orage. Un éclair, puis le bruit sourd du tonnerre précèderont de quelques minutes le retentissement de nombreuses sirènes de secours.
Depuis son potager, elle voit que les fumées se rapprochent de l’aéroport. «Ça sent mauvais», se dit-elle. Elle reçoit la première alerte sur son téléphone : «C’était en anglais. Pour moi, “alert ou order”, c’est rendu la même affaire. Nous sommes partis», assène-t-elle, sans attendre l’ordre d’évacuation.
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358 structures totalement détruites
D’abord en famille à Kelowna, aujourd’hui auprès de son mari à Banff, Marie Turgeon n’a d’autre choix que d’attendre.
La ville est interdite d’accès depuis son évacuation. Le plus grand incendie du parc national de Jasper depuis une centaine d’années a détruit 36 000 hectares de forêt et endommagé environ 30 % de la ville touristique albertaine, soit 1 113 structures, dont 358 complètement détruites.
«Il pourrait falloir de 15 à 20 jours pour qu’il soit suffisamment sécuritaire pour les résidents de retourner sur les lieux», ont déclaré ce lundi les autorités fédérales en conférence de presse.
En attendant, les quelque 20 000 personnes évacuées du secteur doivent trouver des solutions d’hébergement, aussi provisoires soient-elles. Centres d’accueil, camping sauvage, hôtel ou séjour chez des proches… À chacun son plan. Dans cette situation, demain c’est loin. «On vit au jour le jour», partage Marie Turgeon.
La solidarité plutôt que le fatalisme
«On traversera le pont rendu à la rivière… Pour l’instant, c’est plus le besoin de prendre soin de nous [qui prime]», affirme celle qui est aussi intervenante communautaire et linguistique à l’école francophone Desrochers.
«On rebondit sur des choses et on prend des opportunités. Il y a tellement de messages de soutien. Certains hôtels acceptent que l’on réserve pour deux semaines sans payer. Il y a tellement de solidarité autour qu’on souhaite seulement penser à nos besoins de base.»
«On reçoit beaucoup de messages des gens qui ont vécu les feux à Fort McMurray, par exemple, ou dans d’autres lieux avec des situations semblables», témoigne de son côté Marie-Claude Faucher.
La directrice de l’école francophone Desrochers l’assure : «Les Jasperiens sont tricotés serrés, ils ont une volonté de vouloir tout rebâtir. On pensait que tout Jasper était brulé. Finalement, ce n’est que 30 %. Les principales infrastructures sont là, on va pouvoir reconstruire», dit-elle, rassurante.
À côté de cet élan d’espoir, certaines images restent tout de même difficiles à encaisser. «Constater les dégâts, compter le nombre d’amis qui ont tout perdu, les entreprises qui ne pourront pas rouvrir… C’est comme une loterie bizarre, conclut Emilie Langlais. Même en cas de bonne nouvelle de notre côté, on se sent mal pour les autres.»