Le 8 mai dernier, le ministre des Langues officielles, Randy Boissonnault, a voulu appuyer son collègue libéral Francis Drouin qui a traité deux témoins de «plein de marde», lors d’une réunion du Comité permanent des langues officielles.
Boissonnault, qui s’identifie comme Franco-Albertain, a contesté l’idée selon laquelle étudier en anglais encourage l’anglicisation, en se basant sur sa propre expérience.
«Je ne pense pas parce que quand on a des francophones qui étudient en Alberta, comme moi j’ai fait au Campus Saint-Jean, ça n’a pas francisé la province de l’Alberta. Et si on regarde le nombre d’étudiants qu’on a au Québec, ça n’anglicise pas la province non plus», a-t-il déclaré le 8 mai dernier devant des journalistes.
Quelques heures plus tard, questionné sur cette déclaration du ministre en conférence de presse, Yves-François Blanchet a répliqué que «personne ne pense que d’étudier en français en Alberta va faire en sorte que les gens qui vont sortir de l’université vont travailler en français. Il n’y a personne qui travaille en français en Alberta, à part les profs de français».
Un débat sur les réseaux sociaux
Une journaliste de Francopresse a rapporté les propos du chef bloquiste dans une publication sur X, ce qui a mené à de vives réactions.
Parmi elles se trouvait celle d’Amy Vachon-Chabot, directrice générale adjointe de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), qui citait des chiffres du recensement de 2021 pour affirmer que 25 000 personnes travaillaient en français en Alberta.
Selon Statistique Canada, «en 2021, 21 770 travailleurs et travailleuses résidant dans la province utilisaient le français au moins régulièrement au travail». 30,6 % d’entre eux travaillaient dans les services d’enseignement, laissant environ 70 % aux autres domaines.
Toujours sur la plateforme X, Yves-François Blanchet a commenté la réponse une première fois le 9 mai, défendant que son propos «était une image» et que malgré la petite taille des communautés franco-albertaines, elles «n’en sont pas moins légitimes».
Il est ensuite revenu sur X trois jours plus tard pour ajouter, entre autres, «qu’une personne engagée dans une institution qui promeut le français en Alberta – ce qui est très souhaitable – suggère que tout va bien pour le français hors-Québec a quelque chose de naïf».
Comme la réaction de l’ACFA à cette dernière publication du chef du Bloc québécois dépassait la limite de caractères d’une publication X, l’organisme a écrit une lettre ouverte au chef du Bloc québécois et l’a publiée sur son site.
Le titre de la lettre : Si nous n’osons plus rêver, à quoi bon lutter? Longue vie aux rêveurs de la francophonie.
À lire aussi : Les jeunes entrepreneurs noirs montrent la voie
«Un manque de connaissances»
Dans la lettre, l’ACFA accuse Yves-François Blanchet d’avoir traité leur employée de «naïve». Toutefois, dans sa publication X, c’était plutôt la suggestion que tout va bien pour le français hors Québec que le politicien qualifiait de naïf.
«La réponse de notre employée ne disait pas que tout va bien», rétorque la présidente de l’ACFA, Nathalie Lachance, en entrevue avec Francopresse. «Elle disait qu’on fait des avancées, qu’on continue de travailler fort.»
D’ailleurs, l’ACFA réitère le réalisme dont elle fait preuve dans sa lettre : «Nous sommes conscients qu’il faut être vigilants, car l’assimilation guette.»
La lettre, signée par Mme Lachance, est aussi une réponse aux propos qui circulent depuis la réaction d’Amy Vachon-Chabot sur X.
Sur les réseaux sociaux comme sur la scène politique, l’ACFA témoigne d’une méconnaissance de la réalité franco-albertaine.
«Les commentaires qui ont été faits à l’égard de la francophonie albertaine étaient déplacés, dit Nathalie Lachance. Je crois qu’ils reflétaient un manque de connaissances de ce qui se passe sur le terrain, au quotidien, même au niveau des statistiques.»
Selon elle, toute cette situation «reflète le besoin de partager plus souvent ce qui se passe à l’extérieur du Québec».
La lettre de l’ACFA rappelle la hausse du nombre de Franco-Albertains depuis 1991 qui a eu lieu en dépit d’une baisse de leur poids démographique. Cependant, selon Statistique Canada, l’Alberta est la seule province de l’Ouest ayant enregistré une diminution du nombre de personnes pouvant soutenir une conversation en français entre 2016 et 2021.
Oser rêver
«Vivre en situation francophone minoritaire, c’est notre réalité au quotidien. Nous ne sommes pas naïfs et nous sommes bien au fait des limites de cette réalité. Je ne vous dirai donc pas que c’est toujours facile et automatique, loin de là», écrit Nathalie Lachance dans la lettre.
«Nous ne sommes pas naïfs, poursuit-elle. En fait, je crois plutôt que nous osons rêver.»
En entrevue, elle précise que rêver, «ça parle d’espoir, […] d’imaginer notre futur, de continuer à voir nos enfants et nos petits-enfants dans les écoles francophones, d’avoir de plus en plus d’écosystèmes où nous pouvons parler français, de pouvoir interagir et vivre en français de façon plus régulière».
Si l’assimilation guette, l’ACFA ne baisse pas les bras. Elle a même des raisons de célébrer, car comme mentionné dans sa lettre, l’Alberta est passée de deux écoles francophones en 1984 à 43 écoles francophones en 2024.
En mars dernier, le gouvernement albertain annonçait qu’il allait financer huit nouveaux projets d’école, ce qui ne sera pas chose perdue étant donné que 75 000 enfants sont admissibles à l’éducation francophone en Alberta.
«Si nous n’osons plus rêver, à quoi bon lutter?» questionne encore la présidente dans sa lettre.
Yves-François Blanchet n’était pas disponible pour une entrevue.